L’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont réussi à maintenir une position unie sur la question du nucléaire iranien. En effet, aujourd’hui même, ils ont d’une part obtenu le vote d’une résolution de l’AIEA qui condamne le refus de collaboration de l’Iran et d’autre part publié un communiqué conjoint qui s’oppose à l’utilisation du snapback onusien par les Etats-Unis. Cette double position présente l’intérêt de mettre la pression sur l’Iran tout en réaffirmant l’unité de la position européenne face aux Etats-Unis. 

La semaine a commencé par d’importantes tensions entre l’AIEA et la République islamique d’Iran, accusée de refuser l’accès de l’agence à des lieux qu’il faudrait vérifier s’ils n’ont pas hebergé, par le passé, des activités nucléaires illégales de manière clandestine. Pour le gouvernement iranien, ces demandes sont directement liées aux révélations qu’a faites Benjamin Netanyahou en avril 2018 à propos d’un programme nucléaire iranien secret1 et de ce fait illégitimes. 

Dans cette situation tendue, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France ont proposé une résolution que la mission des Etats-Unis auprès de l’AIEA a jugé positivement le jeudi 18 juin : “La résolution présentée par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni est une réaction équilibrée et équitable au refus alarmant de l’Iran de respecter ses obligations juridiques au titre de son accord de garanties généralisées et de son protocole additionnel” (AIEA). Selon Kelsey Davenport, experte des questions de non-prolifération, la résolution européenne permet de maintenir la réaction américaine de rester à un niveau diplomatique et de ne pas politiser immédiatement la question dans le cadre des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran et des élections américaines2

En dépit de l’opposition de la Russie et de la République populaire de Chine, qui a rejeté avec virulence la résolution proposée par les E3 le 18 juin en début d’après-midi3, la résolution est passée avec 35 voix contre 25, avec le soutien des Etats-Unis et l’opposition russe et chinoise4.

Si, au sein de l’AIEA, les E3 prennent donc une position qui satisfait les diplomates des Etats-Unis, ils ont pris, le même jour, clairement position contre l’usage du snapback par les Etats-Unis pour prolonger l’embargo onusien sur la vente d’armes à l’Iran. Rappelons que le JCPOA ne prévoit pas la suppression des sanctions contre l’Iran, mais leur levée, qui est conditionnée à l’approbation des membres permanents du Conseil de sécurité. En d’autres termes, l’accord prévoit qu’un membre permanent pourrait, en déclenchant un vote sur le maintien de la levée des sanctions, puis en opposant son veto à ce maintien, réimposer l’intégralité des sanctions que le JCPOA et la résolution 2231 avait levées. 

Le gouvernement des Etats-Unis, qui voit d’un mauvais oeil arriver la fin de l’embargo sur la vente d’armes à l’Iran – prévu en novembre 2020, menace de recourir à ce mécanisme dans le cas où les autres membres du Conseil de Sécurité refuseraient de prolonger l’embargo. 

Logiquement, la Russie et la Chine ont fait savoir qu’ils s’opposeraient à cette manoeuvre qu’ils estiment, comme la plupart des spécialistes de la question, complètement contraire au droit international, puisque les Etats-Unis utiliseraient un mécanisme prévu par un accord qu’ils ont quitté. 

Le gouvernement iranien a également eu l’occasion de faire part de son mécontentement sur un sujet qui permet d’unir facilement l’ensemble de la classe politique – à l’inverse de la vie politique intérieure qui, sur fond de réouverture du Parlement, de préparation aux élections présidentielles de 2021, et de crise économique et sanitaire est beaucoup plus divisée. L’agence de presse Mehr News a publié en anglais une liste de rétorsions auxquelles la République islamique pourrait recourir en cas de snapback onusien : limiter les inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique, ramener l’enrichissement de l’uranium aux niveaux d’avant la signature de la convention JCPOA à 20 %, mettre fin aux protocoles additionnels que le pays applique volontairement, quitter le traité de non-prolifération auquel le pays est partie depuis 1968 ou quitter complètement le JCPOA. Hassan Rouhani a également fait références à ces potentielles rétorsions lors d’un discours du 14 juin où il a déclaré, tout en allusions menaçantes, que “les grandes nations savent quelle sera la réponse de l’Iran”5.

Au milieu de ses tensions,  les MAE de l’E3 ont publié ce 19 juin un communiqué conjoint où, en rappelant leur action en défense de l’AIEA du même jour, et le fait que l’embargo européen sur la vente d’armes à l’Iran dure, lui, jusqu’en 2023, ils déclarent leur opposition au déclenchement du snapback : “Nous sommes fermement convaincus que toute tentative unilatérale de déclencher des sanctions de l’ONU aurait de graves conséquences négatives au sein du Conseil de sécurité. Nous ne soutiendrons pas une telle décision qui serait incompatible avec nos efforts actuels pour préserver le JCPOA”6(6).

Ainsi, en dépit de toutes les difficultés, du Brexit, du coronavirus, de la politique erratique des Etats-Unis, et des provocations inutiles de la République islamique – Fariba Adelkhah, chercheuse franco-iranienne, est toujours en prison en Iran, de même que Nazanin Radcliffe, journaliste irano-britannique – les E3 ont réussi à maintenir à la fois leur cohésion et une position qui, pour équilibriste qu’elle paraisse, semble être la plus conforme au droit international et aux engagements des Etats parties au JCPOA.