Après la nomination de Jake Sullivan au poste de National Security Advisor et celle de Wendy Sherman au poste de Deputy Secretary of State, l’annonce que William J. Burns sera le prochain directeur de la CIA parachève de reconstituer l’équipe diplomatique qui, sous l’administration Obama, avait négocié avec l’Iran, d’abord dans le cadre du canal secret omanais, puis dans celui des négociations qui ont abouti au Joint Comprehensive Plan of Action, le 14 juillet 2015. 

Quelle est la position de ces diplomates vis-à-vis du JCPOA ? Quelle signification leurs nominations pourrait-elle avoir pour la reprise éventuelle de négociations avec l’Iran ? 

Tout d’abord, ces diplomates ont joué des rôles de premier plan dans l’ensemble des négociations qui ont mené à l’accord de Vienne. William Burns, après une carrière diplomatique de haut niveau (ambassadeur à Moscou de 2005 à 2008), est nommé Undersecretary of State for Political Affairs en 2008. D’après ses mémoires, il aurait à ce poste réussi à convaincre Condolezza Rice, puis Georges W. Bush (qui se serait sur ce point opposé à Dick Cheney), qu’il pourrait rejoindre les négociations qui étaient alors en cours sur le nucléaire iranien – ce qu’il fait effectivement le 19 juillet 2008 à Genève1

Plus tard, lors de l’ouverture du canal secret omanais entre les États-Unis et l’Iran, c’est Jake Sullivan, alors directeur du Policy Planning, qui mène la première rencontre bilatérale à Mascate, pendant l’été 2012. A partir de mars 2013, au poste de Deputy Secretary of State (n°2 du Secrétariat d’État) qu’il occupe depuis 2011, William Burns dirige l’équipe de négociation américaine, dont Jake Sullivan est un des principaux membres, avec l’Iran au cours de huit rencontres secrètes dans le cadre du canal secret, finalement révélé en novembre 2013 aux partenaires européens, russe et chinois par… Wendy Sherman, qui était devenue en 2011 à son tour Undersecretary of State, et à ce titre principale négociatrice des accords sur le nucléaire iranien. 

Wendy Sherman, de son côté, joue un rôle essentiel dans les négociations, notamment à partir de septembre 2013, moment où les négociations s’accélèrent sous l’impulsion de Mohammed Javad Zarif et de John Kerry. En effet, l’essentiel des négociations s’est déroulé au niveau des directeurs politiques des différents ministères des affaires étrangères. En tant que représentante de la première puissance du monde tout au long des négociations et en raison du capital politique investi par John Kerry et Barack Obama dans la réussite de ces négociations, il est raisonnable de dire que Wendy Sherman a été une des principales architectes du JCPOA. 

Non seulement ces diplomates, appelés à jouer un rôle de premier plan dans la définition de la politique étrangère de Joe Biden, ont contribué à la réussite des négociations sur le nucléaire iranien, mais ils ont également développé un attachement personnel à ces négociations, qui ont contribué à l’avancée de leur carrière et sont une source de fierté personnelle.

Ainsi, Wendy Sherman présente dans ses mémoires les négociations avec l’Iran comme un des grands accomplissements de son existence. Il s’agit tout d’abord elle d’une preuve qu’une femme juive de Baltimore peut très bien parvenir à négocier avec des diplomates Iraniens qui refusent de lui serrer la main en raison de son sexe le nombre de centrifugeuses auxquel leur gouvernement aura droit.

Par ailleurs, pour cette femme politique qui n’est pas une diplomate, la réussite des négociations et le JCPOA représente le sommet de sa carrière : elle décrit longuement, dans le chapitre Success de ses mémoires, sa fierté lorsque Barack Obama lui a remis la National Security Medal pour la remercier de son rôle dans les négociations.2

L’investissement personnel de Wendy Sherman doit enfin se mesurer aux liens relativement amicaux qu’elle dit avoir tissés avec les principaux négociateurs iraniens. Elle explique en effet qu’elle échangerait des mails directs avec Abbas Arraqchi (principal négociateur iranien, aujourd’hui vice-ministre des affaires étrangères), sans l’intermédiaire de leurs ministères respectifs3. Leur relation serait même  relation assez cordiale, car ils échangeraient chaque année des cartes de vœux pour Noël et pour la nouvelle année iranienne4. Abbas Araghchi et Majid Takht-Ravanchi5 lui auraient même offert en septembre 2015 deux tapis iraniens, l’un de la part d’eux-mêmes et de Javad Zarif, l’autre de la part du cabinet de Hassan Rouhani, pour la remercier de son travail tout au long des négociations sur le nucléaire iranien.6

Enfin, les mémoires de Wendy Sherman et de William Burns, publiés rapidement après l’élection de Donald Trump, visent ostensiblement à défendre l’héritage politique de Barack Obama, pour lequel ils expriment tous deux une immense admiration, et l’intérêt supérieur de la diplomatie par rapport à une approche transactionnelle des relations internationales. 

William Burns, qui a travaillé sous administration républicaine comme démocrate et se présente logiquement comme un diplomate de carrière non partisan, conclut son chapitre sur l’Iran en écrivant, à propos de la décision de Donald Trump de sortir de l’accord nucléaire « La démolition par Donald Trump de l’accord iranien était un coup supplémentaire porté à notre propre crédibilité, à la confiance internationale en notre capacité à tenir nos engagements »7. Wendy Sherman, de même, décrit la sortie de l’accord comme « une décision qui a porté un coup dévastateur non seulement à des années de diplomatie mais également à la place de notre nation dans le monde et à la sécurité mondiale »8. Elle raconte que le soir où Donald Trump est sorti de l’accord nucléaire, John Kerry l’a appelé, et qu’ils ont ensemble « partagé leur colère et leurs profondes préoccupations pour notre pays, avant de s’encourager l’un l’autre à poursuivre le combat ».9

En somme, William Burns comme Wendy Sherman voient dans le JCPOA le résultat d’un travail personnel de longue haleine, un des sommets de leur carrière et la preuve que leurs valeurs peuvent triompher, que la diplomatie et les relations humaines peuvent aboutir à l’apaisement des tensions entre les nations. Il est impossible de prévoir pour l’instant le résultat que ces nominations auront, mais il aurait été difficile pour Joe Biden de manifester avec plus de clarté la continuité, et même le renforcement de la politique d’ouverture qu’avait mise en place Barack Obama sur la question du nucléaire iranien. 

Sources
  1. BURNS, Bill, The Back Channel : A Memoir of American Diplomacy and the Case for Its Renewal, Random house, 2018 p. 343.
  2. SHERMAN, Wendy, Not for the Faint of Heart Lessons in Courage, Power, and Persistence, New York, Public Affairs, septembre 2018, p. 208-213.
  3. Wendy Sherman dit qu’en février 2014 elle reçoit un mail de Arragchi qui lui annonce qu’Ali Salehi va rejoindre les discussions qui arrivent à Lausanne. SHERMAN, p. 145.
  4. SHERMAN, p. 44.
  5. Autre négociateur essentiel, aujourd’hui représentant permanent de l’Iran auprès des Nations Unis
  6. SHERMAN, p. 206. Précisons qu’elle dit avoir donné les tapis au Secrétariat d’Etat pour les racheter par la suite avec son argent personnel et que ces beaux tapis ne sont donc pas une redoutable arme de corruption iranienne.
  7. BURNS, p. 386
  8. SHERMAN, p. xx.
  9. SHERMAN, p. 215.