Confrontée aux Etats-Unis en plein repli face aux enjeux internationaux d’une part, la Chine qui s’affirme comme partenaire alternatif aussi indispensable que menaçant d’autre part, et une Europe en proie à de multiples divisions, la politique étrangère du bloc européen s’apparente encore trop souvent à une vitrine de contradictions. 

Une Europe critique vis-à-vis des ingérences chinoises… mais qui peine à se positionner 

Désormais en phase de sortie de crise sanitaire, l’UE mène un combat contre « l’infodémie » dont la recrudescence et la prolifération durant la crise du coronavirus ont suscité de nombreuses préoccupations. Si Vera Jourová, vice-présidente de la Commission européenne chargée du portefeuille  des valeurs et de la transparence, dénonce une désinformation à la fois interne et externe à l’UE, la Chine est explicitement pointée du doigt. De fait, dans un récent communiqué, la Commission européenne accuse Pékin de colporter de fausses informations en « lançant des opérations d’influence et des campagnes de désinformations. » 

Si cette dénonciation acerbe éprouve un peu plus une relation déjà tourmentée par la crise sanitaire et les tensions avec les Etats-Unis, les membres de l’Union peinent à définir une ligne de conduite claire et unie. L’Allemagne, partenaire économique européen majeur de la Chine, s’échine à clarifier son positionnement. Si la perspective d’une coopération économique paraît attrayante, Berlin ne peut fermer les yeux face aux bavures du modèle chinois, comme son cruel manque de transparence ou l’intensification de la répression à Hong Kong. La France, de son côté, maintient une posture de méfiance élevée mais entrevoit le potentiel d’un rapprochement avec Pékin comme un tremplin permettant d’accroître le rôle géopolitique de l’UE sur la scène internationale. Enfin, le groupe 17+1 – composé de pays d’Europe centrale et orientale – qui représente un pilier essentiel des divers projets d’infrastructures chinois, est choyé par la Chine et encourage ainsi une coopération active.  

Au regard de cette dissonance, les positionnements tranchés et ambitieux de Josep Borrell peinent à se faire entendre et à fédérer les États-membres. Le Haut représentant de l’Union européenne, qui écarte l’hypothèse d’une Guerre Froide avec la Chine et souhaite rester constructif dans sa conception des relations sino-européennes, semble toutefois prendre conscience des limites de l’étendue des pouvoirs que sa fonction lui confère. De fait, bien que qualifiant la Chine de « rival systémique », Josep Borrell tempère son approche en affirmant ne pas considérer Pékin comme une menace militaire fragilisant la paix mais plutôt comme une puissance avide d’influence mondiale. Ainsi, à défaut de céder à la domination du mastodonte chinois, ce qui risquerait de placer l’Europe en porte-à-faux vis-à-vis des Etats-Unis, Josep Borrell défend une coopération singulière et protéiforme avec Pékin, notamment au travers de l’Agenda 2025 regroupant les points communs entre la Chine et l’UE tels que le soutien à l’accord sur le nucléaire iranien, l’enjeu du climat ou la défense du multilatéralisme.  

Un vivier de contradictions affaiblissant la position de l’UE

Premier point de réserve vis-à-vis du positionnement européen : le report du sommet UE-Chine prétendument pour cause de crise sanitaire, initialement prévu le 14 septembre 2020. Naïveté déguisée ou  repli stratégique avisé ? Si l’UE semble laisser s’échapper l’opportunité d’afficher une position unie et confiante envers la Chine, les divisions actuelles s’avèrent trop profondes pour atteindre le consensus. L’ajournement laisse donc aussi entrevoir la recherche d’une position cohérente de l’UE vis-à-vis de la Chine pour ainsi s’épargner une nouvelle démonstration de désunion. 

De plus, le rapport protéiforme qu’entretient l’UE avec la Chine à la fois comme « partenaire, compétiteur et rival » ne fait qu’entretenir une ambiguïté qui laisse planer des réserves légitimes quant aux limites et à la viabilité des relations. Si l’UE entrevoit un rapprochement avec la Chine, il est impératif qu’elle impose plus rigoureusement des règles strictes afin que son statut de bloc démocratique et transparent ne soit pas remis en question. 

Enfin, dans un contexte de querelles intenses entre une Chine expansionniste et des Etats-Unis isolationnistes, l’orientation de l’UE peut s’avérer déterminante. Si l’UE ne souhaite pas être la variable d’ajustement entre deux empires, elle refuse de s’aligner explicitement, tant du côté des Etats-Unis que de la Chine. Seulement, faire le choix d’esquiver cette prise de position manichéenne peut-il aboutir à la définition d’une nouvelle voie ? Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur, et Josep Borrell ont signé une tribune conjointe reprenant les thèmes sous-entendus par la doctrine Sinatra : l’idée d’une Europe suivant sa propre voie. Cette alternative propose une Europe « résiliente et autonome, sûre de ses valeurs, ferme dans ses ambitions, assurée de ses moyens » et bastion du multilatéralisme. Le Haut représentant de l’UE et le Commissaire européen au marché intérieur appellent ainsi à la définition d’une vision commune qui permette de soutenir une économie forte et solidaire mais aussi de déployer une industrie moins dépendante de ses partenaires non européens, à renforcer ses industries en matière de sécurité-défense et à ne pas capituler sur ses valeurs. Si cette vision dessine les contours d’une nouvelle trajectoire pour la diplomatie européenne et témoigne d’un alignement des priorités stratégiques au sein de la Commission, elle restera utopique tant que les États-membres demeureront incapables d’accorder leurs violons diplomatiques. 

Perspectives :

  • 22 juin : rendez-vous entre les dirigeants de l’UE – Josep Borrell, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen, Charles Michel – et le premier ministre chinois, Li Keqiang.