Alors que la crise se déploie dans le monde entier, de nouveaux rapports de force émergent, offrant ainsi  à l’Europe l’opportunité d’amorcer une substitution de son statut de puissance d’équilibre1 entre la Chine et les Etats-Unis pour une implication plus active sur la scène internationale. De fait, si depuis le début de la crise les Etats-Unis se replient sur eux-mêmes et paraissent décontenancés face à l’ampleur de la situation, la Chine quant à elle saisit l’occasion pour revendiquer la supériorité de son modèle de gouvernance. Lassée d’être prise en étau au sein du conflit impliquant les deux géants mondiaux, l’Europe s’est alors risquée à promouvoir une meilleure coopération entre Pékin et Bruxelles. Dans un communiqué paru dans le China Daily2, les ambassadeurs européens appellent à un rapprochement entre l’Europe et la Chine, notamment pour combler le manque de leadership des Etats-Unis et tenter de raviver un multilatéralisme en anémie. Problème ? La diplomatie européenne a fait les frais d’une censure chinoise intraitable modifiant une phrase du texte original. Bien que mineure, cette modification est non seulement révélatrice des rapports de force entre la Chine et l’Europe mais témoigne également de la difficulté à coordonner  un système européen aux multiples acteurs. 

Bien que surprenante et inattendue au regard de l’ambiguïté du positionnement chinois dans la crise3,  l’initiative européenne de se tourner vers Pékin révèle une stratégie visant à consolider les relations politiques, économiques et diplomatiques et ainsi endiguer la crise tout en promouvant activement une relance.

Seulement, comment envisager de futures relations équilibrées si la diplomatie européenne se plie à la censure du Parti Communiste Chinois ?4 De fait, dans la version originale du communiqué, la phrase mentionnant « l’épidémie du coronavirus en Chine et sa propagation ultérieure au reste du monde au cours des trois derniers mois » a été écartée par le China Daily. Modification qui fait inévitablement écho à la mise en garde de Josep Borrell vis-à-vis de la « bataille de communication mondiale » qui allait s’installer dans le cadre d’un phénomène de « lutte d’influence ».5 De surcroît, en relayant la version des autorités chinoises (et non la version originale), le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) a fragilisé la crédibilité de la démarche européenne. En effet, certaines ambassades, qui n’avaient même pas été mises au fait de la modification du communiqué, ont ainsi publié la première version non-censurée. Une discordance qui laisse entrevoir une absence de coordination entre les différentes branches de la diplomatie européenne et porte préjudice à l’UE qui se doit d’afficher une ligne de conduite cohérente.

Alors, comment se fait-il que le processus décisionnel européen se laisse imposer une censure de la part de la Chine ? Selon le SEAE6, la décision à été prise hâtivement et localement par le chef de la délégation de l’Union européenne en Chine, Nicolas Chapuis, qui estimait que la communication du message de fond (le rapprochement Chine-Europe) l’emportait sur la phrase censurée… Une maladresse faisant implicitement passer l’Europe pour un partenaire candide tandis que la vigilance reste avancée comme le maître mot de cette bataille du narratif. Face à cette situation, la recherche de responsables tourne au conflit interinstitutionnel : alors que  le chef de la délégation du Parlement Européen en Chine, Reinhard Bütikofer, souhaite le licenciement de Nicolas Chapuis, la porte-parole du SEAE Virginie Battu-Henrikson déclare à l’inverse qu’il « continue d’avoir la confiance [du SEAE] ».7