Pékin, Bruxelles. Point de départ de cette crise sanitaire devenue mondiale, la Chine qui dénombre actuellement plus de 81 000 cas et 3335 décès liés au Covid-191 semble à présent en voie de rémission avec une réduction quotidienne du nombre de contaminations. Pour atteindre ce stade, c’est tout l’arsenal politique, économique et sanitaire qui a été mobilisé, combiné à un confinement strict de la population dans de nombreuses villes2. Consciente de sa capacité de gestion de crise et de ses multiples atouts politiques et économiques, la Chine s’emploie désormais à venir en aide au reste du monde, notamment à l’Europe qui est devenue l’un des foyers principaux de la pandémie.
Cette générosité chinoise met en exergue l’ambiguïté de son approche vis-à-vis de l’Europe puisqu’en approchant les pays européens individuellement, la Chine cultive avant tout ses relations bilatérales avec chacun des États membres et n’encourage pas une réponse collective. La France qui fait face à une pénurie, a déjà reçu plus de cinq millions de masques. L’Italie, qui est le pays le plus touché d’Europe s’empresse d’accueillir ce soutien précieux, dans l’espoir de pallier au manque de moyens actuel. Dans un communiqué officiel, l’UE annonce un don de plus de 2 millions de masques chirurgicaux et 50 000 kits de test à l’Italie en provenance de la Chine, sans manquer de rappeler la réciprocité du soutien apporté par l’Europe aux prémices de la crise.3
La Serbie, pays candidat à l’Union européenne, fustige le manque de solidarité du bloc qu’elle qualifie de « conte de fée »4 et se tourne sans équivoque vers la Chine. Le président Aleksandar Vucic fait ainsi l’éloge de Xi Jinping, le qualifiant de « frère et d’ami » et fait appel « aux masques, aux gants, aux respirateurs » et avant tout aux « connaissances » du personnel soignant chinois.5 Une orientation difficilement répréhensible au vu de l’urgence de la situation, mais qui laisse d’ores et déjà entrevoir une divergence dans la vision du projet européen.
Si un désaveu face à l’aide humaine et matérielle ainsi qu’à l’expertise proposée par Pékin est inenvisageable compte tenu de la gravité de la crise, ce renfort revêt un caractère éminemment symbolique puisqu’il renforce la puissance d’un pays désormais omniprésent et incontournable sur la scène géopolitique. Face à une Europe en difficulté, l’équation se présente bon gré mal gré comme une opportunité pour Pékin de s’attirer une reconnaissance mondiale. Devant cette stratégie, Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, met en garde contre la « politique de générosité ». A l’heure du « façonnage d’image » que la Chine maîtrise avec dextérité, il exhorte l’Europe à prendre les devants dans cette « lutte d’influence » et à répondre à l’unisson, afin de prouver que « la solidarité n’est pas un vain mot ». De fait, le combat pour endiguer la propagation du Covid-19 ne s’inscrit pas dans une guerre classique, mais bel et bien dans une « bataille de communication » par laquelle les Etats tentent de tirer des avantages stratégiques.6 Pour la Chine, ce combat narratif semble poursuivre un double objectif : si le pays dévoile un visage bienveillant en déployant une diplomatie sanitaire de grande envergure, il s’évertue également à faire oublier son régime autoritaire ordinairement dépeint comme une menace.7
Dans cette bataille d’influence, Josep Borrell met en exergue les stratégies élémentaires de la Chine. Tout d’abord, l’ambition assumée de combler le vide laissé par les Etats-Unis. Face au désengagement croissant de son rival outre-Atlantique qui décide de faire cavalier seul, le mastodonte chinois s’engouffre dans la brèche pour se présenter à l’Europe comme « un partenaire fiable et responsable »8. Ainsi, à défaut de contrer frontalement les Etats-Unis, la Chine leur complexifie la tâche en déployant une combinaison de diplomatie sanitaire, de participation assidue au sein des institutions internationales et d’initiatives économiques9. Le second volet du soft-power chinois selon Josep Borrell est la décrédibilisation tacite du modèle de gouvernance des démocraties européennes. La Chine entend ainsi promouvoir son modèle autoritaire en démontrant sa réactivité et son pragmatisme, face aux occidentaux qui peinent à prendre des décisions communes, freinés par une inertie institutionnelle. De fait, dans cette bataille de communication, là où l’espoir d’une coordination européenne s’est pour l’instant muée en cacophonie, du côté chinois ce que Xi Jinping ordonne, la Chine exécute.
Par ces deux manoeuvres, la Chine révèle une stratégie minutieuse et bouleverse l’échiquier politique mondial. Ses intérêts politiques ou économiques sont toujours au coeur de ses décisions et son aide sanitaire se payera, mais à quel prix ? Cette « politique de générosité » identifiée par Josep Borrell révèle ainsi que cette chronologie, aussi paradoxale soit-elle, sera mise à profit des ambitions chinoises et au détriment de l’Europe par une pression de réciprocité économique10. De fait, si la pandémie s’envisage, à terme, comme éphémère, la ténacité de Xi Jinping à poursuivre le « rêve chinois » et à faire du pays la première puissance mondiale, elle, perdure11. Avec l’Europe prise en étau dans un clash des titans, USA-Chine, Josep Borrell appelle ainsi à l’éveil d’une solidarité européenne faute de quoi l’après COVID-19 laissera le Vieux Continent redevable envers une Chine ambitieuse.
Sources
- Chiffres officiels fournis par la Chine le 7 Avril 2020, néanmoins fortement controversés au vu du nombre de personnes contaminées.
- China’s coronavirus lockdown strategy : brutal but effective, The Guardian, 19 mars 2020
- Commission européenne, Coronavirus : l’aide de la Chine à l’UE fournie à l’Italie, 6 avril 2020
- China ramps up coronavirus help to Europe, Financial Times, 18 mars 2020
- KYNGE James, LOCKETT Hudson, From cover-up to global donor : China’s soft power play , Financial Times, 24 mars 2020
- BORRELL Josep, La pandémie de coronavirus et le nouveau monde qu’elle crée, EEAS, 23 mars 2020
- Coronavirus : la guerre des récits a déjà lieu, Le Grand Continent, 5 avril 2020
- BORRELL Josep, La pandémie de coronavirus et le nouveau monde qu’elle crée, EEAS, 23 mars 2020
- A l’inverse des Etats-Unis qui affichent une vision à court terme et optent pour une stratégie unilatérale, la Chine elle, admet une vision à très long terme (puisque Xi Jinping n’a pas l’échéance d’une réélection) et s’impose comme fervente adhérente au multilatéralisme. Depuis plusieurs années, le pays tient notamment une place prépondérante dans les organisations, négociations et traités internationaux (subventions massives à l’UNESCO, Li Yong président de l’ONUDI depuis 2013, Qu Dongyu à la tête du FAO depuis 2019… ).
- La Chine entend bien s’immiscer dans le tissue économique de l’Europe en continuant ses investissements massifs (notamment en Italie, dans les Balkans et au Portugal) dans le cadre de son projet de Nouvelle route de la soie et bénéficier de conditions avantageuses.
- TESTI Arnaldo, Le rêve chinois, le plus récent et peut-être le dernier produit de l’hégémonie américaine ?, Le Grand Continent, 18 mars 2020