D’après la carte du déconfinement dévoilée par le ministère de la santé, tous les territoires ultramarins sont classés verts, à l’exception de Mayotte1. La sévérité de la pandémie les affecte inégalement. En quoi l’Outre-mer est-il particulièrement affecté par le Covid-19 ? Pourquoi ces territoires inquiètent-ils au moins autant que la métropole face à l’ampleur de la crise ?  

Le Covid-19 fait craindre le pire dans les territoires d’Outre-mer du fait de leur caractère insulaire pour certains, de l’insuffisance des infrastructures médicales, de la précarité des populations et des difficultés de celles-ci à respecter les mesures de confinement et gestes barrière. La crise inquiète d’autant plus que certains territoires combinent le coronavirus et la dengue.

Le Covid-19 touche inégalement les territoires ultra-marins

Les îles de Wallis et Futuna n’ont connu aucun cas ; la Nouvelle Calédonie et la Polynésie commencent leur déconfinement. Mais une grande majorité des DROM-COM reste dans un état critique : Mayotte, qui passe au stade 3 de l’épidémie, compte à ce jour 650 cas et 6 décès ; La Réunion 423 cas et 8 décès, 181 en Martinique, 152 en Guadeloupe et 133 en Guyane2.

Il est très difficile de faire appliquer les mesures de confinement à des populations précaires et dispersées : 80 % des Mahorais3 vivent sous le seuil de pauvreté et une grande part de la population est d’origine immigrée et illégale, donc incontrôlable dans le cadre du respect des mesures de confinement. Les habitants continuent à s’attrouper autour des commerces, sur la plage, ou lors des enterrements. De plus, la crise sanitaire entraîne une pénurie alimentaire inédite. Cela entraîne un état d’insécurité critique, notamment à Mayotte, où l’on assiste à une intensification des violences contre les forces de l’ordre, comme en témoigne l’émeute à Mamoudzou le 3 mai suite à des rassemblements non autorisés.4

La Réunion et Mayotte subissent parallèlement une épidémie de dengue avec 12 décès à Mayotte, soit trois fois plus que le Covid-19. Avec la sur-médiatisation du Covid-19, l’épidémie de dengue passe au second plan, et les habitants tendent à sous-estimer son importance et à ne pas consulter. Les deux épidémies combinées risquent également d’entraîner des états d’immunodépression.

L’«  enfer sanitaire  » des territoires d’Outre-mer  

La crise du coronavirus révèle à quel point les territoires, dont les services de santé sont en crise depuis des années, sont inégalement préparés5. La Guadeloupe et la Martinique disposent d’une cinquantaine de lits d’hôpitaux pour 10 000 habitants, tandis que Mayotte n’en a que 16 pour 10 000, et La Réunion 1 pour 7 0006, tandis que la métropole compte en moyenne 30 lits en «  soins aigus  » pour 10 000 habitants7. Quant à la Guyane, son centre hospitalier peine encore à se reconstruire après un incendie en 2017. Très peu de lits sont équipés de respirateurs (un quart seulement à Mayotte). Le personnel de santé, directement touché par l’épidémie (à Mayotte, il représente 35 % des diagnostiqués), ne dispose même pas de l’équipement nécessaire à sa protection, certains sont contraints de porter le même masque deux à trois jours de suite. En outre, les 100 000 masques FFP2 qui ont été livrés à La Réunion étaient inutilisables car complètement moisis. L’état des services de santé n’est pas à la hauteur des besoins des populations, et ne peut faire face à une crise de cette ampleur.

Face à cet enfer sanitaire, comment les médecins envisagent-ils la sortie de confinement ? Une généralisation des dépistages est prévue, notamment par le centre Hospitalier de Saint-Martin, ainsi qu’un appui pour la fabrication locale de produits sanitaires, afin d’être autonomes dans la prochaine étape de la gestion de la crise. L’enjeu est d’empêcher une seconde vague de contamination provenant d’autochtones ou des populations aux frontières : Mayotte redoute l’immigration venue des Comores, et la Guyane les populations provenant du Brésil.

Le coronavirus renforce la fragilité du tissu économique ultramarin 

Les DROM-COM sont caractérisés par une forte précarité, comme l’indique le niveau de PIB par habitant : 21 460€ à La Réunion, 8 603€ à Mayotte, contre 32 736€ en métropole8. De même, le taux de chômage atteint 35 % à Mayotte, en 2018, contre 10 % en métropole.9

Les principales activités économiques – agriculture, pêche, tourisme – sont menacées de s’effondrer. Les agriculteurs ne peuvent écouler leur productions tant que les commerces sont fermés. Les pouvoirs publics tentent d’apporter un soutien financier, à l’instar de la Guyane qui débloque 9 millions d’euros pour soutenir les PME et artisans10. Le tourisme est un deuxième secteur économique des plus touchés. En Polynésie, le tourisme est la principale activité et représente jusqu’à 15 % du PIB, aujourd’hui ce secteur est à l’arrêt.

Les initiatives étatiques et locales cherchent aussi à pallier la pénurie alimentaire qui accompagne la crise sanitaire. La ministre de l’Outre-mer, Annick Girardin, a fait déployer une aide alimentaire massive d’une valeur totale de 1,3 million d’euros, distribués à Mayotte par la Croix Rouge.

Enfin, la crise sanitaire renforce la fracture scolaire et numérique. La Guadeloupe a mis en place un programme d’apprentissage à l’initiative du ministère, sous le label «  Nation apprenante  » offrant la possibilité aux élèves qui n’ont pas accès aux ressources pédagogiques en ligne de continuer à s’éduquer via les médias traditionnels11.

Opération résilience : le rôle opérationnel et symbolique des forces armées dans les DROM-COM

Le caractère insulaire de certains DROM-COM nécessite des moyens spécifiques pour gérer la crise, que l’armée est en mesure d’apporter. Face à l’aggravation de la crise en Outre-mer, l’opération Résilience a été lancée le 25 mars. La Marine Nationale a su répondre rapidement et efficacement à l’urgence de la situation. Deux porte-hélicoptères amphibies (le Mistral et le Dixmude) ont mené de multiples opérations, allant du transport de matériel sanitaire et alimentaire à l’évacuations de malades par voie maritime ou aérienne. Le Mistral cible dès le 4 avril La Réunion et Mayotte, où débarque 200 tonnes de fret (eau, denrées alimentaires, matériel sanitaire…), tandis que le Dixmude opère dans les Antilles où il décharge un poste médical d’évacuation, trois conteneurs de masques et quatre hélicoptères afin d’évacuer rapidement des malades depuis la Guadeloupe. Il effectue parallèlement des reconnaissances de plages pour préparer la saison cyclonique.

La mission a cependant fait l’objet de déceptions et de critiques. Dans la lettre ouverte du député de Mayotte du 27 mars, celui-ci évoque les désillusions des Mahorais. Il déplore que le Mistral n’ait pas rempli sa fonction de bateau-hôpital et en soit resté à une mission logistique de transport et de stockage12. Le navire pouvait largement compenser le déficit des capacités hospitalières à Mayotte, car il compte quatre fois plus de lits de réanimation par habitant que l’île.

Pourtant, outre la stabilisation de la région, la présence des armées dans les territoires ultramarins semble aussi répondre à une fonction symbolique : la France entend renforcer sa souveraineté régionale dans l’Océan Indien, où celle-ci est contestée — c’est notamment le cas de Mayotte, revendiquée par l’État comorien.

La crise sanitaire inédite du Covid-19 n’a fait que renforcer les fragilités des territoires ultramarins. Pour des raisons économiques, démographiques, de qualité des services de santé, l’épidémie y est plus difficile à contenir qu’en métropole.