Sur le plan historique, quelles ont été les différentes phases des relations sino-saoudiennes ?

Camille Lons1 : Sous Mao Zedong, la Chine a principalement développé des relations avec les pays non-alignés, et par conséquent les relations avec l’Arabie saoudite, qui se situait sous la protection des États-Unis étaient très limitées.

Dans les années 1980, la Chine a commencé à développer des ambitions de puissance à l’échelle mondiale. Cela correspond au moment où sa croissance économique s’est fortement accélérée, et avec elle, ses besoins en pétrole. Dans les années 1990, l’Arabie saoudite est devenue une source de pétrole importante pour la Chine.

Les relations sino-saoudiennes ont cependant réellement commencé à se développer après la visite du roi Abdallah en Chine, en 2006, et les visites du président Hu Jintao à Riyad en 2006 et 2009. Le commerce et les investissements entre les deux pays ont fortement augmenté.

Le développement de cette relation est à mettre en parallèle avec les tensions croissantes qui ont émergé entre l’Arabie saoudite et son allié principal, les Etats-Unis. Les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué un tournant dans les relations entre Washington et Riyad – 15 terroristes sur les 19 étaient des citoyens saoudiens. La réaction des Etats-Unis face aux Printemps arabes en 2011, et notamment le choix de l’administration Obama de ne pas voler au secours du régime de Moubarak en Égypte, a fortement alarmé les pays du Golfe quant la fidélité de leur allié en cas de crise. Plus tard, en 2015, la signature du traité sur le nucléaire iranien a été perçu comme une trahison par l’Arabie saoudite. Cela a poussé l’Arabie saoudite à diversifier ses partenariats avec d’autres puissances, notamment la Chine.

Dans le même temps, l’explosion de l’industrie du pétrole de schiste aux Etats-Unis a contribué à rendre l’économie américaine moins dépendante du pétrole saoudien. La Chine est devenue le premier importateur mondial de pétrole devant les Etats-Unis en 2016.

Romain Aby2 : Sur le plan historique, la relation sino-saoudienne était quasi inexistante jusqu’aux années 1990. En effet, avant 1990 (date de l’officialisation des relations bilatérales) il y avait des fractures politique et religieuse notables et jugées comme insurmontables pour les autorités saoudiennes. Le fait que le régime chinois soit communiste et athée empêchait le pouvoir saoudien à un quelconque rapprochement avec Pékin. De plus, l’Arabie saoudite (allié historique des États-Unis) entretenait de très bonnes relations avec Taïwan, de telle sorte que s’il n’y avait pas eu ces liens importants entre ces deux pays, il y aurait probablement eu un rapprochement plus tôt. Dans les années 1980, la Chine a tenté de court circuiter les réseaux de Taïwan au sein même du royaume saoudien. Un contrat d’armement (des missiles balistiques) est négocié par l’Arabie saoudite avec la Chine dans le dos des États-Unis, au cours des années 1980. Ce travail de sape chinois marque la fin des relations de Riyad avec Taipei et l’officialisation de l’ouverture de relations diplomatiques entre Riyad et Pékin.

La relation sino-saoudienne se développe en trois temps :

  1. Dans cette nouvelle relation, les années 1990 sont caractérisées par un rapprochement entre les deux régimes symbolisé par une succession de visites officielles avec comme point majeur, la visite du président chinois Jiang Zemin à Riyad, en 1999. Lors de cette venue, un partenariat stratégique sur le pétrole est signé, la relation sino-saoudienne prend un nouveau tournant avec une montée rapide des échanges pétroliers. Pour Pékin, il était vital de trouver un producteur pétrolier fiable et capable de suivre le rythme de sa croissance économique. Il est à noter que dans les années 1990 le pétrole n’était pas central dans la relation bilatérale, mais ceci va rapidement changer.
  2. Dans les années 2000, la relation se développe autour de deux axes. D’une part, le pilier de la relation résulte désormais du partenariat pétrolier. D’autre part, la relation entre les deux pays s’élargit à d’autres partenariats stratégiques. Les attentats du 11 septembre 2001 représentent, en effet, un moment de tensions majeures entre Riyad et Washington. Dans ce contexte, de plus en plus de liens sont noués entre les milieux d’affaires saoudiens et les marchés chinois. L’arrivée sur le trône du roi Abdallah en 2005 accentue cette ouverture de l’Arabie saoudite à l’Asie. Ce processus s’intègre dans une dynamique, initiée en 2001, qui témoigne de la volonté du régime saoudien de contrebalancer sur un plan diplomatique l’ultra-dépendance à l’allié américain, il s’agit donc principalement de trouver une carte diplomatique complémentaire.   
  3. Le temps qui s’ouvre à partir de 2011 et des révolutions arabes, marque la volonté de Pékin d’exister par de nouveaux biais. La Chine, désormais puissance économique émergée, axe en partie sa politique sur le développement de son soft power dans le Golfe en s’inspirant par exemple du modèle russe dans le cybermonde arabophone (RT Arabic et Sputnik). Elle essaye de développer sa présence par la voie culturelle, en ouvrant sa chaîne CCTV en arabe et en développant des liens dans le domaine de la recherche… Le régime chinois poursuit la volonté de devenir plus qu’un simple allié économique pour Riyad, il souhaite se montrer comme une possible alternative aux États-Unis et devenir un potentiel vecteur de puissance dans la région sur le plan sécuritaire.        

Dans quels cadres s’inscrit aujourd’hui la relation entre les deux États ?

Romain Aby : L’Arabie saoudite est le dernier pays arabe à avoir officialisé ses relations diplomatiques avec la Chine mais c’est l’État qui s’est rapidement affirmé comme son premier partenaire dans la région. Pour le régime saoudien, il y a un besoin et une volonté de trouver des alternatives aux États-Unis. Dans le Golfe, la carte russe n’est pas autant présente dans les esprits qu’au Proche-Orient. Ce sont les Chinois qui sont perçus comme une alternative viable aux États-Unis. De 2003 à 2007, l’Union européenne était perçue comme un autre choix possible mais elle ne l’a été que sur un plan économique. Le débat c’est ainsi recentré sur la Chine qui apparaît comme l’alternative la plus probable. Dans les discours qui émanent du Golfe, notamment à travers l’ensemble des médias régionaux c’est l’analyse qui apparaît très souvent, mais il faut ici séparer le fantasme de la réalité, seul l’avenir nous dira quel rôle occupera la Chine.

Camille Lons : Les deux pays ont signé un partenariat stratégique global- Comprehensive Strategic Partnership- en 2016, lors de la visite de Xi Jinping en Arabie saoudite. Ils ont rapidement développé leurs relations économiques, mais aussi politiques et, dans une moindre mesure, militaires, ces dix dernières années. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Arabie saoudite. Le pétrole est un pilier de cette relation. Mais c’est une relation qui est devenue plus politique et stratégique ces dernières années. MbS est retourné rencontrer Xi Jinping en Chine en 2019, quelques mois après le scandale Khashoggi. L’Arabie saoudite a introduit l’apprentissage du chinois à l’école et il y a un nombre accru d’échanges universitaires et culturels. Sur le plan militaire, l’Arabie saoudite reste très proche des Etats-Unis, mais achète du matériel militaire chinois, notamment des missiles balistiques, et a donné son accord pour ouvrir la première usine chinoise de drones. La Chine a par ailleurs organisé des exercices navals avec l’Arabie saoudite à Jeddah, en novembre 2019.

Quels intérêts trouvent ces deux pays dans le développement de cette relation ?

Camille Lons : Le pilier de la relation entre l’Arabie saoudite et la Chine aujourd’hui est le pétrole. Même si la relation s’est progressivement diversifiée et approfondie, notamment sur les volets politique, culturel et sécuritaire, les échanges sont avant tout économiques, et les importations en énergie constituent 67 % des importations totales de la Chine en provenance d’Arabie saoudite. Pour l’Arabie saoudite, dont la Chine est le premier importateur de pétrole mondial, l’enjeu majeur est de compenser la chute des importations américaines dues à l’explosion du pétrole de schiste aux Etats-Unis et de maintenir des revenus pour une économie encore très dépendante du pétrole. Côté chinois, il s’agit de répondre aux besoins énergétiques toujours croissants de son économie. L’Arabie saoudite est devenue, avec la Russie, sa première source d’approvisionnement en pétrole.

Un autre volet intéressant de la relation Chine-Arabie saoudite est la position stratégique du royaume sur la mer Rouge, qui est un canal majeur pour le commerce maritime entre la Chine et l’Europe. Maintenir la stabilité politique et sécuritaire de la région est très important pour les intérêts chinois.  

Romain Aby : Pour le régime chinois la relation a pendant longtemps été essentiellement basée sur le pétrole pour alimenter sa croissance économique. Pékin voit également dans l’Arabie saoudite un des piliers régionaux qui possède de plus un rayonnement religieux important et qui est un relais majeur pour peser dans de nombreux dossiers aux Proche et Moyen-Orient. 

Pour la diplomatie chinoise, il s’agit d’un véritable exercice d’équilibriste sur tous les dossiers régionaux, entre les pôles saoudien et iranien. Quand la situation devient très compliquée la Chine revient au business. Le régime chinois développe l’idée qu’il y a une place pour tout le monde sur son projet de Nouvelle Route de la Soie, les Iraniens se trouvent bien sûr sur le tracé terrestre, pour les Saoudiens c’est plus compliqué. Au niveau terrestre, ils sont excentrés au sud du tracé, mais en ce qui concerne le tracé maritime cette nouvelle route longe ses côtes de la mer Rouge. Une communication bilatérale a été développée par l’Arabie saoudite et la Chine mettant en avant l’idée que le projet chinois et la Vision 2030 saoudienne allaient de pair. Ainsi, certains projets industriels sino-saoudiens en bord de mer Rouge à Yanbu ou à Jizan sont présentés comme faisant partie de la nouvelle Route de la Soie. En réalité, ces projets étaient antérieurs à l’officialisation du projet de Nouvelle Route de la Soie mais ont été assimilés dans le discours médiatique officiels des deux régimes pour créer du liant entre le projet saoudien et le projet chinois.

Pour les Saoudiens cette relation constitue une assurance de trouver un point de chute pour leur pétrole et de fidéliser un client s’inscrivant dans un partenariat pétrolier de long terme. C’est aussi une manière de diversifier ses alliances et ses fournisseurs surtout dans le contexte actuel de repli sur soi de l’allié historique américain qui devient autonome sur le plan énergétique.

Du point de vue de l’Arabie saoudite, comment perçoit-elle les relations multipolaires entretenues par la Chine au Moyen-Orient et plus particulièrement dans le Golfe avec l’Iran ?

Romain Aby : Il y a une forme d’alignement général du discours officiel, des médias et de la population saoudienne, tous ont pour idée que la Chine est plus proche des Arabes du Golfe que de l’Iran dont Pékin peut se passer. La Chine est vue comme un partenaire indiscutable des Arabes. C’est une vue de l’esprit parce que la diplomatie chinoise n’appréhende pas les choses de cette façon.

Camille Lons : L’Arabie saoudite ne s’offusque pas de la relation que la Chine entretient avec Téhéran. Les Saoudiens acceptent parfaitement la ligne d’équilibre et de non-intervention que maintient Pékin, ils acceptent que la relation soit avant tout économique. Mais quelque part, cela tient aussi au fait qu’ils en attendent moins de la Chine que des Etats-Unis quand il s’agit de sécurité régionale. Par contre, cela ne les empêche pas de tenter à tout prix de renforcer la dépendance économique et énergétique de la Chine, pour éventuellement faire pencher la balance politique en leur faveur, même s’ils ne s’attendent pas à ce que Pékin tourne le dos un jour à Téhéran3. La guerre des prix du pétrole actuellement et les réductions accordées à leurs clients asiatiques fait partie de cette stratégie géo-économique de Riyad.4

Comment la Chine perçoit-elle la place et l’action de l’Arabie saoudite dans la région ? Dans quel cadre investit-elle cette relation ?    

Camille Lons : L’Arabie saoudite a longtemps été un interlocuteur clé de la Chine dans la région. Elle fait partie des rares pays du Moyen-Orient avec l’Égypte, l’Iran et l’Algérie dès 2016, puis 2018 pour les EAU à avoir un Comprehensive Strategic Partnership avec la Chine, qui représente le plus haut niveau de partenariat avec Pékin. La Chine perçoit l’Arabie saoudite comme un acteur majeur. La relation du royaume avec les États-Unis en font à la fois un partenaire compliqué pour Pékin qui est conscient que l’Arabie saoudite n’est pas prête de mettre en danger sa relation avec les USA pour la Chine, et en même temps stratégique car en s’en rapprochant, la Chine touche directement aux intérêts américains dans la région. Ces toutes dernières années, la centralité de l’Arabie saoudite a cependant été légèrement éclipsée par la montée des Émirats arabes unis. Les EAU ont très activement cherché à attirer l’attention de la Chine. Ils ont beaucoup mis en scène la relation entre Mohammed bin Zayed Al-Nahyan (MbZ) et Xi Jinping lors de la visite de ce dernier en 2018. Ils ont envoyé une délégation de plus haut niveau lors du Forum de la BRI (Belt and Road Initiative nommée en français Nouvelle Route de la Soie) en 2019. Ils ont été très proactifs dans leur soutien à la Chine pendant la crise du Covid-19. En parallèle, les politiques très musclées et imprévisibles de MbS ces dernières années notamment lors de la crise avec le Qatar, la guerre au Yémen etc… ont fait naitre quelques doutes à Pékin sur la viabilité de l’Arabie saoudite comme partenaire.

Romain Aby : La Chine perçoit l’Arabie saoudite comme un acteur régional majeur qui doit être pris en compte dans le développement de sa diplomatie au Moyen-Orient et avec les pays arabes. Toutefois, le régime chinois ne voit pas dans l’Arabie saoudite un acteur régional supérieur, qui serait au centre de tout, contrairement à ce que les Saoudiens ont tendance à penser. Du point de vue chinois c’est également le caractère religieux du royaume saoudien qui ressort. Avoir accès à l’Arabie saoudite c’est en quelque sorte se rendre audible dans bon nombre d’états arabes sunnites de la région.

Ces deux États se préoccupent-ils des affaires intérieures de l’autre pays ?

Romain Aby : C’est un facteur important dans la relation développée par les deux États. L’Arabie saoudite est attirée par le fait que la Chine ne crée pas d’interférences dans les affaires intérieures au royaume. Les deux États sont très satisfaits de cette situation, avec la construction d’une relation bilatérale qui n’est pas conditionnée par des sujets internes. Par exemple, l’Arabie saoudite du fait de sa place centrale au sein du monde musulman, pourrait (en théorie) se préoccuper du sort des Ouïghours, mais elle ne le fait pas officiellement. Ce sujet est ainsi peu couvert par les médias saoudiens, il est juste relayé lorsque la question apparaît massivement dans la presse internationale mais il s’agit rarement d’articles originaux. La volonté de préserver le pouvoir chinois est vraiment notable. Dans cette relation les intérêts économiques priment sur le reste. De même, tous les contrats compliqués sont passés sous silence par les médias nationaux des deux pays.      

Camille Lons : La Chine insiste beaucoup sur les principes de non-intervention dans les affaires domestiques et de respect de la souveraineté. Cela fait d’ailleurs partie des éléments qui séduisent des régimes comme l’Arabie saoudite, qui perçoivent les pressions des puissances occidentales sur leur traitement des droits de l’Homme comme hypocrites et condescendants. En retour, cela met l’Arabie saoudite dans une position délicate vis-à-vis du traitement que la Chine fait de ses minorités musulmanes, notamment les Ouïghours. L’Arabie saoudite s’est toujours positionnée en leader du monde musulman et défenseur des musulmans discriminés dans le monde. Son silence forcé sur la question des Ouïghours est très problématique en termes d’image, aussi bien auprès de sa propre population que dans le reste du monde musulman.

Entre pays du Conseil de Coopération du Golfe, y-a-t-il une compétition vis-à-vis de la Chine d’ordre économique ou stratégique ?

Camille Lons : Les pays du CCG voient l’importance de la Chine principalement sous l’angle économique, la compétition est forte pour attirer l’attention des entreprises chinoises. Sur le plan stratégique, il y a un sentiment fort que l’ordre mondial et régional est en train de changer, et que la Chine va jouer un rôle croissant, mais cela reste encore très embryonnaire et incertain.

Romain Aby : Dans mes recherches, je n’ai pas perçu de réelle compétition entre pays du Conseil de Coopération du Golfe, sur ce point, la compétition existe avant tout pour l’Arabie saoudite avec l’Iran. La seule rivalité potentielle qu’il pourrait y avoir c’est avec les Émirats arabes unis. Il y a une forte présence chinoise dans ce pays, mais les deux États n’adoptent pas la même stratégie dans leur approche de la Chine.

D’après vous, quel est le principal enjeu à venir dans cette relation sino-saoudienne ?

Romain Aby : Honnêtement, le principal enjeu demeure l’approfondissement des liens noués entre les deux pays. Il s’agit de créer du liant entre les projets économiques saoudien de Vision 20305 et chinois de Nouvelle Route de la Soie en traduisant ce qui apparaît comme théorique, en concret. L’objectif pour les deux pays est de trouver de vrais projets de partenariats en Arabie saoudite et même en Chine sur le long terme. Il est à ce titre intéressant d’observer, à moyen terme, l’évolution des entreprises saoudiennes qui ont investi ces dernières années de l’argent dans les raffineries chinoises pour traiter le pétrole lourd, ce que les Chinois ne savent pas bien faire. Par ailleurs, il s’agit également de renforcer des partenariats sur le plan culturel. Jusqu’à présent, cela n’avance pas beaucoup notamment dans les partenariats universitaires mais il existe une réelle envie de créer un projet sur le long terme dans le but de nouer des liens solides.

Camille Lons : Le principal enjeu va se trouver autour des évolutions des conditions économiques dans le Golfe. La relation est principalement économique, et principalement centrée sur le pétrole, c’est sans doute là sa fragilité principale. La Chine est consciente des risques de reposer trop fortement sur des importations de pétrole venant d’une région instable politique. Elle fait des efforts croissants pour diversifier ses sources énergétiques, sa dépendance énergétique envers l’Arabie saoudite a été réduite de 20.7 % à 10.7 % entre 2009 et 2018. Le monde entier est en train de chercher des sources d’énergies plus renouvelables. Le Golfe a beau tenter de préparer l’après-pétrole, il est possible que l’Arabie saoudite ne reste pas éternellement un pays stratégique pour l’économie mondiale comme elle a pu l’être ces dernières décennies. Et dans ce cas, sa relation avec la Chine déclinerait aussi.

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La Chine peut-elle mettre la crise du Covid-19 a son profit dans sa relation avec l’Arabie saoudite ? 

Camille Lons : Il est encore trop tôt pour savoir comment la crise du Covid-19 va se développer dans les mois qui viennent. La Chine a lancé une grande offensive médiatique et humanitaire pour tenter d’apparaître comme un acteur positif dans cette crise, et amenuiser la vague de sentiment anti-chinois que l’épidémie avait initialement généré dans certains pays6. En Arabie saoudite comme partout, l’épidémie a généré quelques manifestations de méfiance ou de racisme anti-chinois, mais qui ont été rapidement jugulées. De manière plus importante, la crise a surtout déclenché une guerre des prix du pétrole entre l’Arabie saoudite et la Russie, qui pourrait être bénéfique à la Chine – des prix du pétrole plus bas vont sans doute amortir le coût économique de la crise.

Romain Aby : Il est à l’heure actuelle très compliqué de répondre à cette question, mais ce que l’on voit pour le moment c’est qu’il y a un exercice de rapprochement qui est mis en scène par les médias nationaux à travers la distribution d’aides. Lorsque la crise sanitaire frappait la Chine, l’Arabie saoudite apportait de l’aide à Pékin et lorsque la pandémie a éclaté à l’échelle mondiale, c’est la Chine qui a fourni du matériel au régime saoudien. Au-delà de cette communication positive, il apparaît dans les médias du Golfe et sur les réseaux sociaux des discours qui mettent en avant le fait que la Chine va sortir comme la grande gagnante de cette pandémie parce qu’elle a pris des mesures strictes de confinement tandis que les Occidentaux, au premier rang desquels les États-Unis, seront encore sous la vague parce qu’ils ont tardé à réagir face à la crise sanitaire. Ce n’est que spéculatif mais c’est ce qui apparaît pour l’instant. Au-delà du renforcement économique, ce qui est présent dans de nombreux esprits de la région c’est que la Chine pourrait se substituer dans la zone aux États-Unis. En réalité, ce n’est pas le cas parce que la Chine n’a pas les capacités sur le plan militaire de Washington, de plus, elle reste encore suffisamment éloignée des enjeux politiques du Moyen-Orient. Par contre, le renforcement économique de la Chine est très probable, la situation actuelle va vraisemblablement avoir comme effet une accélération du processus économique engagé par la Chine dans le Golfe lors des vingt dernières années, mais elle aura somme toute peu d’impact en termes politique et militaire.   

Sources
  1. Camille Lons est Research associate à l’IISS (International Institute for Strategic Studies) au Bahreïn, où elle mène des recherches centrées sur les pays du Golfe et les questions sécuritaires, elle s’intéresse plus particulièrement aux relations politiques et économiques des pays du CCG avec les pays de la Corne de l’Afrique ainsi qu’avec les pouvoirs asiatiques.
  2. Docteur en géopolitique, Romain Aby est l’auteur d’une thèse sur l’Analyse géopolitique des relations bilatérales entre l’Arabie saoudite et la Chine (1990-2017), il est désormais fondateur et directeur du cabinet de conseil en géopolitique Rumi Consulting.
  3. RAMOND Pierre, Le rôle de la Chine dans la préservation de l’accord sur le nucléaire iranien, Le Grand Continent, 5 aout 2018
  4. PELEGRIN Clémence, Prix du pétrole  : un accord historique qui ne rassure pas les marchés, Le Grand Continent, 14 avril 2020
  5. DENTICE Giuseppe, Les difficultés de la vision saoudienne, Le Grand Continent, 16 septembre 2018
  6. BERNARDINI Giovanni, La Chine et la pandémie  : essais de soft power  ?, Le Grand Continent, 21 avril 2020