Riyad. La période noire continue pour l’Arabie saoudite après le report sensationnel de l’introduction en bourse pour l’acquisition de 5 % du géant national de l’énergie, Saudi Aramco, le 26 août dernier. Cette fois, c’était le tour du prince Ahmed bin Abdulaziz, frère du roi Salman, de jeter une nouvelle ombre sur la difficulté des relations de famille et les complots saoudiens de pouvoir et de palais. Comme le rapporte le Middle East Eye (2), le prince Ahmed bin Abdulaziz, membre influent de la famille royale saoudienne, s’est publiquement distancié des dernières initiatives du monarque et notamment de son neveu-factotum, Mohammed bin Salman, ministre de la Défense, prince héritier et chef du programme de réforme « Vision 2030 » (5).

Le 4 septembre, lors d’une visite à Londres, le prince Ahmed a été critiqué par des manifestants des droits de l’homme qui ont fortement attaqué la politique étrangère très ferme de Riyad, en particulier envers la population civile au Yémen et au Bahreïn. Le prince saoudien a cependant réagi d’une façon très virulente, cherchant plutôt à se distancier des initiatives de ceux qu’il a définis comme des « individus spécifiques » responsables de ces maux au sein de la maison al-Saud. Le prince n’a critiqué personne en particulier, mais beaucoup ont vu dans cette réaction une attaque indirecte contre son neveu Mohammed bin Salman (4). Bien qu’une déclaration de la Saudi Agency Press (Spa) ait déclaré que le prince Ahmed ne voulait blâmer personne, expliquant que le roi saoudien avait été à son corps défendant associé à des déclarations « inexactes », qui s’expliquent par l’incompréhension ou le malentendu entre les parties,les faits témoignent d’une phase de transition politique sensible inaugurée par l’Arabie Saoudite. En effet, cet épisode, ainsi que le report de l’introduction en bourse de Saudi Aramco, a engendré nombre d’interrogations sur la faisabilité réelle ou partielle des propositions réformistes radicales de Mohammed bin Salman. En outre, elle a surtout mis en lumière les risques intrinsèques qui existent derrière ces nombreuses tensions au sein de la famille royale qui sont également apparues publiquement, ce qui constitue une nouveauté absolue dans la stratégie saoudienne, habituellement discrète et silencieuse (1).

Selon les propos de David Rosenberg à Haaretz, cette combinaison de situations pourrait ouvrir la porte à une nouvelle nomination, décrétant ainsi le début de la fin pour la courte ère Mohammed bin Salman. Il est inévitable de penser que tout changement au sommet ou dans les hiérarchies de pouvoir de Riyad pourrait avoir des effets en chaîne non seulement dans les rapports de force saoudiens ou régionaux limités à la zone du Golfe, mais aussi à un niveau plus large, impliquant les principaux dossiers de la politique internationale (conflit en Syrie, crise du Golfe avec le Qatar et question israélo-palestinienne), les acteurs du Moyen-Orient (Iran et Israël avant tout), et les acteurs internationaux (ils ne seraient pas à exclure des répercussions sur les relations avec les États-Unis) (3).

Perspectives :

  • Le mécontentement plus ou moins flagrant du prince Ahmed à l’égard de Mohammed bin Salman n’est pas nouveau, puisqu’il était l’un des trois membres du Conseil de l’alliance à s’opposer à la nomination de son petit-fils comme prince héritier. Cet épisode confirme également les tensions personnelles non résolues avec d’autres membres importants de la grande famille royale saoudienne concernant la succession au trône et la gestion des leviers du pouvoir.
  • L’impasse dans laquelle se trouvent les réformes reflète probablement les grandes difficultés récemment apparues relatives à la recherche des ressources économiques nécessaires (avec l’entrée en bourse de Saudi Aramco, les autorités saoudiennes pensaient récupérer 2 milliards de dollars) pour lancer cet éléphant dans le processus réformateur. Bien que le ministère des Finances ait nié toutes les spéculations journalistiques concernant la faisabilité des plans saoudiens, justifiant le report de l’introduction en bourse pour des raisons techniques, il n’a pas pu ou n’a pas su répondre aux questions concernant la récupération d’énormes ressources alternatives pour lancer le plan de réformes radicales. C’est pourquoi, une fois de plus, il est très délicat de voir le rôle joué par les franges non alignées sur Mohammed bin Salman qui résisteraient à ses plans ambitieux de renouvellement et qui viseraient à l’affaiblir considérablement dans ses fonctions publiques et politiques.

Sources :

  1. GRAND Stephen, Saudi’s Vision 2030 Continues to Solicit Concerns, Atlantic Council, 11 septembre 2018.
  2. HEARST David, Exclusive : Saudi king’s brother is considering self exile, Middle East Eye, 7 septembre 2018.
  3. ROSENBERG David, Aramco Flop : Beginning of the End for Crown Prince MBS’ New Saudi Arabia, Haaretz, 27 août 2018.
  4. Saudi king’s brother condemns war in Yemen, blames crown prince for devastating conflict, The New Arab, 4 septembre 2018.
  5. Vision 2030 : Pour plus d’informations sur le programme Vision 2030 en Arabie saoudite, veuillez consulter le site Web du gouvernement à l’adresse suivante http://vision2030.gov.sa/en.