Brasilia. Selon les données du ministère de la Santé, le 30 mars, le pays a enregistré 4 256 cas confirmés et 133 décès dus au COVID-191. Il est nécessaire de souligner que le Brésil a été l’un des derniers pays d’Amérique latine à prendre des mesures plus strictes face au nouveau coronavirus (SRAS-CoV-2)2. Ces initiatives ont été pour la plupart initiées par les gouverneurs et les maires des États dans le but de contenir la propagation, en raison d’un nombre limité de lits en soins intensifs offerts par le Système de Santé Unifié. Pour l’opposition, le chef de l’exécutif, le président Jair Bolsonaro (PSL), a minimisé la pandémie à plusieurs reprises, qualifiant les complications résultant du coronavirus de « grippe », en plus de qualifier les mesures de confinement social comme des syndromes d’une « hystérie » collective3.

Dans un contexte d’isolement politique du président, la relation du président avec les forces armées pourrait être essentielle pour soutenir le gouvernement sur le plan politique. Selon les données de Latinobarómetro de 2018, les forces armées sont la deuxième institution en laquelle la population brésilienne a le plus confiance (58 %), après l’Église (73 %)4. Depuis son élection, Jair Bolsonaro a nommé une proportion sans précédent de militaires à la tête des ministères : huit des vingt-deux ministères sont dirigés par les militaires. Cette tendance s’est accentuée avec la nomination de militaires pour occuper des postes au plus haut niveau du gouvernement : le général Walter Souza Braga Netto (Casa Civil) et le général Luiz Eduardo Ramos (Secrétariat du gouvernement). Actuellement, sur les quatre ministères situés au Palais du Planalto, trois sont occupés par du personnel militaire et un par un policier militaire5. Il est certain que depuis la fin du régime militaire, le Palais du Planalto n’a jamais été aussi vert olive.

La séparation entre les officiers qui participent au gouvernement et les institutions militaires, une question d’une importance évidente pour sauvegarder la réputation de l’institution à laquelle les officiers appartiennent, reste fragile. Cette indistinction entre le gouvernement et le haut commandement des institutions militaires peut entraîner, après un mandat présidentiel, une perte de prestige des forces armées auprès de la population face aux performances insatisfaisantes du gouvernement et aux exigences économiques et sociales. De plus, il est certain que ce qui était au départ l’identification de certains généraux au projet politique du gouvernement de lutte supposée contre la corruption, révèle ses limites, dans la mesure où le monde de la politique implique la négociation avec des groupes d’opinions distinctes. Le départ du général Santos Cruz du secrétariat de la présidence le 13 juin 2019 est un exemple de ces tensions internes6.

Après la première année de l’administration Bolsonaro, la possibilité que les militaires « paient la note » pour l’incompétence du gouvernement est un sujet de préoccupation dans les casernes. Il est à noter que dans l’une de ses dernières interviews, en décembre 2019, le général Villas Boas, ayant déjà quitté ses fonctions en tant que commandant de l’armée, a souligné la nécessité de distinguer « l’armée du gouvernement de l’armée »7. L’actuel commandant de l’armée, le général Leal Pujol, s’est caractérisé par le maintien d’une distance technique avec le Palais du Planalto et, plus précisément, avec le secteur « olavista » qui compose le gouvernement, considéré comme radical par le monde militaire. Cette posture est notoire, si l’on tient compte du fait que, précédemment, l’ancien commandant de l’armée s’est clairement positionné, de manière politique, sur le vote de l’habeas corpus de l’ancien président Lula8.

C’est à la lumière de ce contexte d’une recherche de différenciation entre le gouvernement Bolsonaro et les forces armées qu’il faut lire la déclaration officielle du commandant de l’armée face à la pandémie COVID-19. Dans un discours publié le 24 mars 2019, s’écartant du discours adopté par le président Bolsonaro, le général Pujol a déclaré que le moment est « un moment de soins et de prévention », en plus de « beaucoup d’action » de la part de l’armée brésilienne. Bien que tardivement, des directives d’hygiène ont été émises à l’intention des écoles militaires. Le général a également souligné que « c’est peut-être la mission la plus importante de notre génération » et que « si notre patrie est menacée, nous nous battrons sans crainte »9. Pour l’opposition, Bolsonaro a défendu dimanche dernier, le 29 mars, l’ouverture des services non essentiels. La dissonance entre le gouvernement et les forces armées est claire, et elle favorise le rapprochement du secteur militaire, qui compose le gouvernement, du vice-président Hamilton Mourão (PRTB), au détriment du président.

Perspectives :

  • Historiquement, l’armée a mené des activités sociales et civiques auprès de la population la plus vulnérable. Il est probable que l’armée participera plus activement dans les semaines à venir à la désinfection des rues, des bâtiments publics, des transports publics, aux campagnes de vaccination et à la distribution de nourriture et de médicaments.
  • Avec l’aggravation probable de la crise sanitaire au Brésil dans les prochaines semaines, on peut s’attendre à un changement de discours de Jair Bolsonaro en reconnaissance de la gravité de la situation. Cette attitude ne serait pas nouvelle parmi les gouvernements populistes, à l’instar du changement de posture adopté par Donald Trump.
Sources
  1. Données du Ministère de la Santé du Brésil
  2. Países latino-americanos fecham fronteiras para conter pandemia de coronavírus, ISTO É, 16 mars 2020
  3. ESTRADA Gaspard, Jair Bolsonaro met en péril la vie des Brésiliens et leur démocratie, Le Grand Continent, 30 mars 2020
  4. Latinobarometro 2019/2020
  5. BARRUCHO Luis, Brasil de Bolsonaro tem maior proporção de militares como ministros do que Venezuela ; especialistas veem riscos, BBC Brasil, 26 février 2020
  6. Entretien au General Santos Cruz réalisée par Anaís Passos et Rafael Villa, 13 février 2020, Brasília
  7. ‘Temos que distinguir militares do governo do Exército’, General Villas Bôas, Decada de Ruptura, O Globo, 15 décembre 2019
  8. Na véspera de julgamento sobre Lula, comandante do Exército diz repudiar impunidade, Folha de Sao Paulo, 3 avril 2018
  9. Exército Brasileiro, Mensagem do Comandante do Exército, 24 mars 2020