Brasilia. La pandémie du coronavirus secoue le monde entier. Au Brésil, tout indique que cette crise sanitaire aura des conséquences dévastatrices. Face à cela, il semblerait indispensable que le gouvernement brésilien prenne des mesures d’urgence afin d’éviter que le COVID-19 ne se transforme également en une hécatombe économique, sociale et politique. 

Cependant, le gouvernement de Jair Bolsonaro ne va pas dans cette direction. Au lieu de passer son temps sur Twitter, le président devrait s’occuper de l’énorme défi sanitaire qu’affronte son pays. 

L’ex-capitaine de l’armée n’a pas assumé son rôle de chef d’Etat face à l’urgence, et au lieu de dialoguer avec l’opposition pour affronter ensemble cette crise, il a décidé de poursuivre ses attaques incessantes contre les institutions démocratiques brésiliennes, la gauche, et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui. Sa décision de soutenir une série de manifestations en faveur de la fermeture du Congrès et de la Cour Suprême – violant ainsi la quarantaine à laquelle il était tenu sur recommandation médicale –, a suscité le rejet de la société.

Depuis lors, de nombreux citoyens ont commencé à demander sa démission depuis leurs balcons. Et cette idée a également commencé à se répandre dans la classe politique  : trois demandes de destitution ont été présentées formellement à la Chambre des Députés. C’est ainsi que les fantômes d’une éventuelle destitution du président sont revenus dans ce pays.

Bolsonaro affronte la pire crise sanitaire moderne du Brésil dans un contexte d’isolement politique. Les dirigeants du Congrès, les membres de la Cour Suprême et plusieurs gouverneurs des états sont en tension permanente avec son gouvernement. Et le mardi 24 mars, après sa déclaration à la télévision, le président a aggravé davantage sa précaire situation au Palais du Planalto1. Dans son message à la nation, il a maintenu sa posture de confrontation politique et de négation des évidences scientifiques (le coronavirus est, selon lui, une «  petite grippe  »). Les conséquences sont graves  : la crise sanitaire et le choc économique qui s’approchent pourraient se traduire par une crise politique dont les effets les plus profonds seront ressentis non seulement par le gouvernement Bolsonaro mais aussi – et surtout – par la démocratie brésilienne, fortement mise à l’épreuve depuis quelques années.2

A l’issue d’une année de mandat, il est clair que Bolsonaro a rejeté l’idée de construire une majorité politique au parlement. Quelques-uns des  groupes qui ont soutenu sa présidence jusqu’à présent – les milieux d’affaires, le secteur agro-exportateur, les églises évangéliques3 et les militaires et policiers – ont commencé à prendre leurs distances. Pour les uns, parce que leurs priorités ont été satisfaites, comme la réforme des retraites ou la libéralisation des pesticides. Pour les autres, parce que la politique de confrontation permanente menée par le président commence à desservir leurs intérêts  : les attaques contre la Chine (le principal partenaire commercial du Brésil) d’Eduardo Bolsonaro, un des fils du président, et d’Ernesto Araujo, le ministre des Affaires Etrangères, ont suscité la colère d’une partie du secteur agro-exportateur.4

Bolsonaro ne souffre pas seulement sur le front politique. L’économie est un autre facteur de préoccupation. L’arrivée du COVID-19 se traduira inévitablement par une chute significative de l’activité économique. Les recettes néolibérales de son Ministre de l’Économie, Paulo Guedes, n’ont pas eu d’effet et ne seront pas en mesure d’affronter la récession économique qui s’annonce (le Brésil aura une chute du PIB d’au moins 4 pour cent, selon une étude de la Fondation Getulio Vargas5). Si nous y ajoutons le fait que le système de santé publique aura besoin d’un soutien massif afin d’éviter l’asphyxie, Bolsonaro va affronter une situation économique et sociale explosive ces prochains mois. 

Face à ce scénario potentiellement cauchemardesque, le Brésil suscite l’inquiétude. Pour affronter le COVID-19, il serait nécessaire que le gouvernement brésilien prenne des mesures drastiques qui suivent les recommandations des autorités sanitaires internationales, telles que l’OMS. Et pour que ces décisions soient adoptées par la majorité de la population, la construction de consensus est indispensable. Cependant, il est difficile de penser que cela se produira  : le président ignore les recommandations médicales de son propre gouvernement, mine les actions de son Ministre de la Santé et donne des gages aux théories conspirationnistes au sujet du coronavirus. Le dimanche 29 mars, il a même déclaré qu’il était tenté de signer un décret «  pour que tous les brésiliens reprennent le travail  », en sachant parfaitement que cette mesure peut entraîner la mort de très nombreux de brésiliens.6

C’est pour cela que le rôle des autres pouvoirs, de l’opposition et de la société civile est plus importante que jamais, non seulement pour contrôler les mesures mises en œuvre par le gouvernement pendant cette crise, mais aussi pour dénoncer les possibles attaques de Bolsonaro contre les institutions. Si Bolsonaro perd le soutien des secteurs qui l’ont soutenu jusqu’à présent, ce dernier pourrait être tenté de profiter de cette crise pour mettre en œuvre un agenda autoritaire qui ampute la démocratie brésilienne, à l’image de la Hongrie. L’institution militaire, qui est devenue la principale alliée de Bolsonaro (plus du tiers des membres du gouvernement en font partie), sera particulièrement mise à l’épreuve dans les prochaines semaines.

Depuis le retour de la démocratie, dans les années 1980, seuls deux des cinq présidents élus réussirent terminer leur mandat. Si la situation politique n’évolue pas, le gouvernement Bolsonaro pourrait se joindre à cette liste. À moins que ce dernier, afin de se maintenir au pouvoir, ne donne un coup de grâce à la démocratie brésilienne.

Sources
  1. La siège officiel et le lieu de travail du président de la République fédérative du Brésil
  2. WATSON Katy, Coronavirus : Brazil’s Bolsonaro in denial and out on a limb, BBC, 29 mars 2020
  3. BOULAL Anwar-Gabriel, La naissance de l’axe évangélique américain, Le Grand Continent, 17 janvier 2019
  4. PHILLIPS Tom, Bolsonaro’s son enrages Beijing by blaming China for coronavirus crisis, The Guardian, 19 mars 2020
  5. Coronavirus – Le Brésil prévoit une croissance quasi nulle en 2020, Le Soir, 20 mars 2020
  6. TRAVAGLINI Fernando, Defiant Bolsonaro Takes Virus Message to the Streets in Brazil, Bloomberg Quint, 30 mars 2020
Crédits
Gaspard Estrada (@Gaspard_Estrada) est directeur exécutif de l’Observatoire Politique de Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) de Sciences Po.