Pourquoi parle-t-on des tests ? Les succès asiatiques en perspective

Retranchés dans une stratégie de confinement à l’horizon incertain, les pays occidentaux commencent à regarder vers l’Asie1. Des pays comme la Corée du Sud ou Singapour semblent capables de concilier une continuité de l’activité économique et la limitation de la diffusion du virus, préservant ainsi  leur système de santé. Ces pays, plus préparés au risque épidémiologique, se distinguent par une stratégie s’appuyant sur des tests de masse. 

La Corée du Sud, par exemple, utilise un système de cabines de tests, qui isolent le patient du médecin et des autres patients, entièrement désinfectées et ventilées après chaque patient. Le rythme rapide de ces tests a permis au Centre coréen de contrôle des maladies (KCDC) d’avoir administré de manière indiscriminée plus de 350 000 tests, au rythme de 20 000 par jour dans plus de 600 sites2. Les indicateurs du développement de la pandémie – comme le nombre de cas – semblent indiquer que le succès de cette stratégie. La différence dramatique d’évolution du nombre des cas de la Corée du Sud et de l’Italie en est un bon exemple. 

Les tests principaux pour le COVID-19 sont moléculaire et sérologique. Le premier identifie les cas actifs d’infection en soumettant un échantillon biologique (salive) à un processus qui permet d’identifier des traces du matériel génétique du virus – la réaction en chaîne par polymérase. Le test sérologique relève la présence d’anticorps produits en réaction au virus, en testant un prélèvement sanguin. Cela permet d’identifier des cas actifs dans les phases symptomatiques ainsi que les personnes ayant déjà contracté le virus et développé une forme d’immunité. Ces tests sont administrés par des autorités médicales compétentes, mais une version du test sérologique pour les particuliers est attendue, notamment au Royaume-Uni.3

Le test ne se limite pas à lui-même : il s’inscrit dans une politique

Il faut comprendre que le test n’est pas un simple outil qui permet d’asséner un statut, positif ou négatif, à une personne potentiellement contaminée : il est un maillon d’une politique plus large. Jusqu’à l’heure, deux modèles différents se sont développés.

D’une part, le modèle de dépistage massif que nous avons décrit et qui s’est déployé majoritairement en Asie orientale. Le dépistage s’inscrit d’abord dans la volonté de mettre en œuvre une transparence aussi complète que possible : chaque personne peut se faire tester et connaître son statut vis-à-vis du COVID-19. Cette exigence de transparence peut aussi se matérialiser par les communiqués de presse très denses et complets publiés par ces États, notamment en Corée du Sud.4 Conséquence directe des tests : toute personne dépistée positive doit être mise en quarantaine et rompre tout contact avec autrui, et notamment avec sa famille. Au-delà des simples tests, ce modèle suppose donc de grandes capacités d’hébergement et d’isolement à grande échelle des populations contaminées, ce que peu de pays très peuplés peuvent se permettre. De plus, le dépistage implique généralement un suivi des personnes contaminées et de leurs contacts (le “pistage des contacts” ou contact tracing). La Chine et Singapour ont par exemple lancé leur propre application de ce type (appelée TraceTogether pour Singapour, qui utilise le bluetooth des téléphones des personnes) et la Corée du Sud a développé une carte avec les personnes contaminées et leurs déplacements. Ces dispositifs posent donc plusieurs questions quant au respect de la vie privée.5. Les chiffres le montrent bien : il y a une corrélation positive entre le nombre de tests et le nombre de cas confirmés de COVID-19. Plus on teste, plus on risque de trouver des cas positifs au COVID-19, ce qui est évident, mais cela signifie donc que l’on aboutit à un plus grand nombre de personnes qui doivent être mises en quarantaine totale et qui peuvent être suivies par les applications dont nous parlions.

D’autre part, le modèle de dépistage ciblé, qui prévaut dans la plupart des pays et notamment en Europe, procède d’une logique différente. En l’absence de possibilités logistiques et humaines d’industrialiser les tests du COVID-19 (nous y reviendrons), ces États mettent généralement en œuvre des politiques très restrictives sur la circulation, en fermant les frontières et en imposant un confinement plus ou moins contraignant de la population. Les tests sont alors réservés aux publics prioritaires (personnes âgées notamment), au personnel soignant… ou éventuellement à certaines personnalités.6 Si ce modèle peut pousser de nombreuses personnes à s’inquiéter sur leur état personnel, la moindre toux faisant croire au COVID-19, il évite en quelque sorte aux États la difficile mise en quarantaine d’une fraction importante de la population qui serait testée positive – chacun étant invité à rester chez soi – et ne requiert pas d’application de suivi des personnes dans leur vie privée.

Ces deux modèles ne sont pas absolument antinomiques ; par exemple il est évident que dans les pays à dépistage massif, des mesures de restriction de la liberté d’aller et de venir prévalent également. Ils sont aussi en perpétuelle redéfinition, certains États testant massivement la population sans avoir déployé une application de suivi, comme la Norvège. Une combinaison des deux modèles, avec un dépistage massif avec de fortes restrictions de circulation, que la personne soit testée positive ou non, pourrait ainsi freiner durablement la propagation de l’épidémie. Simplement, les appels à réaliser davantage de tests tendent à négliger le changement de modèle et de stratégie politique que cet accroissement pourrait impliquer.

De l’importance des tests pour informer la décision politique

La peur que crée une pandémie de cette ampleur et de cette rapidité naît en partie de l’incertitude portant sur la nature et les propriétés de ce virus. Notre meilleure ligne de défense est le travail de la communauté scientifique qui propose des hypothèses sur la manière dont le virus se propage, ou comment utiliser au mieux les ressources limitées de nos divers systèmes de santé. Cependant, la qualité des modèles et des hypothèses dépend de la qualité des données sur lesquelles la communauté scientifique s’appuie. Les tests sont la principale source de données sur le nombre de cas – on trouve une corrélation quasi-parfaite entre le nombre de tests administrés et le nombre de cas par pays. 

En l’état actuel, le 28 mars, le nombre total de test s’élève à un peu moins de 5,3 millions de tests, soit moins de 0,06 % de la population. Cette faible proportion fait que l’on ignore le nombre réel de personnes infectées, le taux de mortalité réel, la rapidité d’infection et le taux d’hospitalisation. Ainsi, on remarque par exemple qu’il existe une forte corrélation inverse entre le nombre de tests administrés dans un pays (par rapport à sa population) et le taux de létalité associé au test (c’est-à-dire le nombre de décès divisé par le nombre de cas confirmés). Alors que les gouvernements prennent des mesures de plus en plus radicales, l’absence de données fiables rend difficile de savoir si ces mesures font plus de bien que de mal.

Une stratégie européenne des tests ?

On le sait, l’OMS ne cesse d’appeler à « tester tous les cas suspects » depuis plus d’une semaine.7 Pourtant, les situations européennes sont très variées à l’égard des tests, comme le montre cette carte.

Des appels résonnent partout en Europe en faveur d’un accroissement des tests de dépistage du COVID-19. Pourtant, plusieurs obstacles ont jusqu’à présent freiné la progression des tests. Un article récent du Monde listait ces ralentisseurs dans le cas français.8 Le manque de masques dissuade les soignants et personnels des laboratoires d’en réaliser car il faut être en contact avec le mucus du patient. L’absence de matériel pour mettre en œuvre les tests (écouvillon, automates permettant d’accélérer le processus) est problématique, de même que le temps qu’ils représentent dans la journée d’un personnel médical déjà surchargé. À cela, il faut ajouter le manque du réactif mobilisé pendant le test, qui se fait rare en Europe. Enfin, les questions de mise en quarantaine d’un très grand nombre de patients et de protection de la vie privée des personnes contaminées, qui pourraient être suivies par les autorités médicales, interrogent.

Pourtant, une grande majorité d’États européens semblent connaître une inflexion. L’Allemagne était déjà pionnière en la matière et poursuit l’accélération de ses dépistages ; elle peut aujourd’hui réaliser 500 000 tests par semaine selon Christian Drosten, virologue à l’hôpital de la Charité à Berlin.9. Boris Johnson a également annoncé une stratégie progressive d’accélération des tests, de moins de 10 000 tests aujourd’hui à plus de 25 000 fin avril – un long délai qui a crispé la presse britannique.10 En France, le ministre de la Santé Olivier Véran a fait part d’une augmentation des tests, notamment des tests grâce à la sérologie en cours de développement à l’Institut Pasteur, moins chers et rapides, qui permettent de détecter a posteriori si un individu a été positif au coronavirus à un moment, auquel cas il a développé des anticorps contre le virus.11 Le Premier ministre roumain a, de son côté, annoncé que tous les habitants de Bucarest seraient testés un par un.12

Est-ce à dire qu’il faut s’attendre à une stratégie européenne du dépistage au niveau de l’Union ? Dès le 15 mars, Ursula von der Leyen annonçait une passation conjointe de marché (joint public procurement) pour l’achat de kits de tests, entre autres, en insistant pour que la production desdits kits provienne d’Europe13. L’accord qui permet de passer des marchés en commun avait d’ailleurs été lancé en réponse à la crise de la grippe H1N1 en 2013. Cette accord a été rappelé le 19 mars, lorsque la Commission a lancé la réserve rescEU de matériel médical, en indiquant qu’il était en cours14. Il faudra suivre très attentivement comment évolue cette situation, afin de déterminer si la réponse européenne sera à la hauteur et si l’Union pourra produire elle-même ce dont elle a besoin. Les échecs des négociations récentes au Conseil européen ont de quoi laisser perplexes.15 Pour l’heure, la plupart des États font toujours face à une pression populaire qui réclame une accélération massive et rapide des dépistages, alors même que le matériel de tests provient essentiellement d’Asie. Dernier exemple en date : c’est à la Chine et à la Corée du Sud que l’Espagne a acheté 640 000 kits de tests rapides il y a quelques jours.16

Sources
  1. SABATINI Fabio, La stratégie sud-coréenne contre le coronavirus, un modèle pour l’Europe  ?, Le Grand Continent, 13 mars 2020
  2. YOON Dasl, MARTIN Timothy W., How South Korea Put Into Place the World’s Most Aggressive Coronavirus Test Program, The Wall Street Journal, 16 mars 2020
  3. Telegraph Reporters, How does a coronavirus home test kit work, and how do I get one ?, The Telegraph, 27 mars 2020
  4. SABATINI Fabio, La stratégie sud-coréenne contre le coronavirus, un modèle pour l’Europe ?, Le Grand Continent, 13 mars 2020.
  5. TERRASSON Benjamin, Singapour rend open source une app pour tracer les personnes infectées par le coronavirus, Siècle Digital, 25 mars 2020
  6. TURCHI Marine, Dépistage du Covid-19 : la question des passe-droits pour les personnalités, Médiapart, 25 mars 2020.
  7. FEUER William, HIGGINS-DUNN Noah, LOVELACE Jr. Berkeley, World Health Organization says some nations aren’t running enough coronavirus tests : ‘Test every suspected case, CNBC, 2020.
  8. HOREL Stéphane, Coronavirus : pourquoi la France ne dépiste pas davantage, Le Monde, 25 mars 2020.
  9. AFP, Coronavirus : l’Allemagne effectue désormais un demi-million de tests par semaine, Le Parisien, 26 mars 2020
  10. COOKSON Clive, HUGHES Laura, Boris Johnson under pressure to accelerate coronavirus testing, The Financial Times, 25 mars 2020.
  11. VERAN Olivier, Tweet du 25 mars 2020
  12. Coronavirus in Romania : Health minister says all of Bucharest’s population will be tested, door to door, Romania Insider, 25 mars 2020.
  13. Ursula von der Leyen, Tweet du 15 mars 2020
  14. Commission européenne, COVID-19 : la Commission crée la toute première réserve rescEU de matériel médical, 19 mars 2020.
  15. VALLEE Shahin, Hier, il y avait bien plus grave pour l’Europe que le Conseil européen, Le Grand Continent, 27 février 2020.
  16. SEVILLANO Elena G., LINDE Pablo, VIZOSO Sonia, Los test rápidos llegarán primero a sanitarios y residencias de ancianos, El País, 23 mars 2020.