Washington. Deux choses très importantes se sont produites hier, et aucune n’a eu lieu au Conseil européen. Tout d’abord, le nombre de demandes d’allocations chômage aux États-Unis, alors que le chômage atteint 3 millions de nouvelles personnes, a été un véritable choc pour l’Amérique. Ensuite, le président américain a changé de ton et préconise désormais une stratégie de confinement très courte avec l’objectif explicite d’être « ouvert aux affaires » et d’avoir « une foule énorme dans les églises pour Pâques » (dimanche 12 avril).

« Ce n’est pas un pays qui a été construit pour cela. Il n’a pas été construit pour être fermé », a déclaré M. Trump. « L’Amérique sera de nouveau, et bientôt, ouverte au commerce. Très bientôt. Bien plus tôt que les trois ou quatre mois que quelqu’un suggérait. Beaucoup plus tôt. Nous ne pouvons pas laisser le remède être pire que le problème lui-même. »1

Ce message a été répété tout au long de la journée et doit donc être pris au sérieux. En outre, il fait écho à de nombreux commentaires formulés par des chefs d’entreprise, des médecins et des économistes, sur le coût économique inacceptable d’une stratégie de confinement dur et long, comme celle de Paul Romer2 par exemple ou celle de Tom Freidman3, qui faisait écho au professeur Katz4 qui suggère de passer d’une stratégie d’interdiction horizontale à une interdiction plus verticale/chirurgicale, limitée aux populations les plus à risque ou non testées.5 Ce changement et la limitation de la période de confinement et de sa portée signifieraient probablement l’acceptation de 120 millions d’infections aux États-Unis, 35 millions au plus fort du 7 juin et environ 1,2 million de décès au total.

Ne fût-ce que pour être envisagée, cette stratégie repose sur la disponibilité des kits de dépistage et la capacité à les déployer à grande échelle. Et ce alors même que l’administration américaine a refusé d’invoquer le Defense Production Act pour contraindre les fabricants américains à produire des équipements médicaux et à les tester (en raison, semble-t-il, du lobbying de la Chambre de commerce américaine et des dirigeants de grandes entreprises6). L’administration semble parier sur l’espoir de voir des kits de tests rapides et largement disponibles produits en masse par Cepheid, une société pharmaceutique américaine.7

Si cette stratégie de tests à grande échelle, d’interdiction verticale et de réouverture rapide de l’économie est poursuivie aux États-Unis, elle fera des ravages en Europe. En effet, ce qui est le plus frappant dans les conclusions du Conseil européen jusqu’à présent n’est pas l’absence d’accord sur les coronabonds, mais l’absence d’accord sur une réponse commune en matière de santé, de confinement, de quarantaine et de tests, qui reste entièrement dirigée par les gouvernements nationaux et leurs conseils scientifiques nationaux respectifs. Si les États-Unis s’écartent du consensus international actuel sur le confinement, ils déchireront l’Europe.

En particulier, les pays ayant des capacités de dépistage et des systèmes de santé différents voudront adopter des stratégies différentes. L’Allemagne, par exemple, a la capacité de réaliser 500 000 tests par semaine et a jusqu’à présent le taux de mortalité le plus bas (la France affirme qu’elle peut atteindre 25 000 tests par jour en quelques semaines, mais ne l’a toujours pas fait). La volonté et la capacité de l’Allemagne à relancer l’économie contrasteront fortement avec celles du reste de l’Europe, ce qui risque de créer des tensions très vives.

C’est probablement le plus grand risque pour l’unité européenne dans les semaines à venir : non pas l’accord sur une réponse économique commune, non pas un accord sur la mutualisation de la dette, mais simplement la poursuite d’une réponse sanitaire qui ne privilégie pas indûment la reprise de l’activité économique au détriment du sauvetage de vies européennes. Les désaccords au sein du Conseil européen ne feront que s’accroître dans les semaines à venir, de sorte que la fenêtre d’opportunité pour une émission commune de dette est probablement déjà derrière nous. La conclusion simple à en tirer est que la Banque centrale européenne sera à nouveau seule à réagir sur le plan économique. Cette situation est très sous-optimale mais difficilement évitable à ce stade.

Sources
  1. ZURCHER Anthony, Coronavirus : Trump wants US open for business amid pandemic, BBC, 24 mars 2020
  2. ROMER Paul, GARBER Alan M., Will Our Economy Die From Coronavirus ?, The New York Times, 23 mars 2020
  3. FRIEDMAN Thomas L., A Plan to Get America Back to Work, The New York Times, 22 mars 2020
  4. KATZ David L., Is Our Fight Against Coronavirus Worse Than the Disease ?, The New York Times, 20 mars 2020
  5. KLEIN Ezra, How the Covid-19 recession could become a depression, Vox, 23 mars 2020
  6. SANGER David E., SWANSON Ana, HABERMAN Maggie, Trump Bets Business Will Answer Call to Fight Virus, but Strategy Bewilders Firms, The New York Times, 22 mars 2020
  7. SINGH Kanishka, U.S. FDA approves first rapid coronavirus test with 45 minutes detection time, Reuters, 21 mars 2020