Varsovie / Cracovie. « Nouvelle ouverture », « nouvelle carte », « signal important », « fin de l’hiver », « élimination des malentendus » : c’est à travers de tels slogans que les médias polonais ont présenté la visite d’Emmanuel Macron à Varsovie et à Cracovie. La rhétorique de l’ensemble de la visite française en Pologne, qui visait clairement le rapprochement avec la Pologne, et peut-être surtout dans le domaine de la sécurité et de la défense, s’est déroulée dans une atmosphère positive.1

La situation actuelle en Europe contribue à l’intensification des activités dans les domaines de la sécurité et de la défense européennes. Le nouvel « environnement stratégique de l’Union » (Brexit, crise migratoire, terrorisme croissant, conséquences de l’annexion de la Crimée) et l’adoption de la stratégie globale pour les politiques étrangère et de sécurité de l’Union européenne (2016) ont donné une impulsion au développement de la PSDC2. Une question se pose donc : la coopération franco-polonaise au niveau bilatéral et européen crée-t-elle une véritable base pour l’intégration européenne dans le domaine de la sécurité et de la défense ?

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La France et la Pologne ont deux concepts de sécurité différents : pour la France, la sécurité signifie les interventions, les forces d’intervention, le Sud et la Méditerranée. Pour la Pologne, la sécurité reste la Russie, l’OTAN, le flanc Est et la défense territoriale. Deux pays différents, des frontières territoriales différentes, des priorités différentes, des besoins différents et des visions différentes. D’une part, la vision française est très européenne, d’autre part, la Pologne est fortement pro-atlantique.

Explorant ces différences et les différentes visions nationales, le besoin de solidarité européenne et la création d’une politique européenne de sécurité commune est clairement perçu, comme Emmanuel Macron le souligne depuis son élection.

Déjà au début de sa visite en Pologne, le président français a souligné la nécessité d’une nouvelle ouverture dans les relations mutuelles dans la perspective de la coopération au sein de l’Union et de l’OTAN. Il déclarait : « J’attends le moment où chaque citoyen polonais dira : “Si quelqu’un nous attaque, l’Europe nous défendra”. » La volonté de coopérer dans le domaine de la sécurité et de la défense a été soulignée par la présence de la ministre française de la Défense, Florence Parly, dans la délégation officielle du président de la République.

Le contexte de la visite est hautement important. Elle a en effet eu lieu quelques jours après la sortie historique du Royaume-Uni de l’Union européenne. En arrière-plan de la visite du président français se préparait le plus grand exercice militaire en Europe depuis plus de 30 ans, avec la participation des États-Unis et les forces armées d’autres pays membres de l’OTAN – Defender Europe 2020 (qui se tiendra du 27 avril au 22 mai 2020 en Europe, et dont une partie importante doit avoir lieu en Pologne) ; la présentation des plans de modernisation des forces armées polonaises par le ministère de la Défense nationale (le ministère a annoncé qu’il prévoyait de consacrer 524 milliards de PLN à la modernisation de l’armée d’ici 2035) ; la préparation de la conférence annuelle de Munich sur la sécurité (14 – 16 février) et la signature de l’accord entre la Pologne et les États-Unis pour l’achat d’avions F-35, qui a eu lieu le 31 janvier 2020.

Le 4 février, lors d’une réunion entre le président polonais Andrzej Duda et Emmanuel Macron, le président polonais a souligné que désormais, après le départ du Royaume-Uni, la France est une puissance en Europe et que les deux pays devraient travailler ensemble à la création d’une nouvelle architecture de sécurité de l’Union européenne3. Macron et Duda ont souligné que la France et la Pologne perçoivent la défense européenne non pas comme une alternative à l’OTAN, mais comme son complément et son soutien nécessaires. Emmanuel Macron a suggéré que des soldats polonais pourraient participer dans l’intervention de l’armée française de Barkhane contre les djihadistes dans la région du Sahel en Afrique. Le chef du bureau de la sécurité nationale, Paweł Soloch, a déclaré que la volonté du président polonais Andrzej Duda et du ministre de la défense Mariusz Blaszczak est d’augmenter leur implication dans l’Eurocorps et d’adopter le statut d’État-cadre.

Cette nécessité de souligner la convergence franco-polonaise des positions de souveraineté européenne dans le domaine militaire s’est reflétée dans la déclaration de coopération entre le Bureau de la sécurité nationale et le Secrétariat général à la défense et à la sécurité du Premier ministre français. La déclaration souligne la nécessité d’une coordination stratégique et d’activités opérationnelles au sein de l’OTAN.

Dans le domaine de la sécurité, la Pologne et la France, bien que dans des proportions variables, ont un modèle d’action similaire en termes de sensibilité Sud et Est. Les Français sont présents dans les États baltes (en 2016, les autorités françaises ont envoyé 300 soldats et 70 véhicules à la présence avancée de l’OTAN en Estonie et en Lituanie, dont cinq chars de type Leclerc et prévoient de renouveler leur présence en 2020, en envoyant 300 soldats). De leur côté, les Polonais renforcent leur engagement en matière de sécurité militaire dans le Sud (les Polonais participent à la mission de l’Union, Sophia, en Méditerranée depuis février 2018, qui fait partie de la mission EUNAVFOR MED de l’Union européenne, et dans le cadre de cette mission le 15 janvier 2019, les Polonais ont mis à disposition un avion Bryza.

Au cours de la visite, le Programme de coopération franco-polonais pour 2020 – 2023 a été signé dans les domaines politique, économique, militaire et scientifique, dans le cadre du Partenariat stratégique franco-polonais de 2008. France et Pologne s’y engagent à coopérer plus étroitement sur des questions clés, notamment la coopération en matière de sécurité et de défense4.

Ce document suppose une coopération dans les relations bilatérales au sein de l’Union européenne et de l’OTAN pour les quatre prochaines années. Selon le document, la coopération doit aussi viser à (entre autres) :

1. Promouvoir la question de la sécurité internationale, également en coopération avec d’autres partenaires communs, en particulier avec l’Allemagne dans le triangle de Weimar et avec les membres du groupe de Visegrad ;

2. Renforcer la capacité de défense collective de l’OTAN ;

3. La participation opérationnelle conjointe à l’étranger, formation et exercices conjoints de leurs forces armées.

Une question importante soulevée lors de la visite d’Emmanuel Macron était également celle de la coopération dans le domaine de l’industrie de l’armement. La France reste à la quatrième place des exportateurs mondiaux de matériel militaire et d’armements.

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Selon le rapport parlementaire sur les armements de la France en 2019, la coopération entre les deux pays est marginale depuis des années au sein de l’industrie de l’armement5. Bien qu’il soit désormais possible de rétablir cette coopération au profit des deux parties.

Un domaine important de la coopération franco-polonaise est la lutte dans le cyberespace. C’est lors de la dernière visite du président Macron qu’une déclaration a été signée sur le développement conjoint des capacités de défense de l’État dans le cyberespace. Par ailleurs, un accord a été signé entre le ministère de la Numérisation et French Thales sur l’adhésion de l’entreprise au programme de coopération en matière de cybersécurité (PWCyber). Le principal objectif de PWCyber ​​est d’augmenter le niveau de cybersécurité en Pologne.

La Pologne a été invitée à parler de la possibilité de rejoindre le programme appelé Main Ground Combat System (MGCS), le char européen du futur, développé par l’Allemagne (en tant que leader) et la France. En 2015, le groupe KNDS a été créé, qui est une combinaison de l’allemand KMW et du français Nexter. Le groupe allemand Rheinmetall participe également aux premiers travaux conceptuels. La Pologne est en négociation aux niveaux militaire et industriel depuis 2016.

Il s’agit de l’un des plus grands projets européens de défense, à côté du chasseur de nouvelle génération Future Combat Air System (FCAS). Le projet MGCS devrait développer un futur véhicule de guerre qui remplacera les véhicules Leopard 2 et Leclerc utilisés par l’Allemagne et la France.

En revanche, la coopération entre l’industrie de défense polonaise et française est très importante dans le domaine naval. Dès le 25 janvier 2017, un protocole d’accord a été signé entre Polska Grupa Zbrojeniowa S.A. et la société française DCNS (Direction des Constructions Navales Services), aujourd’hui dénommée Naval Group. Des discussions sont actuellement en cours concernant la possible rénovation du sous-marin polonais d’Orzeł par le groupe naval. Il s’agit également d’une coopération avec le groupe français, dans la construction de trois sous-marins polonais de type Scorpène armés de fusées de manœuvre à longue portée — le programme Orka.

Un autre exemple de coopération militaire est le projet européen commun ESSOR (European Secure Software Defined Radio), en cours depuis 11 ans, que le polonais Radmor dirige avec le français Thales comme principaux participants. Il s’agit d’une collaboration dans la création de stations de radio visant à équiper tous les véhicules des unités qui opèrent dans l’armée. Les armées européennes pourraient ainsi communiquer entre elles. La coopération se développe dans le domaine de la guerre électronique, qui est l’une des plateformes les plus solides de ce type de coopération.

En conclusion, il convient de souligner que la Pologne reste le cinquième plus grand pays de l’Union européenne : elle doit offrir à la France la possibilité de participer aux futurs investissements militaires prévus et aux projets de construction de centrale nucléaire.

Emmanuel Macron, sans aucun doute en tant que président d’une puissance régionale et leader européen, est venu en Pologne, un pays aux ambitions régionales présentant les idées d’une future Europe. Il a présenté le projet de l’Union européenne pour tous les Européens, où la coopération dans les domaines de la sécurité et de la défense doit correspondre aux intérêts et aux ambitions de toutes les parties. La Pologne est revenue au jeu en tant que force régionale, saisissant par là une chance de devenir un partenaire majeur de la France et de l’Allemagne, regagnant la confiance qu’elle a perdue ces dernières années. Ainsi la coopération franco-polonaise aux niveaux bilatéral et européen crée-t-elle de véritables fondements pour l’intégration européenne dans les domaines de la sécurité et de la défense.

Perspectives :

  • Une autre importante déclaration de volonté de rapprochement franco-polonais a été faite au lendemain de la visite en Pologne, le 5 février 2020. Emmanuel Macron lors de son discours à l’École militaire de Paris a invité la Pologne à créer une stratégie de défense de l’Europe. Il a invité la Pologne à participer à la stratégie nucléaire de la France et de l’Europe. Ce dialogue aurait lieu sur la route France-Allemagne-Pologne. Cela est conforme à sa déclaration antérieure d’un discours à l’Université Jagellonne de Cracovie intitulé « La Pologne et la France en Europe », dans lequel il a déclaré : nous développerons la coopération stratégique et technologique, également dans des domaines qui sont rarement abordés, par exemple dans les activités spatiales. ou la cybersécurité, j’ai un fort sentiment de construire un avenir commun pour nos pays.

Sources
  1. Élysée, Déclaration franco-polonaise sur la coopération en matière européenne, 3 février 2020.
  2. Politique de Sécurité et de Défense Commune.
  3. ROGACIN Kacper, Rencontre officielle d’Andrzej Duda et d’Emmanuel Macron, Polska Times, 3 février 2020.
  4. Partenariat stratégique franco-polonais, 3 février 2020.
  5. Ministère des armées, Exportations d’armement : le rapport au Parlement 2019, 4 juin 2019