Berlin. Lors des traditionnels vœux du 31 décembre, les chefs d’État et de gouvernements reviennent sur les grands défis politiques nationaux et internationaux, dont la lutte contre le changement climatique, faisant l’objet d’une attention politique croissante. Lors de ses voeux aux Français, Emmanuel Macron a ainsi déclaré qu’il fallait “accélérer à toutes les échelles” pour “réduire nos émissions de gaz à effet de serre et lutter contre le changement climatique”. Angela Merkel a également usé d’une rhétorique volontariste pour affirmer sa détermination dans ce combat : « Le réchauffement de notre planète est réel et menaçant. Les crises qui en résultent sont d’origine humaine […] J’utilise toutes mes forces pour que l’Allemagne atteigne ses objectifs climatiques ». Lors du Forum économique mondial de Davos qui s’est tenu fin janvier, la chancelière allemande a réitéré ses propos, paraphrasant le secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres : « Je suis convaincue que le prix de l’inaction sera bien plus grand que celui de l’action. […]. Nous sommes à l’aube de la décennie de l’action.« 

A l’heure où des dirigeants de plusieurs grandes puissances mondiales, comme Donald Trump aux Etats-Unis, Jair Bolsonaro au Brésil, ou encore Scott Morrisson en Australie, remettent régulièrement en cause, sinon l’existence du dérèglement climatique, du moins son origine anthropique ou la gravité de ses conséquences, la détermination de la chancelière allemande est à saluer. Les mots seuls ne suffisent pas néanmoins, et les dirigeants seront surtout jugés sur leurs actes, en particulier aux yeux de la jeune frange de la société civile, véritable catalyseur de l’action climatique.

Il est certain que les vœux télévisés de fin d’année (et a fortiori de fin de décennie) se prêtent davantage aux formules percutantes, mais qu’en est-il de la politique climat-énergie menée par la première puissance économique et industrielle d’Europe ? L’Allemagne a été pendant de nombreuses années un chef de file de la transition énergétique. La notion de “transition énergétique” (Energiewende) a même été inventée dans un livre paru outre-Rhin en 1980, Energiewende – Wachstum und Wohlstand ohne Erdöl und Uran (Transition énergétique – Croissance et prospérité sans pétrole ni uranium). Au début des années 2000, le pays a voté la loi pour le développement des énergies renouvelables (das Erneuerbare-Energien-Gesetz).1

Après l’accident nucléaire de Fukushima en mars 2011, la coalition chrétienne-libérale et le Bundestag ont décidé de renoncer définitivement à l’atome dans la production électrique allemande.2 Une première décision en faveur de la sortie du nucléaire avait déjà été prise par la coalition social-écologiste de Gerhard Schröder, dont la coalition de Merkel avait retardé l’échéance en 2010. D’ici deux ans, aucune centrale nucléaire ne pourra donc fonctionner sur le territoire national. Suite à cette décision historique (et même dès le début de son premier mandat), Angela Merkel s’était autoproclamée “chancelière du climat”.3

Dans le même temps, l’Allemagne cherche à limiter sa consommation de charbon, et en particulier de lignite, minerai très polluant dont elle est le plus gros producteur européen. La Commission pour la croissance, les mutations structurelles et l’emploi, communément appelée Commission charbon, un groupe d’experts mandatés par le gouvernement fédéral, a publié en janvier 2019 son rapport final, dans lequel la sortie totale et progressive de l’utilisation du charbon d’ici 2038 est préconisée, via des dizaines de milliards d’euros d’investissements dans les énergies renouvelables, dans les réseaux électriques et dans la reconversion des régions dépendantes du lignite.4

Consultation sur la sortie du Charbon en Europe

Malgré des annonces politiques en apparence ambitieuses, d’aucuns critiquent la politique climat-énergie menée par l’Allemagne. La logique selon laquelle il faudrait d’abord sortir du nucléaire, puis du charbon, serait anachronique car le premier est bien moins émetteur de GES que le second.5 L’arrêt des réacteurs nucléaires a parallèlement été accompagné d’un transfert depuis le secteur privé vers l’Etat fédéral de l’entière responsabilité financière de la gestion future des déchets nucléaires. Une responsabilité colossale qui pèsera in fine sur les contribuables allemands.

De plus, la structure de la loi sur les énergies renouvelables n’a pas permis un développement optimal de celles-ci. Le système d’incitation financière (EEG-Umlage) en particulier a mis l’accent sur les technologies onéreuses, comme le photovoltaïque, au détriment des technologies les plus performantes, comme l’éolien. Le système d’incitation financière a été réformé en 2016 pour pallier la hausse du prix de l’électricité outre-Rhin. Désormais, le système de subvention n’est plus fixé par l’Etat, mais via des appels d’offre, censés favoriser la performance technologique6.

En 2018, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il ne serait pas capable d’atteindre ses propres ambitions climatiques. Alors qu’un objectif de 40 % de réduction des émissions de GES entre 1990 et 2020 avait été fixé (et un objectif de 55 % d’ici 2030), un rapport publié fin 2018 faisait état de l’impossibilité d’atteindre cet objectif et tablait plutôt sur 32 % de réduction de GES d’ici 2020.7 Les mesures prises en ce sens en 2014 ne furent donc pas suffisantes.

Le rôle de l’Allemagne dans l’émergence d’une politique climat-énergie au niveau européen est indéniable. La présidence allemande du Conseil de l’UE en 2007 fut en particulier bénéfique, notamment dans la conception du paquet climat-énergie voté en 2008. Le gouvernement allemand se montra de plus bienveillant vis-à-vis de la création de l’Union de l’énergie en 2015.

Ces derniers mois pourtant, il était apparu que la chancelière Merkel avait quelque peu abandonné ses ambitions climatiques, comme en témoignaient ses réticences face à l’objectif de neutralité climatique exprimées en amont du sommet européen de mars 2019 ou du sommet sur le futur de l’Europe à Sibiu deux mois plus tard. L’Allemagne s’était alors montrée solidaire avec ses voisins d’Europe centrale, Pologne, Hongrie et Tchéquie en tête.8

Pourtant, dès le sommet de Petersberg, rassemblant les ministres de l’énergie du monde entier, Angela Merkel a déclaré que le gouvernement allait considérer l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Un objectif finalement pleinement accepté en octobre dernier, lorsque Merkel et Macron ont appelé à une application rapide et ambitieuse du Green Deal d’Ursula von der Leyen, dont le mesure phare est la neutralité carbone d’ici 30 ans.9

Malgré les difficultés rencontrées jusque-là, l’Allemagne pourrait finalement atteindre une partie de ses objectifs du paquet climat-énergie 2020. Les derniers chiffres publiés par Eurostat ont fait état des progrès soudains du pays en termes de développement des énergies renouvelables (en 2018, le mix énergétique allemand comportait 16,5 % d’énergies renouvelables, contre 15,5 % en 2017 et 14,9 % en 2016. L’objectif de 18 % en 2020 semble tout à fait atteignable).10

Mix énergétique des pays membres de l'Union européenne et la part des énergie renouvelables

Perspectives :

  • Après 15 ans au pouvoir, Angela Merkel tente de construire son héritage politique, et la lutte contre le changement climatique est l’une de ses priorités.
  • L’Allemagne n’est pourtant pas encore certaine d’atteindre ses objectifs européens en termes de développement des énergies renouvelables en 2020, alors que ses objectifs de réduction de GES sont d’ores et déjà hors d’atteinte.
  • En mars prochain, la commission européenne présentera sa proposition de législation européenne sur le climat, afin d’inscrire la “neutralité carbone” dans la législation européenne. En outre, l’Allemagne doit encore remettre à l’exécutif bruxellois son plan national final en termes d’énergie et de climat
  • Après avoir longtemps hésité sur la position à prendre, l’Allemagne pourrait-elle devenir le fer de lance de la neutralité carbone européenne ?
Sources
  1. Bundesministerium für Wirtschaft und Energie, Das Erneuerbare-Energien-Gesetz, 2014
  2. Bundestag.de, Bundestag beschließt Atomausstieg und Energiewend, 30 juin 2011
  3. Merkel, die « Klimakanzlerin » – guter Ruf, wenig dahinter ?, Der Spiegel, 19 septembre 2019
  4. WEINACHTER Michèle, Sortie du nucléaire – et bientôt du charbon ?, in La transition énergétique en Allemagne – Allemagne d’aujourd’hui n°227, janvier-mars 2019
  5. Le Figaro, Jean-Marc Jancovici : « L’Allemagne est le contre-exemple absolu en matière de transition énergétique », 13 décembre 2019
  6. SALLES Anne, La transition énergétique allemande, entre avancées et obstacles, in La transition énergétique en Allemagne – Allemagne d’aujourd’hui n°227, janvier-mars 2019
  7. Deutschland verfehlt Klimaziele für 2020, Zeit online, 6 février 2019
  8. SIMON Frédéric, Summit leak reveals EU rift on climate change, Euractiv, 21 mars 2019
  9. PELEGRIN Clémence, Green Deal européen : cap sur la neutralité carbone, Le Grand Continent, 13 janvier 2020
  10. SCHULZ Florence, Germany’s official 2018 emission figures are better than expected, Euractiv, 23 janvier 2020