Paris. Le 10 novembre 2019, une cinquantaine de syndicats et d’ONG ont interpelé le Président de la République française pour une meilleure protection des lanceurs d’alerte1. Cette revendication fait suite à l’entrée en vigueur de la Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite Sapin II2 et à l’adoption de la Directive sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne du 7 octobre 20193.

Il y a trois ans, lors des débats sur le projet de directive Secret des affaires, une future directive sur les lanceurs d’alerte avait déjà été proposée au Parlement. Le gouvernement français s’était, à l’époque, beaucoup impliqué pour que cette directive européenne soit alignée sur le droit français issu de la loi Sapin II, sans réel succès4. Après un long processus, Conseil, Commission et Parlement européens se sont finalement accordés sur un compromis qui a été adopté à l’unanimité par la commission des affaires juridiques. Ainsi, trois ans après l’adoption de la loi Sapin II, la directive vient bousculer le statut français du lanceur d’alerte. Les Etats Membres ont deux ans pour transposer la directive dans leur législation nationale.

La directive instaure des délais précis de traitement des alertes, la clarification des critères pour être reconnu comme lanceur d’alerte ou encore la possibilité d’être accompagné par un facilitateur. Le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont considéré qu' »en signalant des violations du droit de l’Union qui portent atteinte à l’intérêt public, ces personnes agissent en tant que « lanceurs d’alerte » et jouent ainsi un rôle clé dans la révélation et la prévention de ces violations et dans la préservation du bienêtre de la société. Cependant, les lanceurs d’alerte potentiels sont souvent dissuadés de signaler leurs inquiétudes ou leurs soupçons par crainte de représailles« 5.

La société civile est partie intégrante du processus de transposition. A cet égard elle souhaite contribuer à ce que la France soit exemplaire en matière de protection du lanceur d’alerte. En outre, ONG et syndicats se battent pour que soient préservées les avancées de la Loi Sapin II et proposent un statut de lanceur d’alerte élargi aux personnes morales. De même, selon le Défenseur des droits, Jacques Toubon, chargé depuis 2016 d’orienter et de protéger les lanceurs d’alerte, ils pourraient être encore mieux et davantage protégés contre le risque d’isolement et de représailles6. Lors d’un colloque à ce sujet, il a proposé de renforcer le dispositif existant, instauré par la Loi Sapin II, à l’occasion de la prochaine transposition de la directive européenne.

Quant aux entreprises, elles déplorent certaines nouveautés de la directive, notamment en matière de procédure7. En effet, la directive impose la mise en place d’une procédure d’alerte à deux paliers, au lieu de trois en France. Le lanceur d’alerte aura donc le choix entre le dispositif de l’entreprise, l’alerte publique ou le recours à une autorité externe – judiciaire, administrative ou européenne. Les dirigeants craignent que la dépriorisation du canal interne n’augmente les risques d’atteinte à la réputation de l’entreprise, et ce, d’autant plus que la directive prévoit l’élargissement des possibilités de révélation publique en cas de représailles, destruction de preuve et conflits d’intérêts de l’autorité interne. En outre, les entreprises redoutent que la directive conforte l’exercice du droit syndical en accordant une protection accrue, comparativement à la Loi Sapin II, au lanceur d’alerte et un aménagement de la charge de la preuve qui lui sera avantageux. Le risque pour l’entreprise n’est pas uniquement réputationnel, il est aussi économique. Celle-ci devra notamment assurer une réparation intégrale des dommages subis par le lanceur d’alerte. Elle aura donc tout intérêt à ce qu’alerter en interne devienne systématique, afin d’éviter des alertes extérieures et, ainsi, se prémunir contre un important risque d’atteinte à leur réputation.

En somme, alors que les enjeux de la transposition de la législation européenne sont majeurs, les intérêts divergent. La France devra donc tâcher de maintenir les acquis de la Loi Sapin II, l’améliorer, la renforcer, tout en conciliant les intérêts des entreprises françaises et de la société civile.