Bruxelles. C’est en des termes dithyrambiques – « Un succès majeur à l’orée de la COP25 » pour Valdis Dombrovskis, le Vice-président exécutif de la Commission européenne, « Ce compromis détournera les flux financiers des investissements polluants et les orientera vers des activités économiques durables » selon Bas Eickhout, chargé des négociations pour le Parlement européen – que les représentants des institutions européennes ont salué l’accord conclu sur la taxonomie de la durabilité ce jeudi 5 décembre sur le financement des investissements propres et durables1.

Cet accord fixe une définition claire et commune de ce qu’est un investissement vert et de ce qui ne l’est pas. Un « écolabel » européen, certifiant la durabilité de l’investissement, est également prévu. L’accord intervient à l’issue de négociations menées depuis la publication par la Commission en mai 2018 d’une proposition de Règlement sur l’établissement d’un cadre pour favoriser les investissements durables2. Les investissements dans les infrastructures énergétiques sont particulièrement concernés, puisque ces dernières représentent presque 80 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) de l’Union.

Une taxonomie sans charbon… ni nucléaire ?

La notion de durabilité a été interprétée de façon stricte par les négociateurs européens. Si la proposition de taxonomie exclut logiquement les projets charbonniers des investissements verts, l’énergie nucléaire pourrait également ne pas partie de la liste. Quand bien même l’électricité à base de nucléaire est bien moins émettrice de GES que d’autres sources (elle émet en moyenne 11 grammes de CO2 par kW/h, soit près de 50 fois moins que le gaz naturel et plus de 100 fois moins que le lignite), le traitement des déchets, ainsi que les enjeux liés à la sécurité des infrastructures ont joué en sa défaveur auprès de certains négociateurs nationaux et ce en dépit des efforts des Français pour son éligibilité dans la taxonomie.

En principe, le gaz naturel devrait aussi être exclu de la liste des investissements durables, malgré l’action de groupes de pression à Bruxelles, comme le français ENGIE. Ces lobbies affirment que le gaz représente une énergie alternative et de transition car moins polluante que le charbon, et dont la production est pilotable, contrairement aux énergies renouvelables qui, en l’absence de développement de solution de stockage ou de flexibilité du système électrique, pèchent par leur caractère intermittent3. Le débat autour de ces énergies de transition est vif, dans la mesure où elles pourraient faciliter la transition d’une économie carbonée vers une économie reposant majoritairement, voire entièrement sur les énergies renouvelables.

Les pays européens, bon indice de performance environnementale

Fortes divisions entre pays européens

Tout au long des négociations entre les experts du Parlement et les représentants du Conseil, les voix dissonantes des Etats membres se sont faites entendre.

La France en particulier a plaidé jusqu’au bout en faveur de l’atome. « Le nucléaire devrait faire partie de cet écolabel », a déclaré le ministre des finances Bruno Le Maire. La position de Paris a rencontré l’hostilité de l’Allemagne, de l’Autriche ou encore du Luxembourg, des pays historiquement opposés à l’énergie nucléaire. Mi-octobre, les Etats membres avaient pourtant réaffirmé que le nucléaire devait être considéré comme une énergie propre et essentielle pour atteindre la neutralité carbone du continent. Outre la France, des pays comme la Hongrie ou la Suède comptent sur le nucléaire pour une part significative de leur production électrique domestique. Le sort du gaz naturel est également des plus incertains, ce qui présage des frictions avec les pays tributaires de sa consommation.

L’issue de la bataille n’est néanmoins pas encore totalement connue, puisqu’avant que l’accord ne soit validé par le Conseil et le Parlement, dans le cadre de la procédure législative ordinaire, le sort du nucléaire et du gaz restent donc à trancher. La majorité qualifiée est requise dans le cadre des procédures législatives ordinaires, ce qui rend l’adoption finale plus facile qu’avec l’unanimité.

Un pilier financier du « Green Deal »

L’accord sur la taxonomie intervient à un moment propice pour les investissements verts. En juillet dernier, la Banque européenne d’investissement, principale institution financière de l’Union européenne, a annoncé réfléchir sur une proposition de nouvelle politique de financement des projets énergétiques, faisant ainsi une croix sur tous les investissements impliquant les énergies fossiles, parmi lesquelles le gaz naturel4. Ce plan a été définitivement adopté mi-novembre et permettra la mobilisation de 1000 milliards d’euros sur la période 2021-20305. Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne, compte faire de la BEI une « banque européenne du climat », un pilier financier essentiel pour la mise en oeuvre de son projet phare, le Green Deal européen.

Le futur Règlement sur l’établissement d’un cadre pour favoriser les investissements durables pourrait également être un jalon de ce plan. Le « Pacte vert pour l’Europe » (dénomination en français du Green Deal) a été présenté à Bruxelles le 11 décembre et inclut, outre des cibles de réduction de GES et de neutralité carbone d’ici 2050, la nécessité d’investir plusieurs centaines de milliards d’euros supplémentaires dans la transition énergétique. Une réorientation des investissements vers des technologies bas-carbone est par conséquent essentielle.6