Luxembourg. Serait-ce le signe d’un tournant majeur dans le financement de la transition énergétique et écologique en Europe ? La Banque européenne d’investissement (BEI) a publié vendredi 26 juillet une proposition de nouvelle politique de financement de l’énergie (draft energy lending policy) pour les prochaines années1.

L’annonce qui a fait l’effet d’un véritable coup de tonnerre est la décision de ne plus financer de projets impliquant l’exploration, l’extraction, la combustion et la transformation d’énergies fossiles (que ce soit de pétrole, de charbon ou de gaz) à partir de la fin 2020. La BEI a justifié ce choix par la nécessité de se conformer rapidement aux engagements de l’Union concernant l’Accord de Paris sur le climat et la stratégie climat-énergie de 2030, impliquant notamment une baisse des émissions de dioxyde de carbone de 40 % par rapport à 1990 et une part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen de 32 % (par rapport à 18 % actuellement). Le document de la BEI est le résultat d’une consultation publique menée entre janvier et mars 2019 qui a rassemblé plus de 120 acteurs de l’énergie dans 20 pays, dont des associations de lutte contre le changement climatique, des énergéticiens européens et même des administrations publiques2.

La Banque européenne d’investissement est l’un des principaux financeurs de la transition énergétique en Europe et dans le monde. Entre 2014 et 2019, plus de 50 milliards d’euros ont été prêtés pour investir dans les énergies propres (dont 16 milliards rien que pour 2018). L’année dernière, ces prêts ont permis la génération de 15 228 MW d’électricité dans le monde, dont plus de 85 % provenant de sources renouvelables. Le financement de la transition énergétique exige effectivement des sommes colossales : la Commission européenne a ainsi estimé en 2016 que pour atteindre l’ensemble des objectifs du paquet climat-énergie de 2030, il faudrait investir 380 milliards d’euros par an au cours de la prochaine décennie3. Le financement bancaire accordé par la BEI doit donc pleinement contribuer au changement du système énergétique européen, aux côtés des fonds structurels et des programmes de recherche européens, ainsi que du futur Fonds de l’innovation lié au Système d’échange de quotas d’émission de l’Union. Lors de la dernière réforme de sa politique de financement énergétique en 2013, la BEI avait déjà introduit une limite d’émission de dioxyde de carbone pour ne plus financer de projets trop polluants4. Malgré cela, la banque a régulièrement été accusée de continuer à soutenir massivement l’extraction d’énergies fossiles qui totalisait 2,5 milliards d’euros de prêts en 2018, 5 % de l’ensemble de ses actifs.

La décision de la Banque a été accueillie avec satisfaction par les organisations de la société civile, celles-ci ayant déjà mis la pression sur la Banque pour qu’elle change radicalement sa politique de financement énergétique, à travers la publication d’une lettre ouverte en juin dernier signée par 80 organisations et personnalités scientifiques5.

L’annonce de la BEI arrive également au moment de l’annonce par la présidente-élue de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, d’un vaste plan d’investissement dans les énergies renouvelables (un Green Deal) et de la réorganisation de certains services de la BEI en une « Banque européenne du climat », le tout devant permettre à l’Union européenne d’atteindre des objectifs climatiques ambitieux : une baisse des émissions de dioxyde de carbone de 50 % voire 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990, ainsi que la neutralité carbone en 2050.

La principale interrogation vis-à-vis de cette proposition de nouvelle politique de financement de l’énergie tient justement à sa nature programmatique, la décision définitive sur son adoption revenant en septembre prochain aux actionnaires de la BEI, c’est-à-dire les 28 États membres de l’Union. Plusieurs questions restent donc en suspens : l’arrêt du financement des projets fossiles d’ici la fin de l’année 2020 n’est-il pas trop précoce et brusque pour certains pays de l’Union (notamment les pays du groupe de Visegrad), rétifs à une transition énergétique trop ambitieuse ? L’inclusion du gaz naturel au nombre des projets exclus des financements BEI ne risque-t-elle pas de froisser ces mêmes États membres, mais également certains pays comme l’Italie, qui considèrent cet hydrocarbure comme utile à la transition énergétique ? Quelle sera la place du nucléaire, énergie de plus en plus controversée en Europe, dans la nouvelle politique de financement ? Si le Parlement européen a voté en mars dernier une résolution qui exclut l’énergie nucléaire de la liste européenne des investissements verts, la proposition de la BEI l’évoque à de nombreuses reprises.

Les débats au Conseil des gouverneurs de la BEI risquent d’être longs, avant une décision prise à la majorité de ses membres.