Quito. L’annonce par le gouvernement la semaine dernière de la suspension des subventions sur les carburants a entraîné une hausse de plus de 120 % du prix à la pompe. Cette mesure intervient plusieurs mois après que l’Etat a obtenu un prêt de la part du Fonds monétaire international, à hauteur de 4,2 milliards de dollars, et 6 milliards supplémentaires d’autres institutions, parmi lesquelles la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement1.

La contrepartie à l’octroi de ce prêt avantageux (5 % de taux d’intérêt sur 30 ans) était la mise en place d’un plan de réformes économique sur trois ans, parmi lesquelles la suppression des subventions sur le carburant, en vigueur depuis les années 1970. Le ministre des finances Richard Martinez affirmait en effet, lors d’une audition publique tenue le 21 février 2019, quelques jours après l’annonce de l’accord avec le FMI, qu’il ne « s’agissait pas de résoudre des problèmes fiscaux sans appliquer des réformes structurelles, pour transformer l’économie vers un modèle plus moderne. Ce type d’accord permet un accompagnement pour que cette transition n’affecte pas les plus pauvres ».2.

L’accord s’appuie sur quatre piliers : la compétitivité et l’emploi ; la protection des plus faibles, par une hausse des dépenses sociales ; la sécurisation de la soutenabilité fiscale, par le renforcement du système de collecte de l’impôt ; enfin, la stabilité de la banque centrale. Ces quatre objectifs sont menés parallèlement à l’application de principes de transparence et de lutte contre la corruption.

Le deuxième pilier de cet accord semble néanmoins intenable face à la suppression des subventions des carburants automobiles, qui font plonger les budgets des ménages. Le président Lenin Moreno justifie cette mesure impopulaire, dont les recettes fiscales sont estimées à plus de 1,4 milliard de dollars par an, soit 5 % du budget de l’État, en accusant ses adversaires et prédécesseurs de l’avoir « repoussée pendant des décennies ». Ces subventions « perverses » ont selon lui distordu l’économie pendant plus de quarante ans et nourri l’instabilité des finances nationales3.

Cette mesure a provoqué le soulèvement d’une partie de la population équatorienne, des manifestations violentes dans la capitale et l’occupation de plusieurs infrastructures stratégiques, notamment par les populations indigènes. Parmi elles, l’oléoduc Trans-Equatorian Oil Pipeline System, d’une capacité de 450 000 barils par jour et qui achemine le pétrole des champs de la région d’Amazonie à l’Est au terminal maritime Balao à l’ouest du pays, à 8km de la ville d’Esmeraldas où se trouvent aussi d’importantes infrastructures de raffinage. La capitale équatorienne Quito se situe non loin du tracé de l’oléoduc, au nord du pays.

La production de pétrole a également été interrompue dans trois champs par la compagnie pétrolière nationale Petroamazonas après que des citoyens ont pris le contrôle des lieux. Dans le contexte d’état d’urgence, décrété le 3 octobre, les forces armées ont été déployées sur certaines infrastructures. La suspension des champs de Sacha, Auca et Libertador dans les provinces d’Orellana et Sucumbíos occasionneraient des pertes cumulées d’environ 63 000 barils par jour selon le gouvernement, soit environ 12 % de la production nationale4.

Cette contraction de la production est susceptible d’affecter les raffineries de la côte ouest et du Golfe des Etats-Unis, déjà confrontées depuis plusieurs mois à une réduction importante de leur approvisionnement en pétrole brut d’Amérique latine après l’instauration de sanctions contre le Venezuela. L’Équateur est le troisième fournisseur de pétrole de la côte ouest américaine derrière l’Arabie saoudite et le Canada, et les Etats-Unis sont la première destination du pétrole produit sur le territoire5. Plus encore, si les infrastructures de production et de transport de pétrole devaient être durablement bloquées, cela représenterait un manque à gagner significatif pour le budget de l’Etat ; le pétrole est à l’origine de près de 35 % des recettes nationales à l’export6.

La déstabilisation du secteur pétrolier en Équateur est un effet collatéral des importants mouvements sociaux constatés depuis plus de huit jours. S’il est impossible d’en prédire précisément la durée et l’impact sur l’économie nationale, il est en revanche éclairant de mettre cet épisode en perspective avec la décision récente du gouvernement de quitter l’OPEP d’ici à 2020. L’Équateur est membre de l’organisation depuis 1973 et compte parmi les plus petits pays producteurs, par rapport aux mastodontes que sont par exemple l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. L’Équateur avait déjà quitté l’Organisation entre 1992 et 2017 pour un motif similaire à celui mis en avant aujourd’hui, à savoir la volonté de retrouver sa souveraineté sur ses volumes de production. A l’heure où l’OPEP impose à ses membres – sans réellement pouvoir les y contraindre – des quotas de production pour soutenir les prix du marché, l’Équateur fait le choix d’intensifier son activité pétrolière pour doper ses recettes. Déjà en 2017 le ministre des Ressources Carlos Perez avait annoncé que l’Équateur ne respecterait pas les limites de production préconisées par l’OPEP7.

Dans un contexte pétrolier sous tension en Amérique latine, du fait d’un secteur instable et de sanctions américaines ciblées au Venezuela, L’Équateur semble miser sur les ressources fossiles pour soutenir sa croissance. Le pays développe en effet un autre champ, dans le parc national de Yasuni, aux réserves estimées à 1,6 milliard de barils et pour lequel le gouvernement espère lancer les appels d’offre d’exploitation dès 2020. Ce projet suscite de fortes inquiétudes quant à son impact environnemental sur les territoires d’Amazonie, où se situe la majorité des ressources.8

Perspectives  :

  • La prolongation de l’insurrection en Équateur pourrait sévèrement impacter la production et les exportations de pétrole du pays, créant un déficit commercial et budgétaire important, et accroissant la tension sur l’approvisionnement en pétrole brut des raffineries ouest-américaines.
  • La situation du Venezuela et de l’Équateur, en particulier l’annonce de son retrait de l’OPEP, devraient être au centre des discussions du prochain sommet de l’OPEP le 5 décembre.