Varsovie. L’année est chargée dans l’agenda politique polonais. La succession des élections européennes – avec le renouvellement de la Commission – et des élections parlementaires ouvre un cycle de débats sur l’avenir énergétique (et donc économique) de la Pologne et sur sa contribution à la politique de l’Union.

Et les sujets énergie-climat sont majeurs dans ces débats : le pays doit soumettre d’ici la fin de l’année son National Energy and Climate Plan (NECP) à la Commission européenne, c’est-à-dire sa fiche de route pour atteindre sa contribution au Cadre pour l’énergie et le climat à l’horizon 2030 de l’Union européenne. Sa contribution est une réduction de 7 % de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) vis-à-vis des niveaux de 2005 et un accroissement de la part des énergies renouvelables dans sa consommation énergétique brute finale à 25 % (contre 10,9 % actuellement). Les objectifs cumulés de l’ensemble des États membres devraient permettre de réduire de 43 % les émissions de GES et de porter la part des énergies renouvelables à 32 % dans le mix total de l’Union.

Mais le défi est grand : en 2017, le charbon et les autres combustibles fossiles solides représentaient 2,4 % de la consommation brute totale finale d’énergie en Europe. A l’échelle de la Pologne, ils en représentaient 16 % ; la Pologne concentre à elle-seule 44 % de l’énergie finale consommée sous forme de charbon en Europe. Une telle disparité s’explique par la place prépondérante du charbon dans le chauffage individuel domestique. Dans le domaine électrique, en 2017, la Pologne a représenté 20 % des combustibles fossiles consommés dans l’Union et destinés à l’électricité.1

Cela pourrait expliquer que, fin juin 2018 durant le dernier sommet du Conseil européen, la Pologne, accompagnée de la République tchèque, de l’Estonie et de la Hongrie, a bloqué un accord sur la réalisation de la neutralité carbone en 2050. Cette première, initialement frontalement opposée à l’accord, s’est ensuite assouplie et a demandé une étude plus approfondie des coûts d’une telle stratégie, notamment pour les pays « partant de loin », et la mise en place d’un financement adéquat pour les accompagner dans la transition. Le sujet sera de nouveau abordé lors du prochain sommet à la mi-octobre 2019. Cela tombe plutôt bien : ce sera la période des négociations sur le prochain Cadre financier pluriannuel de l’Union (2021-2027), alors que les premières propositions ont avancé une réduction de 23 % du budget alloué à la Pologne dans le cadre du Fonds de cohésion (soit environ 5,3 milliards d’euros).

La Pologne, supportée par les représentants d’intérêts de l’énergie, ainsi que d’autres pays de l’Est, milite depuis la COP 24 pour la mise en place d’un « Fonds de transition juste » pour financer, dans les pays où le charbon représente une grande part de l’énergie consommée, la transition vers un système énergétique compatible avec les objectifs de l’Union. Cette proposition part du principe qu’elle coûtera plus cher et donc sera plus difficile que pour d’autres pays, plus riches, disposant déjà d’un mix décarboné, comme la France. La nouvelle présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a assuré lors de son déplacement à Varsovie le 25 juillet que Bruxelles s’engageait à mettre en place un tel fonds2 ; reste à préciser le montant alloué – le Parlement européen s’était prononcé sur 4,8 milliards d’euros en novembre 20183 – , alors que les estimations se comptent en dizaines de milliards d’euros et que la volonté de l’Union est plutôt à la stabilisation voire à la réduction de son budget global. À ces tractations s’ajoute la volonté du gouvernement polonais d’obtenir le poste de commissaire à l’énergie en échange de son soutien – probant – à la candidature d’Ursula von der Leyen, signe que la Pologne souhaite peser lourdement dans le débat énergétique européen.

Repousser la question de la neutralité carbone à octobre est aussi l’occasion de gagner du temps vis-à-vis des élections parlementaires de septembre. Celles-ci vont en effet majoritairement porter sur le charbon en tant que commodité énergétique et symbole politique, sachant que l’industrie minière emploie encore 100 000 personnes et qu’en son sein s’est forgée l’indépendance face à l’URSS via les syndicats, le plus connu répondant au nom de Solidarność. Le principal parti d’opposition actuel, Plateforme civique (PO), a avancé d’ambitieux objectifs : faire disparaître le charbon de la production de chaleur d’ici 2030 et de la production d’électricité d’ici 20404. Des objectifs bien plus ambitieux que la feuille de route énergétique dévoilée par le gouvernement en décembre dernier, dans lequel le charbon représente toujours 60 % de la production d’électricité en 2030, couplé à un développement du chauffage municipal plutôt qu’individuel, sans objectif réellement chiffré pour ce dernier5. Rappelons qu’en Pologne, 80 % à 85 % de l’électricité provient toujours du charbon et que des centrales sont encore en construction, comme celle d’Ostrołęka.

L’opposition polonaise n’est néanmoins pas accordée sur l’après-charbon. Si la feuille de route gouvernementale prévoit l’option nucléaire dès 2033, PO, l’Alliance de la gauche démocratique (SLD) et les Verts (PZ) y sont opposés, tandis qu’Ensemble et Printemps le défendent.

L’énergie et le climat représentent des sujets où la contribution de la Pologne est à la fois très attendue et source de frictions à l’échelle européenne. À ces sujets viennent s’entremêler des représentations et questions sociales (la figure du mineur est valorisée et encore très prégnante), historiques et géopolitiques (dont l’indépendance énergétique face au voisin Russe, notamment son gaz). Si l’ambition de l’Union est un levier pour permettre à la Pologne de réaliser sa décarbonation, le débat national s’empare de plus en plus du sujet : en témoigne la récente tentative d’occupation de la mine de Tomisławice le 20 juillet dernier, qui s’est rapidement terminée sous les coups d’une répression brutale par le service d’ordre de la compagnie opérant la mine.

Perspectives :

  • Élections législatives en octobre 2019 : un récent sondage montre qu’en l’absence d’union des forces d’opposition, le PiS pourrait obtenir de 43 % à 46 % des votes tandis que PO 26 %. Ces estimations représentent une décrue des forces d’opposition après les 38,4 % obtenus par une coalition plus large autour de PO (Coalition européenne) – résultats déjà décevants ayant entraîné la scission du Parti paysan polonais (PSL)6.
  • Sommet Action climat 2019 de l’ONU qui se déroulera le 23 septembre à New-York, et auquel l’UE offrira un visage affaibli sur le sujet de la neutralité carbone.
  • Prochain Sommet européen : 17 et 18 octobre 2019.