Athènes. La sentence va bientôt tomber pour Alexis Tsipras. Les élections législatives anticipées appelées le 26 mai et se tenant ce dimanche 7 juillet devraient entériner la défaite de son parti, SYRIZA. Lors des élections groupées de mai dernier – municipales, régionales, et européennes – SYRIZA a perdu sur tous les fronts au profit de la Nouvelle Démocratie (ND), le parti conservateur d’opposition. La ND a raflé le gros lot en obtenant la présidence de 11 voire 12 des 13 régions grecques à l’exception de la Crète, les plus grandes municipalités du pays et 33 % des voix pour les élections européennes1. Son président, Kyriakos Mitsotakis, est le grand favori pour briguer la tête de l’Etat à l’issue du scrutin de dimanche.

Selon les derniers sondages, la ND devrait obtenir plus de 35 % des voix2 et aurait de grandes chances d’obtenir une majorité absolue au Parlement. En effet, le système de scrutin réserve l’élection de 250 députés à la proportionnelle tandis que 50 députés sont élus au sein du parti ayant obtenu le plus de voix selon le principe de la prime majoritaire. Derrière la ND, seulement 26 % des voix et plus reviendraient à SYRIZA. Le Mouvement pour le Changement, le KINAL, l’alliance de partis sociaux-démocrates créée en 2017 autour de l’ancien PASOK, recueillerait plus de 6 % des voix devant Le Parti Communiste Grec (KKE) avec environ 4 % des voix. Le parti d’extrême droite Aube Dorée, embourbé dans un procès fleuve autour du meurtre du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas qui devrait se conclure cet été, n’atteindrait pas les 4 %, tout comme le parti nationaliste la Solution grecque.

Le triomphe de la gauche contestataire européenne jusqu’au traumatisme de l’été 2015

Depuis que les résultats des élections européennes sont tombés, le déclin de SYRIZA semble sans appel. Fondé en 2004, SYRIZA avait opéré, dans le contexte de la crise de la dette grecque en 2009, un tour de force l’amenant en quelques années à la tête de l’Etat grec. En effet, lors des élections législatives grecques de 2012, SYRIZA évince les deux partis dominants de l’histoire politique de la Grèce moderne, la ND et le PASOK. Sur la promesse de mettre fin aux mesures d’austérité imposées par la Troïka, le parti parvient en 2015 à obtenir une majorité au Parlement. Il cristallise alors tous les espoirs des Grecs et de la gauche contestataire européenne qui voit en lui l’exemple d’une voie possible contre le néolibéralisme.

Au pouvoir, le premier gouvernement Tsipras entreprend d’âpres négociations avec les créanciers qui aboutissent durant l’été 2015, une période qui restera comme un traumatisme pour les Grecs. En juin 2015, l’Etat n’arrivant pas à un accord et n’étant pas en mesure d’honorer les échéances de remboursement de ses créances, des contrôles sur les capitaux sont instaurés. Les Grecs se ruent aux guichets des banques afin de retirer leurs avoirs. Le 5 juillet 2015, le référendum sur la proposition de la Troïka concernant un troisième plan de sauvetage voit le « non » l’emporter à 61 % des voix. Le parti déçoit en acceptant quelques jours plus tard un accord proposant des mesures d’austérité plus drastiques encore que celles auxquelles les Grecs s’étaient opposés. SYRIZA perd alors une partie de son électorat et de sa base militante de gauche radicale et se repositionne progressivement au centre-gauche. Après de nouvelles élections législatives, il s’allie avec les Grecs indépendants d’ANEL, un parti de droite souverainiste.

La Grèce à peine remise financièrement, les Grecs toujours en plein dans la crise

Cela fait maintenant presque 10 ans que les Grecs vivent au rythme des coupes budgétaires, des augmentations des taxes, de la réduction des pensions de retraite et des salaires de la fonction publique. L’État a privatisé à tire-d’aile et vend une partie de ses biens immobiliers. À ce prix, l’État dégage depuis 2016 un excédent budgétaire primaire – avant déduction des intérêts de la dette – supérieur à 3 % jusqu’à 4,4 % en 20183. Les principaux indicateurs montrent une stabilisation de la situation économique4 : depuis 2017, la croissance économique est de retour et le taux de chômage s’est abaissé à 20 % de la population active. La Grèce est même sortie des plans d’aides en 2018. Certains analystes voient dans ces améliorations la possibilité d’une sortie de crise mais la situation est loin d’être revenue à la normale : au-delà du poids toujours écrasant de la dette, qui laisse ouverte la possibilité d’un quatrième plan d’aide5, les conséquences sociales de la crise sont toujours palpables.

Le prochain gouvernement aura d’importants défis sociaux à relever. La baisse du taux de chômage cache la précarisation de l’emploi à travers un recours accru au travail informel et des retards de versement des salaires. De nombreux Grecs, le plus souvent diplômés, ont été contraints d’émigrer pour trouver un emploi générant un phénomène de « fuite des cerveaux » (brain drain). D’autres ont choisi de retourner vivre dans les maisons familiales dans les campagnes où ils trouvent des moyens de subsistance en cultivant la terre et par les dons alimentaires. La crise économique a ainsi occasionné un processus de contre-urbanisation, c’est-à-dire une diminution de la population vivant dans les villes au profit des villages. Les Grecs y trouvent des moyens de subsistance en cultivant la terre et par les dons alimentaires. Quand ils ne peuvent compter sur l’autoconsommation, notamment dans les villes, ils se tournent vers distributions de nourriture organisées par des associations caritatives et par l’Église orthodoxe, les sissitia, pour survivre. La crise économique, à laquelle s’ajoute la crise de l’accueil des réfugiés, fait partie du quotidien des Grecs.

Une reconquête ratée de la gauche radicale par SYRIZA depuis 2018

Depuis la sortie des plans d’aide de la Grèce en 2018, le gouvernement a pu mettre en place une série de mesures en faveur des plus défavorisés et vers plus de protection sociale : le salaire minimum est augmenté à 650€, la TVA a été abaissée, des aides sont accordées aux petites retraites et les conventions collectives, qui avaient été abolies en 2012, sont réintroduites. Selon Giorgos Katrougalos, ministre des affaires étrangères du gouvernement Tsipras, ce n’est qu’à partir de ce moment-là que SYRIZA a eu la possibilité d’appliquer sa politique de gauche.

Malgré cela et les quelques mesures des premières années du mandat de SYRIZA – droit à l’adoption pour les couples de même sexe, aides pour les familles les plus pauvres et les chômeurs de longue durée, la gratuité dans les hôpitaux publics – le mal a été fait : l’électorat de gauche estime que SYRIZA a adopté un discours démagogue et populiste pendant la campagne des élections de 2015 pour trahir ses engagements une fois au pouvoir. SYRIZA s’est attiré par là même les foudres d’une partie de la gauche européenne. Le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon avait appelé en janvier 2018 à son exclusion de la Gauche Unitaire Européenne, parti auquel SYRIZA est affilié au Parlement européen. Piqué à vif, Alexis Tsipras avait rétorqué « nous, nous sommes plus à gauche que Mélenchon. Nous, nous sommes à gauche en pratique et pas seulement en paroles »6.

L’affirmation de l’alternative de la ND à droite

Depuis le début de l’année, le gouvernement s’est maintenu sur le fil et a cristallisé de plus en plus d’oppositions. L’accord de Prespa sur le nom de la Macédoine du Nord, signé le 17 juin 2018, a fragilisé le gouvernement. Cet accord conclu avec Zoran Zaev, le Premier ministre macédonien, reconnaît le nom de « République de Macédoine du Nord » en place de celui d’« Ancienne République Yougoslave de Macédoine » (FYROM) pour le voisin septentrional de la région de Macédoine grecque.

Cet accord a fait perdre à SYRIZA une partie de ses soutiens, notamment au Parlement. Avec la démission de son ministre des Affaires étrangères, Nikos Kotsias, en octobre 2018 et de son ministre de la Défense, Panos Kammenos, en janvier 2019, SYRIZA a dû faire sans son allié au parlement, ANEL, et sans sa majorité parlementaire. En grappillant quelques voix auprès de dissidents d’ANEL et auprès d’indépendants, Alexis Tsipras obtient de justesse le vote de confiance pour son gouvernement le 16 janvier et la ratification de l’accord de Prespa le 21 janvier 2019. L’accord de Prespa a également mauvaise presse auprès des Grecs. Une majorité d’entre eux sont défavorables à l’accord et se retrouvent davantage dans le positionnement de Kiriakos Mitsotakis qui s’est dit en faveur d’une renégociation de l’accord de Prespa s’il est élu et s’oppose à l’entrée de la République de Macédoine du Nord dans l’Union7

Vers un gouvernement libéral au pouvoir ?

Tout en étant issu de l’aile centriste libérale de la ND – il a voté pour l’union des couples de même sexe – Kiriakos Mitsotakis a ainsi su jouer sur une ligne conservatrice qui séduit une partie des Grecs. Le président de la ND n’hésite pas à mettre en avant, sur les réseaux sociaux, ses valeurs familiales auxquelles les Grecs sont particulièrement sensibles depuis la crise économique.

Diplômé d’Harvard et de Stanford, ancien banquier dans le secteur de la finance, Kiriakos Mitsotakis a pu être comparé à un Emmanuel Macron par les médias français8. Il prône une vision libérale et réformatrice sur le plan économique. Il souhaite diminuer les taxes sur le revenu, qui pèsent très lourd sur le budget des Grecs, et mettre en place des mesures incitatives pour les investissements étrangers. Le président de la ND s’est également montré en faveur d’une collaboration étroite avec l’UE, en rupture avec la relative hostilité de SYRIZA à son égard.

Car le succès de la ND est également dû au fait qu’il a su se présenter comme l’alternative la plus crédible à SYRIZA9. Kiriakos Mitsotakis a ainsi réussi à déjouer la défiance des Grecs pour les élites installées issues des dynasties politiques grecques, lui qui est le fils de l’ancien Premier ministre Konstantinos Mitsotakis (1990-1993) et un des descendants d’Elefthérios Venizélos, homme d’État et figure du Mouvement de libération de la Grèce qui a marqué durablement la scène politique grecque à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Kiriakos Mitsotakis a lui-même déjà une carrière politique de plusieurs années : il a occupé le poste de Ministre de l’administration publique de 2013 à 2015 dans le gouvernement d’Antonis Samaras avant d’être élu à la tête de la ND.

Si l’on s’aventure à prospecter sur les estimations des instituts de sondage, l’élection de Kiriakos Mitsotakis à l’issue des élections législatives pourrait offrir l’espace pour une restructuration de la gauche en permettant la formation de nouvelles alliances dans l’opposition. La gauche grecque semble cependant loin d’être en position de trouver des compromis, que ce soit entre le centre-gauche et l’extrême gauche, ou même au sein de la gauche radicale, représentée par le parti de Yánis Varoufákis MéRA25, le KKE, ainsi que par plusieurs partis marxistes pour l’instant sans entrée au Parlement. 

Quatre partis, le KINAL, le KKE, Aube dorée et la Solution grecque, devraient déjà jouer un rôle d’arbitre en déterminant par leur score le rapport de force entre le gouvernement et l’opposition dans une scène politique marquée par le retour d’un relatif bipartisme. L’abstention devrait se maintenir aux niveaux élevés qu’elle connaît depuis ces dernières années malgré une baisse lors des élections du 26 mai (41 %). L’issue du scrutin ne semble ainsi pas encore jouée car bon nombre d’électeurs qui se déplaceront aux bureaux de vote risquent de se trouver dans l’embarras pour choisir le bulletin qu’ils déposeront aujourd’hui dans l’urne.

Perspectives :

  • Les premières estimations des résultats des élections législatives seront diffusées ce soir (dimanche 7 juillet) à 21h.
Sources
  1. COUDRIN Cécile, BONNET Pierre, RONDEAU DU NOYER Lucie, Élections européennes : commentaires sur les résultats en Bulgarie, à Chypre, en Grèce et à Malte, Le Grand Continent, 26 mai 2019
  2. Νέα δημοσκόπηση Metron Analysis : Ποια η διαφορά ΣΥΡΙΖΑ – ΝΔ λίγα 24ωρα πριν από τις εκλογές, CNN Greece, 3 juillet 2019
  3. En Grèce, l’excédent primaire 2018 à 4,3 %, meilleur qu’attendu, Reuters, 23 avril 2019
  4. BATUT Cyprien, Austérité, j’écris ton nom, Le Grand Continent, 26 avril 2019
  5. PERRIER Fabien, En Grèce, Syriza poussé vers la sortie, Alternatives Économiques, 1 juillet 2019
  6. FAY Sophie, Tsipras recadre Mélenchon : « Nous, nous sommes à gauche pas seulement en paroles, l’Obs, 14 février 2018
  7. RAFENBERG Marina, « Macédoine du Nord » : le Parlement grec ratifie l’accord avec Skopje, le Courrier des Balkans, 25 janvier 2019.
  8. UBERTALLI Olivier, Kyriakos Mitsotakis, le « Macron grec » qui veut faire tomber Tsipras, le Point, 4 juillet 2019
  9. SKORPIS Marianne, DUNKEL Jonas, ARBOGAST Théo, MANGIN Anne, Grèce, fin de règne pour Alexis Tsipras, Arte TV