Strasbourg. Avec 116 voix pour, 62 voix contre et 15 abstentions1, mardi dernier, le Conseil de l’Europe a rétabli les délégués russes, suspendus depuis l’annexion de la Crimée en 2014. En guise de protestation, les délégués ukrainiens se sont retirés de l’Assemblée2.

Cette question fait débat depuis un certain temps. Le choix final a été alourdi par des raisons pratiques (la Russie, avant de cesser ses contributions, figurait parmi les cinq premiers contributeurs au budget de l’institution)3, mais aussi pour des raisons liées au sens même du Conseil. L’absence de la Fédération de Russie de cette institution éliminerait de fait la possibilité pour ses citoyens d’utiliser efficacement la CEDH pour des violations des droits de l’Homme. C’est cet argument qui a percé le front des pays traditionnellement plus hostiles à Moscou.

C’est le cas de l’Allemagne. Ce n’est pas la première fois que Berlin affiche une position hétérodoxe à l’égard des Russes, mais sa condamnation de l’annexion illégale de la Crimée a jusqu’à présent prévalu sur toute autre considération, économique ou non. Ce n’était pas le cas cette fois, à en juger par le nombre de délégués allemands favorables au retour de la Russie (8 contre 2).

À partir du cas allemand, deux réflexions peuvent être faites sur la composition du vote mardi dernier.

La ligne de faille la plus évidente et prévisible suit la prédisposition traditionnelle des pays européens à la Russie. Le Royaume-Uni et la majeure partie des pays de l’Est (l’Ukraine, la Géorgie, la Pologne et la Baltique en premier lieu) se sont mobilisés contre la réadmission de la délégation russe. D’autres, plus proches de Moscou (comme la Serbie et la Turquie), ou même pas nécessairement pro-russes (comme la Suède, la Belgique ou l’Espagne) se sont montrés plus enclins à d’autres évaluations politiques. Si tous les États de l’Union continuent de s’accorder formellement sur l’illégalité de la déchirure de Crimée il y a cinq ans par des sanctions confirmées à l’unanimité ces derniers jours4 – il n’en va pas de même pour les mesures à appliquer en réponse.

D’autre part, il n’y a pas de doute sur les alignements au sein des pays du continent. Parmi les 116 délégués qui ont voté pour la réadmission de Moscou, l’appartenance politique est hétérogène et transversale. La même chose s’applique aux votes opposés à la réadmission. C’est la démonstration du fait que les orientations à l’égard de la Russie sont toujours dictées par les priorités géopolitiques nationales plutôt que – comme nous voudrions souvent le croire – par les communautés idéologiques supposées. Les délégués de l’Italie et de la France, par exemple, ont voté de manière totalement compacte (à l’exclusion d’un représentant) en faveur de la réintégration de la Russie, bien que les rapports rhétoriques avec Moscou soient complètement inverses.

Certes, une approche différente sur la question émerge de la division intra-européenne. Pour les démocraties libérales occidentales, les principes des droits de l’Homme restent un élément incontournable du rapport avec Moscou dans les négociations diplomatiques, ce qui n’empêche pas les affaires se poursuivent sur d’autres pistes. Pour l’Est, où les droits sont historiquement moins enracinés et moins importants pour l’opinion publique moyenne, le jeu à somme nulle de la confrontation géopolitique a plus de valeur. Aux yeux des pays de l’Est, le vote de mardi montre les divisions au sein du continent et offre par erreur à Moscou l’occasion de se réintégrer (même moralement) dans la communauté internationale.

Bien entendu, la portée limitée de la réadmission de la Russie par le Conseil de l’Europe ne peut être ignorée. Tout le monde sait que le terrain de jeu principal est tout autre, des sanctions de l’UE à la rivalité avec l’OTAN. Mais en l’absence de progrès sur ces deux derniers fronts, la Russie s’est au moins concentrée sur cet objectif symbolique. Au Kremlin, tout le monde n’est d’ailleurs pas d’accord sur cette politique.5

Mission accomplie pour Moscou, mais le chemin qui mène à la réhabilitation complète est encore long et semé d’obstacles, comme le préviennent de nombreux adversaires de Moscou.