Rome. Après la visite de Xi Jinping en mars, Vladimir Poutine est également arrivé dans la capitale italienne. La rencontre du jeudi 4 juillet a elle aussi dû provoquer une certaine appréhension à Washington. Les États-Unis, alliés et protecteurs de l’OTAN à Rome, n’auront certainement pas profité de la double ronde de valses italiennes, bien qu’ils soient désormais conscients de la duplicité géopolitique de leur allié1. Mais la coïncidence temporelle entre les deux visites n’est en réalité qu’une coïncidence. L’Italie n’a pas l’intention de changer ses alliances internationales : elle ne peut pas se le permettre, surtout dans une phase d’isolement progressif de l’Europe.

De plus, le bilan de la journée romaine de Poutine n’est pas brillant. Quatre réunions, dont deux seulement avec les autorités italiennes (avec le président du Conseil et celle de la République) ; l’un avec le pape et le dernier, enfin, avec son ami de longue date, Silvio Berlusconi.

Résultats ? Bien peu, du moins en jugeant ce qui a été rendu public. La (non) nouvelle est que la coopération se poursuit, à l’instar de la forte cordialité qui a toujours caractérisé les relations entre les deux nations2. Mais aucun saut qualitatif n’est à l’horizon. Les responsabilités incombent aux deux parties et aux deux sujets les plus chauds des négociations : les sanctions envers la Russie consécutives à l’invasion de la Crimée et la Libye.

En ce qui concerne les sanctions, Rome est incapable de bloquer leur renouvellement continu. Pas à cause d’une incapacité formelle, puisque le droit de véto européen fait toujours partie de ses prérogatives, mais à cause de sa loyauté envers le camp atlantique, de la difficulté de garder trop de fronts ouverts avec l’Union et du manque relatif d’avantages directs liées à la reprise totale des relations avec Moscou. En bref, le véto italien sur les sanctions restera peut-être encore une affaire de propagande électorale, mais il est déjà sorti du champ des options réalistes pour la politique étrangère de Rome. Le président russe en est conscient et se limite à reconnaître les obstacles internationaux de l’Italie sans pratiquement en demander davantage3.

Si le manque de progrès sur le front des sanctions était déjà considéré comme acquis avant l’arrivée de Poutine, on ne peut pas en dire autant de l’autre front chaud des relations italo-russes, la crise libyenne. Cette fois-ci, la responsabilité principale incombe à Moscou et aux attentes qu’elle manifeste à l’égard des événements sur la rive sud de la Méditerranée. Comme on le sait, dans la fragmentation de l’ancienne colonie italienne, la Russie a choisi de prendre parti (d’abord avec une extrême discrétion, puis de plus en plus manifestement) aux côtés de Haftar, le général qui contrôle la Cyrénaïque contre le pouvoir exécutif internationalement reconnu d’al-Serraj (basé en Tripolitaine). L’important échec militaire de l’offensive menée par Haftar contre Tripoli a commencé à refroidir le soutien de certains de ses sponsors, mais pas encore celui de la Russie, habituée à ne pas changer facilement de chevaux, et donc pas encore disposée à condamner les actions du général (probablement qualifiables de crimes de guerre, selon l’ONU). C’est donc une occasion manquée de rétablir les liens diplomatiques avec la Libye4.

Plus vraisemblablement, la rencontre à huis clos du président russe avec le pape François a été plus fructueuse. Apparemment distants pour des raisons idéologiques (pour de nombreux commentateurs, les deux dirigeants sont considérés respectivement comme les champions de la souveraineté et du mondialisme), Poutine et François partagent beaucoup de choses. Parmi ces points d’accord, il y a certainement la volonté de protéger l’identité chrétienne dans le monde, et en Syrie en particulier, et une certaine critique de l’ordre « libéral-libéral » relancée il y a quelques jours par le président russe. Enfin et surtout, la neutralité assumée par François face à la crise en Ukraine est particulièrement appréciée par Moscou (et contestée par Kiev)5. En arrière-plan de cette rencontre se trouve la possibilité – pour le moment niée, selon des sources internes au Kremlin – d’une visite du pape en Russie avant la fin du mandat de Poutine. Un geste qui couronnerait symboliquement la fin de sa présidence.

Sources
  1. Cosa vuole davvero Putin dall’Italia, Limes, Rivista Italiana di Geopolitica, 5 juillet 2019.
  2. “Business as usual” : perché tra Italia e Russia i rapporti non cambiano, Osservatorio Russia, 5 juillet 2019.
  3. Putin : « Pronti a dialogare con gli Usa. Contatti costanti con la Lega di Salvini », Corriere della Sera, 4 juillet 2019.
  4. Libia : Italia in disparte, la Russia consolida l’influenza, Huffington Post, 5 juillet 2019.
  5. Vaticano e Mosca mai così vicini, Limes, Rivista Italiana di Geopolitica, 9 juillet 2018.