Vancouver. Peu connu du grand public, le Clean Energy Ministerial (CEM) et la Mission Innovation (MI) sont deux grandes initiatives à l’échelle mondiale pour soutenir la recherche et le développement de technologies, stratégies et politiques pour combattre le changement climatique et promouvoir les énergies propres.

Depuis 2009, le CEM réunit 25 pays et l’Union Européenne en son sein et a pour principal objectif d’encourager la transition vers une économie mondiale de l’énergie propre. Basé sur le volontariat, le CEM repose sur des initiatives engagées par les pays membres et sur des sommets organisés chaque année pour partager les meilleurs pratiques et retours d’expériences1. La Mission Innovation est une initiative lancée en 2015, portée par 24 pays et par la Commission européenne. Elle vise à redynamiser et à accélérer l’innovation mondiale en matière d’énergie propre2. Ainsi, ce sont respectivement la 10ème et la 4ème édition qui se sont tenues cette année sous la présidence du ministère des ressources naturelles du Canada, sous le nom de CEM10/MI4.

Ces trois jours ont été l’occasion pour les pays et les organisations internationales de présenter un bilan des actions portées par les initiatives (sous la forme de partenariats par exemple entre la France et l’Inde sur l’accès à l’énergie) ainsi que des challenges à venir (innovation challenge dans l’hydrogène). L’un des moments phares a été l’annonce du lancement, par le groupe d’investissement de Bill Gates en partenariat avec la Commission européenne, d’un Fonds européen pour les énergies propres doté de 100 millions d’euros pour accélérer la transition énergétique, notamment en venant en aide aux start-ups innovant dans les énergies propres et à fort besoin de capitaux.3

La conférence CEM a été aussi l’opportunité pour l’énergie nucléaire de s’exprimer sur son rôle dans la décarbonation des systèmes énergétiques de demain. Au cours d’une série de side events, différents représentants de gouvernements nationaux, de l’industrie et des organisations internationales comme l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) et l’Agence de l’Energie Nucléaire (AEN) ont présenté leurs arguments :

  • Avec l’irruption des énergies renouvelables (éolien et solaire photovoltaïque), les systèmes électriques doivent être plus flexibles pour s’adapter à la variabilité inhérente à ces ressources. Les centrales nucléaires peuvent opérer de façon flexible et fournir des services au réseau (i.e. suivi de charge et réglage de fréquence), comme en témoigne le retour d’expérience de l’exploitation des parcs en France et Allemagne (voir Figure 1). D’un point de vue économique, une centrale nucléaire doit opérer en base pour récupérer ses coûts fixes élevés. Cependant, avec un design du marché approprié, ces services pourraient être rémunérés et la compétitivité du nucléaire s’améliorer.
Figure 1 – Production de Belleville 1, 2-4 Avril 2019 – Source  : IEA, 2019
  • Cette flexibilité d’opération du nucléaire fait partie d’un concept de flexibilité plus étendue4. En plus de la flexibilité d’opération, la flexibilité de déploiement (i.e. scalabilité, site, constructibilité) et même de produit (i.e. cogénération d’électricité et de chaleur) sont des caractéristiques que toute technologie devrait développer pour réussir dans des marchés de plus en plus incertains et volatiles. Les Small Modular Reactors (SMRs) sont la traduction technique de ce concept de flexibilité étendue. Certains concepts plus avancés (i.e. réacteur à sels fondus), sont capables d’opérer à des températures plus élevées et donc de fournir de le chaleur de haute qualité pour les procédés industriels et la production d’hydrogène5, des secteurs où la transition énergétique est en retard et les solutions techniques bas carbone encore peu nombreuses. Avec la publication de son SMRs roadmap en novembre 20186, le Canada est en train de se positionner pour devenir un leader dans le secteur. Cette feuille de route rassemble le gouvernement, industriels et régulateurs canadiens afin de créer le meilleur cadre de financement et de régulation pour le développement des premiers projets pilotes.
  • L’AIE, en s’appuyant sur sa nouvelle publication Nuclear Power in a Clean Energy Sytem7 a insisté sur l’importance de garder l’option de l’opération de long terme du parc nucléaire mondial existant, c’est à dire au delà de 40 ans. Ce parc fournit 10 % de l’électricité bas carbone produite dans le monde, en deuxième place derrière l’hydroélectricité, pour un âge moyen de 35 ans. En Europe, dans les conditions d’incertitude politique actuelle, la capacité nucléaire installée pourrait chuter de 125 GW en 2018 à 20 GW 2040. Ceci aurait des conséquences importantes sur la trajectoire des émissions de CO2, mais aussi sur le coût de l’électricité et la sécurité d’approvisionnement. L’AIE a affirmé qu’écarter le nucléaire du portefeuille de la transition énergétique ne fera que la ralentir et accroître son coût. Pour appuyer ces arguments techniquement, l’Agence pour l’Energie Nucléaire de l’OCDE a présenté son rapport Cost of decarbonisation : Systems Costs with High Shares of Nuclear and Renewables8. En utilisant l’outil d’optimisation du MIT GenX9, les coûts systèmes sont quantifiés et augmentent avec le taux de pénétration des renouvelables variables dans le système. Le nucléaire joue alors un rôle important pour les contenir – en tant que ressource bas-carbone, pilotable et flexible – en fonction des conditions et des moyens de production de chaque pays, notamment en termes d’hydroélectricité.

L’autre fait important et nouveau pour le sommet a été la présence d’un programme « jeunesse » en parallèle de l’événement. Les 25 pays membres du CEM et de MI ont été représentés par un groupe de près de 60 jeunes lors du sommet. Face à la volonté du gouvernement canadien d’intégrer un volet « jeunesse » dans son gouvernement et autres évènements, celui-ci a été organisé par Student Energy, une association mondiale destinée à faire émerger la future génération de décideurs pour une transition énergétique durable, le programme a été rythmé par l’intervention d’invités de marque telle que Catherine McKenna, Ministre de l’Environnement au Canada, Rachel Kyte, représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour Sustainability for All – une organisation internationale à l’initiative des Nations Unies, qui a pour but de faire travailler gouvernements, la société civile et le privé ensemble pour atteindre les Objectifs du développement durable – ou encore David Hochschild, président de la California Energy Commission.

Les principales leçons tirées du CEM10/MI4 sont le besoin d’une accélération de la transition énergétique, pour laquelle le nucléaire est une option viable, vers un futur bas carbone et durable pour combattre efficacement la crise climatique. Cela passe par la baisse des coûts des nouvelles technologies (batteries, éolien, solaire) mais aussi par une accélération du financement pour le climat à travers le monde. La coopération intergénérationnelle (mentorship programs, aide aux jeunes entrepreneurs, etc.), le partage des données, et l’inclusion des populations (redéfinition des projets énergie à l’échelle des communautés, emplois, et formation professionnelle) ont également été rappelés comme indispensables à une transition écologique juste et durable.

Perspectives  :

  • L’annonce du partenariat entre la fondation Bill Gates et la Commission Européenne est une bonne nouvelle en terme de financement vers un avenir bas carbone mais représente encore trop peu de moyen face à un déficit de financement de près de 70 milliards de dollars.10
  • Le prochain International Energy Summit, Breaking Barriers organisé par Student Energy et réservé aux étudiants se déroulera du 17 au 20 juillet à Londres.
  • La délégation jeunesse du Sommet a issue une déclaration publié sur le site de Student energy11, appelant les leaders d’aujourd’hui à déclarer une crise climatique et un engagement des gouvernements vers des objectifs de long-terme défini de manière inclusive.
  • L’énergie nucléaire fait parti du portefeuille de solutions à considérer pour la transition énergétique. L’écarter du débat, et en particulier exclure la possibilité d’allongement de la durée de vie des centrales existantes, pourrait la ralentir et accroître son coût.