Addis Abeba. À la suite du programme élaboré par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine en 2012, le processus de mise en œuvre intégrale de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC) a officiellement commencé la semaine dernière. Ce pilier de l’intégration africaine, visant à une plus grande coordination entre les États membres, y compris en matière commerciale, a toutefois vu le jour parmi de nombreux espoirs et inquiétudes, surtout de la part d’observateurs incertains du calendrier du processus de mise en œuvre préliminaire1. L’importance historique de cette initiative réside dans l’extension territoriale et géographique (c’est la plus grande zone de libre-échange du monde), dans un contexte caractérisé par la menace constante de barrières douanières et de guerres commerciales. C’est précisément dans ce contexte qu’il serait intéressant de comprendre le potentiel de la Chine et de l’Union européenne, qui semblent être profondément affectés par ce projet2.

L’Assemblée de l’Union africaine à Addis-Abeba en 2012 a joué un rôle fondamental dans la création d’un espace intra-africain, préalable indispensable à la création d’une zone de libre échange. L’article 3 de l’accord signé en février 2019 énumère les principes fondateurs. Le point central est la référence à l’Agenda 2063 comme principal cadre de référence pour l’action de l’union douanière. La suppression de toutes les barrières et de tous les droits, à l’encontre de la dynamique du reste du monde, concerne les marchés des biens et des services, mais il ne semble toujours pas y avoir de référence claire au marché du travail, qui semble être subordonné à une législation encore en vigueur (à l’heure actuelle, l’adoption d’un nouveau texte de mise en oeuvre et les ajouts ultérieurs sont exclus). Une autre pierre angulaire concerne la définition d’un groupe de contrôle et d’évaluation en cas de litige relatif à des obligations et à des droits de vente et d’investissement (articles 12-13-14)3.

Le point principal du débat reste toutefois l’adhésion de certains pays. Le ZLEC est actuellement la plus grande zone de libre-échange du monde, avec 52 États membres. À l’heure actuelle, toutefois, l’Érythrée et le Bénin ne font pas encore partie des signataires, de même que le Nigéria. L’une des plus grandes économies du continent et sa principale puissance démographique aurait décidé, selon les souhaits de son président Muhammadu Buhari, de faire l’impasse, à la fois pour des raisons de sécurité et pour attendre une stabilisation claire après les élections. L’Ambassadeur Albert Muchanga, Commissaire au commerce de l’UA, a exprimé sa plus grande satisfaction devant l’entrée en vigueur de l’accord, sans cacher toutefois le mécontentement suscité par le recul d’Abuja, sans laquelle le fonctionnement de la zone de libre-échange pourrait être ralenti4.

Quoi qu’il en soit, l’Accord relatif aux échanges de produits alimentaires entre l’Asie et le Pacifique promet d’être un excellent tremplin pour la Chine et l’Union européenne. La Chine, principal bailleur de fonds de l’UA, a promu un projet similaire. Cependant, entre le projet chinois et les accords bilatéraux conclus par Beijing avec la plupart des pays africains dans le cadre de la BRI, la présence chinoise sur le continent reste une source de préoccupation. De nombreuses spéculations courent sur le refus du Nigéria qui pourrait s’expliquer par sa volonté de mieux attirer les capitaux chinois, au détriment de ceux d’autres pays africains5.

La mise en place d’un plan de concurrence avec l’Union européenne concerne quant à lui les investissements dans les infrastructures et le lien étroit qui existe entre le marché africain (en particulier au nord) et les États membres de l’Union. Les États africains ont tendance à avoir une balance commerciale encore très dépendante des États européens. Le même problème se pose concernant la Chine pour l’Union. Enfin, la liberté de circulation représente une opportunité de discuter, au sein de l’UA et de l’UE, des relations entre propriété privée et État dans de nombreuses régions du continent. Il est encore difficile de comprendre si la ZLEC sera en mesure de limiter les phénomènes d’exploitation des ressources et d’accaparement des terres.

Perspectives :

  • 7 juillet 2019 : entrée en vigueur officielle de la zone de libre échange, après l’entrée en vigueur de l’accord (30 mai).
  • Cet accord propose des orientations encore fortement internationales et multilatérales, mais pas encore supranationales. En effet, il n’y a aucune référence au syndrome du cavalier solitaire qui caractérise, par exemple, la structure européenne. Et pourtant, la ZLEC est le premier élément de cette union économique complète qui souhaiterait également une monnaie unique continentale, l’afro, à laquelle l’UA travaille par l’intermédiaire du Fonds monétaire africain.
  • La question critique la plus importante n’est pas tant l’aspect purement économique-commercial que l’aspect territorial et le manque de souveraineté dans de nombreuses régions du continent. Les situations d’occupation objective ou d’absence d’État, comme dans les provinces de l’est de la République démocratique du Congo ou du lac Tchad, pourraient être renforcées par un projet d’union économique.
Sources
  1. SALAUDEEN Aisha, A Pan-African free trade deal just came into force, CNN Editor, 30th May 2019.
  2. DEVONSHIRE-ELLIS Chris, China set to cash in on New African Free Trade Agreement, China Briefing, 27th May 2019.
  3. Agreement establishing the African Continental Free Trade Area, African Union, 1st February 2019.
  4. SALAUDEEN Aisha, A Pan-African free trade deal just came into force, CNN Editor, 30th May 2019.
  5. NAIDOO Prinesha, What Trade War ? Africa Sidesteps Tariffs, Starts Free-Trade Pact, Bloomberg, 30 mai 2019