Brasilia. En ce mois de mai, le Ministère de l’Éducation brésilien a annoncé une réduction de 30 % sur le budget des universités publiques fédérales, sous le prétexte de la fragilité de la situation économique du pays. Après cette décision, certaines universités ont annoncé qu’une éventuelle réduction des dépenses entraînerait une interruption de leurs activités à compter d’août 2019. L’annonce a déclenché, le 15 mai, des protestations massives d’étudiants de premier et deuxième cycle contre le gouvernement dans plus de 220 villes brésiliennes. En réaction, le président a appelé ses partisans à une manifestation dimanche 26 mai. Cette décision a suscité des critiques de la part de certains membres du gouvernement et la défection de partisans célèbres, ce qui a entraîné une détérioration de l’image de la présidence dans l’opinion publique et a dégradé ses relations avec le pouvoir législatif.

Dans un premier temps, l’annonce de la réduction n’a touché que quelques universités qui, selon le Ministère de l’Éducation, encourageaient l’ « agitation » sur leurs campus, dont l’Université fédérale de Bahia (UFBA) et l’Université de Brasilia (UnB). Face aux critiques jugeant que le motif idéologique est inconstitutionnel pour justifier la réduction des dépenses publiques, le Ministère de l’Éducation a décidé d’étendre cette mesure à toutes les universités publiques. Cette baisse des fonds, bien qu’elle n’affecte pas directement la rémunération des enseignants, représente une réduction significative du financement des universités, qui comprend le paiement de l’eau, de l’électricité et du personnel externe responsable du nettoyage et de la sécurité des campus. Au cours des dix dernières années, le nombre d’étudiants des universités publiques, en particulier dans les classes les plus défavorisées (D et E), a connu une croissance significative. Cependant, depuis la crise économique de 2014, le secteur de l’éducation a été confronté à des coupes budgétaires successives. La politique de réduction des dépenses d’éducation a atteint son apogée ces dernières semaines. La situation du monde universitaire brésilien devient ainsi comparable à celle de ses voisins, comme la Colombie1 MONTOYA Victor, L’Argentine : la puissance sans la sicence, Le Grand Continent, 18 mai 2019.[/note] et l’Argentine2.

Après les manifestations du 15 mai, le président Jair Bolsonaro a qualifié les étudiants d’« idiots utiles ». La position radicale du gouvernement et sa difficulté à interagir avec les différents secteurs de la société se superposent à sa difficulté à obtenir le soutien du Congrès. En effet, le président a présenté la réforme des retraites comme le principal programme phare. Mais, pour que le projet de loi soit approuvé, une majorité qualifiée au Sénat et au Congrès est requise, ce qui exige une importante capacité de négociation du gouvernement avec les députés fédéraux des différents partis politiques. Le projet de loi présenté a déjà reçu 23 propositions de modifications au Congrès national3.

Les relations entre le président Bolsonaro et le président de la Chambre des députés Rodrigo Maia (DEM) se sont détériorées. Le 21 mai, Maia a annoncé qu’il ne rencontrerait plus le représentant du gouvernement au Congrès, le major Vitor Hugo (Parti social-libéral, PSL)4. En outre, le représentant du PSL qui a reçu le plus grand nombre de voix dans l’État de São Paulo, le juriste Janaína Pascoal, a annoncé son départ du parti du président, critiquant la décision du président d’organiser des manifestations de ses partisans. Les partis qui composent la coalition présidentielle, comme le Mouvement pour un Brésil libre (MBL), ont ouvertement critiqué la position du gouvernement en matière d’éducation, et se posent en alternative de droite modérée au président Bolsonaro.

Perspectives :

  • La température politique reste élevée dans les rues. La position du gouvernement est de rechercher l’appui de ses militants, en les appelant à défendre publiquement les mesures proposées par le gouvernement. Pour les mobiliser, Bolsonaro continuera d’imputer l’instabilité du pays aux « forces extérieures ennemies » de l’ancienne classe politique. Ce discours semble garantir, dans une certaine mesure, l’unité de ses plus fidèles partisans. D’autre part, les étudiants qui protestent contre la baisse de fonds pour l’éducation promettent une nouvelle manifestation contre le gouvernement le 30 mai. L’incapacité du président à adopter des positions plus modérées accentuera la polarisation politique, au détriment de la gouvernabilité du pays.
  • Les chapelles évangéliques et néolibérales sont celles qui prennent le plus d’importance, l’emportant sur les militaires, plus modérés. Avec le soutien de chefs religieux, tels que Edir Macedo, évêque de l’Église universelle du Royaume de Dieu, le président se présente comme un « envoyé divin ». Le soutien du militantisme du PSL n’est toutefois pas suffisant pour garantir la cohésion de la base dirigeante du Congrès national. En ce qui concerne la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif nécessaire à l’approbation des propositions du gouvernement, les perspectives de coopération sont faibles.
  • Les scénarios sont proches de la situation politique qui a caractérisé l’administration Collor dans les années 1990 : isolement institutionnel, crise économique et protestation sociale accrue. Cependant, il n’est pas certain que ces facteurs interagissent avec la radicalisation politique du Président qui aborde, avec les réserves respectives concernant l’orientation idéologique de chaque président, le comportement de Jânio Quadros dans les années 1960. L’incertitude demeure.