Buenos Aires. Lors de son arrivée à la présidence en décembre 2015, le président Mauricio Macri avait affirmé sa volonté de faire en sorte que l’Argentine fasse de nouveau partie du monde, et avait déclaré que l’Argentine était un pays avec un grand futur1. Trois ans et demi après, le pays fait face à de nombreuses crises, dont celle de l’université et de la recherche.

La nouvelle politique du gouvernement, qui a conduit à une diminution de moitié de l’octroi de bourses doctorales, a provoqué un conflit entre le gouvernement et le monde de l’enseignement supérieur et la recherche qui a même suscité des réactions dans des revues scientifiques internationales comme Science et Nature2. Ce conflit s’était amorcé lors de la suppression du Ministère de la Science et de la Technologie en septembre 2018. La récente participation d’une biologiste du CONICET, équivalent argentin du CNRS, au programme “Qui veut gagner des millions ?”, afin de financer ses recherches a montré à l’ensemble de la société argentine l’état du monde de la recherche.

Selon un rapport de la Confédération Nationale des Enseignants Universitaires, les dépenses en éducation en pourcentage du PIB seraient passées de 6,1 % en 2015 à 5,7 % en 2017. Le budget universitaire pour le secteur public aurait diminué de 10 % en termes réels depuis 2015. Par ailleurs, l’investissement en Recherche et Développement (R&D) en pourcentage du PIB est passé de 0,61 % en 2015 à 0,53 % en 2016, ce qui positionne l’Argentine loin derrière les États-Unis (2,74 %), la France (2,25 %) ou même l’Espagne (1,19 %) et le Brésil (1,27 %), mais devant le Chili (0,36 %), la Colombie (0,27 %) ou le Mexique (0,49 %)3. Cet investissement en R&D est bas, et étant donné la crise économique actuelle, il semble peu probable que les entreprises du secteur privé puissent combler le désinvestissement de l’État.

Pourtant, la science et l’université argentines sont sans aucun doute des éléments clefs de l’attractivité et du soft power du pays sur la scène internationale. En 2016, l’Argentine a attiré plus de 73 000 étudiants étrangers. À titre de comparaison, l’Espagne en a attiré environ 53 000, le Brésil moins de 20 000 et le Chili 4 0004. Parmi les dix universités latino-américaines que figurent au palmarès des 500 premières universités mondiales selon le classement de Shanghai, se trouve l’Université de Buenos Aires, les autres pays de la région ayant des universités classées étant le Brésil (6), le Chili (1) et le Mexique (1). Le rayonnement scientifique de l’Argentine passe aussi par le nombre de prix Nobel : cinq nominés, dont trois en sciences (C. Milstein et B. Houssay en médecine, L.F. Leloir en chimie). Les seuls autres pays de la région ayant également des Nobel scientifiques sont le Mexique et le Venezuela.

L’Amérique latine représente moins de 4 % du total des chercheurs mondiaux en 2015. Or, étant donné le développement de l’économie de la connaissance, l’investissement dans la recherche et dans l’éducation supérieure constituent des enjeux stratégiques. Les orientations actuelles de l’Argentine ne sauraient ainsi que susciter des interrogations quant au « grand futur » du pays. D’autant plus qu’environ 90 % des chercheurs argentins se trouvent dans l’enseignement supérieur ou dans le gouvernement.

Perspectives :

  • En avril 2018, s’est tenu dans la ville argentine de Córdoba le troisième Sommet Académique CELAC-UE destiné à mettre en œuvre l’intégration universitaire bi-régionale dont l’objectif est la création de l’Espace universitaire Commun d’Enseignement supérieur, Sciences, Technologie et Innovation entre l’Amérique latine, les Caraïbes et l’Union Européenne5. Les questions universitaires et scientifiques font ainsi partie de l’agenda politique national et régional, mais aussi inter-régional.
  • L’importance de ces questions dans l’agenda bi-régional implique aussi de s’intéresser à la place de la France dans ce processus, étant donné l’importance des liens universitaires et scientifiques qu’elle entretient historiquement avec la région.
  • À l’heure où la Conférence des Présidents d’Université affirme sa solidarité avec les universités brésiliennes face aux politiques mises en oeuvre par le Président Bolsonaro6, se trouve également posée la question du rôle des universités dans les relations internationales.