Berne. Le 17 octobre 2018, les États-Unis ont annoncé leur décision de se retirer de l’Union Postale Universelle (UPU), un organisme siégeant à Berne, créé au XIXème siècle et rattaché à l’ONU dès sa création en 19481. Cette annonce a fait l’effet d’une bombe, mais que s’est-il passé au juste ? Le rôle de l’UPU est de régir les accords internationaux entre services postaux des différents pays. Lorsque, par exemple, un français envoie une lettre aux États-Unis, il paie son timbre à l’État français, qui subventionne La Poste, mais une part importante du travail de distribution est effectuée par le service postal américain (United States Postal Service – USPS), qui n’a pas été payé. Cela est compensé par le fait que lorsqu’un Américain envoie une lettre en France, il paie l’État fédéral américain, qui subventionne l’USPS mais pas La Poste. L’UPU a mis en place le système des « terminal dues » : le déséquilibre éventuel entre le volume de courrier d’un pays A vers un pays B et celui de B vers A est mesuré en poids total et nombre d’objets par catégorie de poids et de nature (lettres, journaux, commerce en ligne, etc.) et une compensation est calculée2. Cette compensation n’est pas toujours « juste » au sens des coûts supportés par les opérateurs de chaque pays. Un pays développé, considéré comme riche, compensera un pays émergent, moins riche, d’une fraction du timbre appliqué lors de l’envoi. Inversement, le même pays émergent compensera le pays développé d’une fraction du timbre appliqué localement, mais ce timbre – Pour des raisons économiques évidentes – est beaucoup moins cher et, la plupart du temps, ne couvre pas le coût réel d’acheminement du courrier dans le pays développé. C’est alors l’État qui compense la perte subie par son service postal3.

Dans le contexte extrêmement tendu des relations commerciales sino-américaines, les choses se sont gâtées entre les deux pays. En effet, d’un côté les accords de « terminal dues » ne sont pas indexés sur un quelconque indice reflétant l’évolution relative des économies des différents pays, donc tout changement doit être négocié et accepté par les deux parties. D’autre part l’explosion du commerce en ligne a complètement déséquilibré la situation entre la Chine et les États-Unis. Alors que, globalement, le courrier international ne représente qu’environ 4 % du courrier total, environ la moitié des envois des USA vers la Chine vient de la seule firme Amazon et près des trois quarts des envois de la Chine vers les USA vient d’une plateforme gérée par Alibaba. Ces deux géants du commerce en ligne phagocytent donc l’essentiel des envois postaux.

En 2011, après une série de réajustements qui ont accompagné l’ouverture de la Chine depuis les années 90, les deux pays ont conclu un accord par lequel la Chine bénéficiait d’un tarif particulièrement favorable pour les colis issus du commerce en ligne de moins de 2 kg. Les négociateurs américains, qui pensaient faire une bonne affaire en favorisant l’exportation de biens de consommation courante en Chine, n’avaient, d’une part, pas pris la mesure de la croissance du commerce en ligne à venir. Ils n’avaient pas non plus anticipé le poids d’une pratique, bien plus courante en Chine qu’aux États-Unis, de renvoyer à l’expéditeur un objet acheté en ligne pour « insatisfaction ». Ces renvois devaient être réacheminés à l’expéditeur américain par l’USPS au tarif chinois. Une étude de l’USPS a estimé le coût de ce déséquilibre à environ 150 millions de dollars par an. Mais cette somme, qui paraît négligeable par rapport aux enjeux de la guerre des tarifs douaniers, n’est que la partie visible de l’iceberg. Le dommage sur tout un segment de l’économie américaine est important et durable : les petits producteurs locaux qui vendaient des biens de quelques dollars sur Internet, avec des frais de port du même ordre de grandeur, ne pouvaient faire face à la concurrence chinoise, qui offrait le même bien, peut-être un peu moins cher, mais surtout sans frais de port, ou très réduits, de sorte que le prix final est quasiment la moitié du prix proposé par le fournisseur américain4.

En octobre dernier, devant l’intransigeance chinoise, les États-Unis ont donc décidé de remettre les pendules à l’heure à l’UPU, peut-être à juste titre, dans ce cas précis. Selon les règles de l’UPU, l’annonce d’un retrait doit être suivi d’une période d’au moins un an, pendant laquelle des solutions négociées sont recherchées5. Avant l’annonce de leur retrait, les États-Unis avaient déjà rediscuté et conclu des accords bilatéraux avec 13 pays européens (essentiellement d’Europe de l’Est, les accords avec les pays d’Europe de l’Ouest n’étant en général pas déséquilibrés). Il est donc tout à fait possible qu’une solution négociée soit trouvée d’ici octobre 2019. Dans ce contexte de grande incertitude, les pays européens ont un rôle important et ne peuvent se permettre de se tromper de carte à jouer.

Perspectives :

  • Les accords de « terminal dues » négociés en 2011 entre les États-Unis et la Chine ont donné à cette dernière la possibilité d’envoyer à coût très faible des millions de petits paquets de moins de 2 kg par e-commerce.
  • Non seulement cela représente une charge d’acheminement sous-rémunérée pour l’USPS, mais cela détruit aussi tout un pan de l’industrie locale américaine.
  • En se retirant de l’UPU, les Etats-Unis espèrent forcer la Chine à revenir sur cet accord déséquilibré.
Sources
  1. GUICHARD Catherine, Les États-Unis veulent se retirer de l’Union postale universelle, Courrier International, 19 octobre 2018.
  2. GUICHARD Catherine, Les États-Unis veulent se retirer de l’Union postale universelle, Courrier International, 19 octobre 2018.
  3. Union Postale Universelle Terminal dues and transit charges 2018–2021 cycle.
  4. SEMUELS Alana The End of Cheap Shipping From China The Atlantic, 17 octobre 2018.
  5. Save the Post Office, The UPU’s Extraordinary Congress : Much Ado about Terminal Dues, 11 septembre 2018.