Bruxelles. Alors que les négociations sur le maintien du transit ukrainien après le 31 décembre 2019 ne semblent pas avancer et que le projet Nord Stream 2 piétine, la question se pose : les prix du gaz sur le marché européen exploseront-ils en 2020 en cas de retard de la construction du Nord Stream 2 ? Le gazoduc est prévu par Gazprom pour fin 2019 soit avant l’échéance du contrat de transit par l’Ukraine, cependant plusieurs facteurs semblent pouvoir reporter sa mise en service.

Tout d’abord, fin mars, l’agence danoise de l’énergie a requis l’évaluation environnementale d’un nouveau tracé alors que Nord Stream 2 AG a déjà déposé des demandes de permis pour deux routes différentes, en avril 2017 et août 2018, qui sont toujours en examen. L’exploration de cette nouvelle option, passant dans la zone économique exclusive du Danemark au sud de l’île de Bornholm, est devenue possible suite au règlement d’un différend territorial avec la Pologne et se justifierait par des considérations environnementales. Par prudence, le 15 avril, Nord Stream 2 AG s’est conformée à l’exigence de l’agence danoise de l’énergie mais a tout de même fait appel de cette demande estimant qu’elle n’avait pour unique but que de ralentir le projet1. Les inquiétudes de l’entreprise s’expliquent par la lenteur des autorités danoises lors des précédentes demandes de permis ainsi que par l’absence de date limite d’une telle procédure qui nécessite également la consultation des États voisins dont la Pologne, principal opposant au projet.

Par ailleurs, la nouvelle « directive gaz » dont se dote l’Union jette l’incertitude sur le futur régime d’exploitation du Nord Stream 2 et ouvre la voie, avant sa mise en service, à une longue bataille juridique opposant la Commission à Nord Stream 2 AG2. À cela s’ajoute le retour des menaces de sanctions américaines. Si les États-Unis ne peuvent, a priori, rien faire légalement contre les majors européennes ayant investi dans le gazoduc, ils pourraient en revanche s’attaquer aux entreprises en charge de sa construction. Le républicain Ted Cruz et la démocrate Jeanne Shaheen, membres du Comité des affaires étrangères du Sénat, ont rédigé un projet de loi visant les entités gérant les navires posant le tuyau3. Les individus y étant liés seraient interdits de voyager aux États-Unis, et leurs actifs aux États-Unis gelés. Le projet de loi prévoit également des sanctions pour les entités qui fournissent des services financiers ou techniques ou qui assurent les navires. Parmi les victimes potentielles, on trouve le groupe Allseas, dont le siège est en Suisse et les activités aux Pays-Bas, ainsi que la société italienne Saipem.

Grace au Nord Stream 2, Gazprom espérait être en position de force dans les négociations sur le transit par l’Ukraine puisque l’entreprise n’aurait plus été dépendante du pays pour acheminer son gaz vers l’Union. Les diverses manœuvres des opposants au projet risquent bien de repousser la construction au-delà de la fin du contrat ukrainien et ce retard pourrait forcer Gazprom à conclure un accord portant sur de plus gros volumes et une période plus longue que prévue.

Toutefois, il y a une semaine, le porte-parole de Nord Stream 2 AG affirmait que le chantier finirait à temps et balayait toutes les menaces évoquées ci-dessus dans un entretien avec l’agence de presse turque Anadolu4. Cette confiance affichée apparaît comme une opération de communication visant à faire comprendre que l’entreprise est forte et ne pliera pas. Certains indices corroborent effectivement l’idée que Gazprom ne compte pas plier et se préparerait même à la guerre. L’entreprise ukrainienne Naftogaz en est convaincue. D’après le président de son Conseil exécutif, Andriy Kobolev, Gazprom aurait la capacité technique de se passer du transit ukrainien en 2020 même sans achever Nord Stream 25. Selon les estimations de Naftogaz, Gazprom assurerait alors les volumes minimaux d’approvisionnement en gaz des consommateurs européens dans le cadre des contrats existants. Dans cette situation, Kobolev prévoit un déficit d’approvisionnement d’environ 5 milliards de mètres cubes qui peuvent être couvert par des réserves supplémentaires que Gazprom crée en fournissant actuellement du gaz à l’Europe sur une base accélérée.

Les inquiétudes ukrainiennes sont cependant à nuancer. Une stratégie agressive pourrait être contre-productive pour Gazprom. En effet, le principal argument opposé au Nord Stream 2 est qu’il serait une potentielle arme géopolitique. Ainsi se servir d’une coupure d’approvisionnement en Ukraine pour forcer la construction du Nord Stream 2 serait une pression malvenue qui confirmerait l’argumentaire des opposants au projet. De plus une telle stratégie conduirait à une augmentation des prix du gaz, ce qui donnerait plus de place au GNL sur le marché européen. Par conséquent, une telle stratégie n’aboutirait pas forcement à la construction du Nord Stream 2 mais bénéficierait assurément aux exportateurs de GNL, notamment américains, d’un point de vue économique et politique.

GEG – Cartographie pour Le Grand Continent

Perspectives :

  • Avant de présumer du résultat des négociations trilatérales entre la Commission, l’Ukraine et la Russie sur le transit ukrainien, il sera important d’observer comment aboutiront les discussions bilatérales. En effet, prochainement, Angela Merkel doit rencontrer Volodymyr Zelensky, le nouveau président de l’Ukraine et ce dernier doit rencontrer Vladimir Poutine. La reprise des négociations trilatérales semblent se dessiner pour juin.