Bruxelles. Le 12 avril, Matthias Warnig, directeur général de Nord Stream 2 AG (propriété de Gazprom), a adressé une lettre à Jean-Claude Juncker pour exprimer son souhait d’obtenir une dérogation à la nouvelle « Directive gaz » approuvée le 4 avril par le Parlement européen (465 voix pour, 95 contre et 68 abstentions). Or il se trouve que l’encadrement du Nord Stream 2 par les règles européennes (accès des tiers, séparation de la propriété, tarifs non discriminatoires et transparence) est la principale motivation de cette nouvelle Directive. C’est justement ce ciblage que pointe le Directeur Général allemand dans sa lettre : « Il serait déraisonnable et discriminatoire pour l’UE de concevoir la directive amendée et la dérogation d’une telle façon que seul Nord Stream 2 soit significativement affecté »1.

Les futures négociations tourneront autour de l’article 49 bis de la directive qui stipule que pour « les conduites de transport de gaz entre un État membre et un pays tiers achevées avant » la date d’entrée en vigueur de la directive, « l’État membre sur le territoire duquel est situé le premier point de connexion » (ici l’Allemagne) peut décider d’une dérogation « pour les tronçons de cette conduite de transport de gaz situés sur son territoire et dans sa mer territoriale, pour des raisons objectives, telles que le fait de permettre la récupération de l’investissement consenti ou pour des motifs de sécurité d’approvisionnement, pour autant que la dérogation ne soit pas préjudiciable à la concurrence, au fonctionnement efficace du marché intérieur du gaz naturel ou à la sécurité d’approvisionnement dans l’Union »2. Les éléments compris dans cet article permettront à chacune des parties de tirer la couverture de son côté. La Directive doit entrer en vigueur cet été ; or le gazoduc ne sera pas fini avant la fin 2019. Pourtant, Nord Stream 2 affirme être éligible à la dérogation s’appliquant aux gazoducs déjà « achevés » car à l’été 2019 la portion comprise dans les eaux territoriales allemandes sera construite bien que non opérationnelle. Mais, d’après les propos d’un porte-parole de la Commission rapportés par Politico : « Le gazoduc doit être prêt pour l’exploitation commerciale à la date d’entrée en vigueur de la directive amendée afin de pouvoir être traité comme un gazoduc existant en vertu de la nouvelle législation »3.

Dans le cas où le Nord Stream 2 ne serait pas considéré comme « achevé » il tomberait alors sous le coup de l’article 36 relatif aux « nouvelles infrastructures ». La demande de dérogation devrait alors se faire auprès de l’autorité nationale de régulation allemande mais il appartiendrait à la Commission d’approuver, de rejeter ou de modifier cette demande. Matthias Warnig craint la fermeté de la Commission et c’est pourquoi il explique dans sa lettre que le recours à l’article 36 n’est valable que pour les projets dont la décision d’investissement n’est qu’envisagée alors que dans le cas du Nord Stream 2, déjà en construction, l’investissement a été décidé il y des années et une part importante de celui-ci (plus de 5,8 milliards d’euros) a été réalisée.

La lettre constitue un « avis de contestation » à l’Union au titre de la Charte de l’énergie, un traité international fixant les règles de la coopération transfrontalière dans le secteur de l’énergie et garantissant la protection des investissements. Toutefois, la Russie n’a pas ratifié cette Charte. Mais, bien que Gazprom soit propriétaire de Nord Stream 2 AG, cette dernière est une entreprise dont le siège social est basé en Suisse, pays qui est lui signataire du traité à l’instar de l’Union. Ainsi, en l’absence d’un « règlement à l’amiable » tel que souhaité par Matthias Warnig, Nord Stream 2 AG pourrait entamer une procédure afin d’obtenir des dommages et intérêts pour cause d’une possible violation du traité.

Le gaz en Europe, entre gazoducs et terminaux GNL

Le rapport de force avec la Commission s’annonce tendu si le leader allemand du Parti populaire européen (PPE) Manfred Weber succède à Jean-Claude Juncker. Le 23 avril, il a déclaré au journal polonais Polska The Times : « Je suis contre ce projet. Il renforce la dépendance de l’UE au gaz russe plutôt que de la réduire. C’est pourquoi, en tant que chef de la Commission européenne j’emploierai tous les instruments légaux – nous avons par exemple maintenant la directive qui vient d’être votée – pour explorer tous les moyens de stopper Nord Stream 2 »4.

Perspectives

  • L’adoption du 15 avril par le Conseil constitue la dernière étape du processus législatif. La nouvelle directive entrera en vigueur 20 jours après sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. Les États membres disposeront d’un délai de 9 mois à partir de l’entrée en vigueur pour transposer les nouvelles règles dans leur droit national.
  • Fin 2019 : expiration et donc renégociation des contrats de transit gazier par l’Ukraine depuis la Russie. Un potentiel retard de la livraison du Nord Stream 2 (à cause des troubles juridiques en cours) pourrait influencer ces négociations.