Kiev. Dimanche 21 avril a eu lieu à Kiev le deuxième tour de l’élection présidentielle ukrainienne. Avec 73 % des suffrages exprimés en sa faveur, Zelensky a remporté une victoire nette et sans équivoque contre son rival du scrutin, le président sortant Porošenko.

Un énorme succès, anticipé par les sondages (et par Le Grand Continent)1, qui mérite d’être observé de plus près. Par rapport au premier tour, Zelensky a presque triplé son score, passant de 5,7 à 13,4 millions de voix. La progression de Porošenko attire à peine un million et demi d’électeurs supplémentaires (de 3 à 4,4 millions) par rapport au vote du 31 mars dernier. Un regard sur la géographie électorale peut être encore plus éloquent : seules les régions les plus occidentales du pays sont restées fidèles au « roi du chocolat »2.

Le sentiment de dégagisme à lui seul ne suffit pas expliquer ces chiffres. Bien sûr, derrière Zelensky, il y a le soutien de l’oligarque Kolomoysky, l’un des hommes les plus riches d’Ukraine. Mais il existe également un désir général de changement dans l’économie, dans les leviers du système, et même dans les coutumes. Plus que toute analyse, la comparaison entre les deux slogans adoptés par les deux candidats permet de saisir ce qui les différenciait : « Armée, langue, religion » pour le président sortant, « Un pays du XXIe siècle » pour le président élu3.

Zelensky ne représente personne en particulier et n’a pas de parti réel derrière lui. Une condition qui, au lieu d’être un obstacle, a créé (jusqu’à présent) un levier extraordinaire pour sa candidature. Les citoyens ukrainiens veulent surmonter leurs divisions et n’ont probablement pas beaucoup apprécié les lois de Porošenko contre les minorités linguistiques. Zelensky, contrairement au président sortant, parle à tout le monde. Tant pour son langage plus direct et immédiat que pour sa tendance à contourner les barrières identitaires traditionnelles.

On ne peut guère estimer que Zelensky représentait les russophones de l’est dès le premier tour, puisque la région avait un candidat plus représentatif, Bojko, qui n’a obtenu que 11 % des voix.

Malgré les accusations formulées dans ce sens, est un rapprochement entre Kiev et Moscou n’est pas si évident à prouver. Zelensky n’est pas un ami de Poutine et son élection n’a suscité au Kremlin rien de plus qu’une déclaration froide. Ce n’est pas un hasard si le premier homme politique russe à avoir félicité Zelensky était l’opposant de Poutine Aleksej Naval’nyj, qui est peut-être le politicien russe ressemblant le plus à l’ancien comédien ukrainien (mais avec une chance de succès totalement différente dans son propre pays). Un changement de rythme par rapport à l’approche de Porošenko sera le bienvenu pour Moscou, mais personne ne doute pas du patriotisme du nouveau président4.

L’annonce d’une simplification des conditions pour accorder des passeports russes aux habitants des républiques séparatistes du Donbass semblerait même aggraver la crise entre la Russie et l’Ukraine. Comme l’écrit la journaliste Galina Ackerman, « par cette décision Poutine signifie deux choses : primo, il ne veut pas dialoguer avec le nouveau président ukrainien, et secundo, il peut intervenir militairement à tout moment pour “défendre des citoyens russes” (habitants les républiques séparatistes) »5. Cette provocation constitue un premier test important de Moscou contre le nouveau président ukrainien. Au-delà des succès personnels obtenus jusqu’ici, Zelensky devra en effet attendre l’automne pour savoir à quoi ressemblera vraiment sa majorité parlementaire, car les élections législatives sont prévues pour le 27 octobre prochain. C’est alors que nous comprendrons si le choix de Zelensky de ne pas compter sur des partis traditionnels a été sage ou téméraire.

GEG | Pole cartographe pour Le Grand Continent

Perspectives :

  • 27 octobre 2019 : élections législatives. Elles permettront de cerner la majorité du nouveau président.
Sources
  1. FIGUERA Pietro, Les élections en Ukraine, miroir des nouveaux clivages du pays, Le Grand Continent, 9 avril 2019.
  2. FIGUERA Pietro, Il successo di Zelenskij, gli errori di Porošenko, il futuro dell’Ucraina. Intervista a Dario Quintavalle, Osservatorio Russia, 23 avril 2019.
  3. ZAFESOVA Anna, Le elezioni in Ucraina e la Russia, Centro Einaudi, 22 avril 2019.
  4. Vladimir Putin silent after Ukrainian election, The Times, 23 avril 2019.
  5. ACKERMAN Galina, Tweets du 24 avril 2019.