Moscou. Depuis le passage de flambeau entre Dimitri Medvedev, l’actuel Premier Ministre russe, et Vladimir Poutine en 2012, le Kremlin vise à renforcer son contrôle sur internet en Russie. Pour Poutine, internet a été « créé par l’Occident, les agences de sécurité occidentales peuvent écouter, voir, lire tout ce que l’on fait. Il est nécessaire que la Russie construise un segment d’internet qui ne dépende pas du reste du monde »1. Ce 1er mai, le président russe a signé le texte de loi visant à assurer la « souveraineté numérique » de la Russie en cas de « menaces ou attaques contre Runet venant d’une puissance étrangère »2. La loi, qui rentrera en vigueur en novembre 2019, stipule les démarches à suivre pour atteindre cet objectif.

Selon le texte, les fournisseurs d’accès à internet en Russie vont devoir renforcer leurs contrôles sur les informations transmises entre les utilisateurs. Roskomnadzor, le « service fédéral de supervision des communications, des technologies de l’information et des média de masse », obligera les fournisseurs à installer des dispositifs filtrants sur leurs réseaux. En cas d’attaques étrangères, Roskomnadzor prendra contrôle de ces dispositifs afin de rediriger le trafic internet vers un « nœud central » situé sur le territoire russe. Les informations véhiculées cesseraient de transiter via des serveurs localisés hors des frontière de la Russie, garantissant l’isolation de Runet du World Wide Web. En outre, la loi vise à établir un Domain Name System (DNS), le service établissant le lien entre les adresses IP et un nom de domaine, propre à la Russie. Cela permettrait au Kremlin de renforcer les interdictions d’accès à certains sites pour les utilisateurs situés sur le sol russe. Les fournisseurs d’accès seront obligés d’utiliser le DNS russe et de détacher des serveurs basés à l’étranger à partir du 1er Janvier 2021. En cas de refus, ils risqueront d’être déconnectés par Roskomnadzor du réseau internet russe3.

En revanche, de nombreux doutes subsistent sur la capacité de la Russie de s’isoler du web mondial. La crédibilité de Roskomnadzor a été érodée par son incapacité à interdire l’accès au réseau social Telegram, plébiscité par les opposants au Kremlin4. En outre, malgré les demandes répétées du service de supervision des communications, les systèmes de VPN (Virtual Private Network), qui permettent aux utilisateurs d’accéder aux sites sur liste noire, sont toujours accessible en Russie. En 2014, des tests évaluant la possibilité pour la Russie de se déconnecter temporairement du reste du web ont indiqué que cette isolation ne pourrait durer seulement qu’une trentaine de minutes5.

Le coût de mise en place d’un internet indépendant en Russie a été estimé à plus de 280 millions d’euros6. En outre, La Russie est caractérisée par son degré d’intégration très important dans les réseaux mondiaux. De nombreux services cruciaux pour l’économie russe sont dépendants de flux s’effectuant en dehors des frontières de la Fédération. L’isolation complète de Runet risque d’impacter les opérations financières transfrontalières.

La volonté russe de contrôler les flots d’informations est régulièrement comparée à la Chine et sa « muraille », permettant aux autorités de limiter les informations disponibles sur le web chinois. La Chine a entrepris son projet de pare-feu informatique en 1998, avant le développement des réseaux sociaux et des géants du commerce en ligne. Il existe un nombre très limité de fournisseurs d’accès internet en Chine, réduisant la difficulté pour le gouvernement chinois de contrôler les flux7. Mais, en Russie, internet n’a pas été conçu dans ce but puisque la Fédération tentait davantage de s’intégrer dans l’économie mondiale à la fin des années 1990. Il semble très compliqué pour la Russie de revenir vingt ans en arrière afin d’isoler Runet du reste du web.

La loi signée par Vladimir Poutine semble ainsi davantage s’inscrire dans la rhétorique du Kremlin, s’isolant sur la scène internationale et dénonçant le « danger que représente l’Occident » pour le pays. Selon Moscou, sa souveraineté numérique est nécessaire pour la protection des intérêts du pays en cas d’attaques venant de l’étranger. Depuis les printemps arabes, internet est perçu comme une menace par le Kremlin. De l’autre côté, les opposants au président russe dénoncent la volonté croissante du gouvernement de contrôler les informations disponibles8. Les nouvelles régulations vont permettre de filtrer et bloquer davantage de contenu aux détriments de la population russe. En revanche, il est peu probable que Roskomnadzor parvienne à établir l’indépendance de l’internet russe sans mettre en péril les services financiers dépendant des flux transfrontaliers.

Perspectives :

  • La Russie a prévu de tester son nouveau système visant à isoler le web russe du reste du monde d’ici novembre. Les acteurs responsables du fonctionnement d’internet en Russie vont devoir participer à ces exercices. Les fournisseurs d’accès craignent que le renforcement du filtrage d’informations risque de ralentir la vitesse du trafic internet.