Bruxelles. La fin de la semaine passée a été marquée par une rupture plus profonde que la dispute entre Rome et Paris. C’est entre Paris et Berlin que le climat de coopération s’est sérieusement refroidi. Alors que le conseil de l’Union Européenne votait ce vendredi une directive sur le gaz, la France a affirmé sa volonté de proposer des amendements. Au premier abord, cette péripétie bruxelloise n’affecte en rien les relations franco-allemandes, célébrées à l’occasion de la signature du traité d’Aix La Chapelle le 22 janvier dernier. Le texte de la directive autorise et fixe l’exploitation du pipeline Nord Stream 2, infrastructure qui relie la Russie aux terminaux gaziers allemands à travers la mer Baltique. Le gazoduc, qui vient doubler un pipeline existant, intensifie le transit direct depuis la Russie, principal exportateur de gaz vers l’Europe en 2018 (201 milliards de mètres-cubes, soit une augmentation de 3,5 % par rapport à l’année précédente). Nord Stream 2 a le mérite de réduire le risque géopolitique des conduites de gaz à travers l’Est du continent, mais prive aussi les pays de cette région d’une source de revenus notable.

Le projet Nord Stream 2 est a priori une initiative exclusivement privée. Y sont associés cinq grands fournisseurs d’énergie. Gazprom (Russie) est le propriétaire de l’infrastructure, tandis que Royal Dutch Shell (Pays-Bas et Royaume-Uni), Engie (France), OMW (Autriche), Uniper et Wintershall (deux groupes allemands) participent au financement. Fin 2018, 370 km de tuyaux sur 1 200 km ont déjà été posés. Gazprom est actuellement représentée par l’ancien Chancelier social-démocrate Schröder, notoirement proche de Vladimir Poutine.

Alors que l’ensemble des pays de l’Est rejette le projet, et que l’ambassadeur américain en Allemagne, Richard Grenell, attaque sans relâche les dirigeants allemands et les entreprises participant à la construction et l’exploitation du gazoduc, la France représentait jusqu’ici un soutien stable. En milieu de semaine, l’annonce que la France soutiendrait les amendements, qui auraient pu interrompre brutalement la construction du gazoduc, a déclenché outre-Rhin une vague d’inquiétude. Si la nouvelle a fait l’effet d’une bombe, les doutes français sur Nord Stream 2 ne sont pas isolés, même en Europe Occidentale : l’Espagne, la Belgique, l’Italie ou le Danemark ont tous émis à un moment des critiques sur le projet.

En réalité, la menace française de vote pour un amendement de la directive a permis de négocier un compromis satisfaisant : l’État sur le territoire lequel le gazoduc sera connecté pour la première fois au réseau européen en sera responsable vis à vis des autres (5). En outre le président français Emmanuel Macron a annulé une rencontre prévue avec la chancelière dans le cadre du très suivi Forum de Munich sur les politiques de défense (Münchner Sicherheitskonferenz). Bien que les deux dirigeants aient affirmé que l’annulation n’avait rien à voir avec les désaccords présents, plusieurs observateurs, comme le directeur de l’Institut Delors, Henrik Enderlein (2), y ont vu un nouvel élément dans une liste de signaux faibles annonciateurs d’un froid franco-allemand.

L’isolation diplomatique croissante de l’Allemagne est un prix cher payé pour la poursuite du projet, notent plusieurs commentateurs allemands au lendemain de l’accord (1). L’erreur du gouvernement allemand est d’avoir sous-estimé la résistance au sein de l’UE à ce qui est perçu comme une entrée de la Russie au coeur du réseau énergétique européen. Les partisans de la construction affirment que le gazoduc est le seul moyen de garder le faible prix des hydrocarbures de Russie, qui reste de toute façon le premier pays exportateur vers l’Europe.

Si la défense de Nord Stream 2 semble juste du point de vue économique et juridique, l’Allemagne commet une grave erreur politique en s’aliénant ses voisins, non seulement à l’Est, mais maintenant aussi à l’Ouest.

Perspectives :

  • Le 55e Forum sur les questions de défense de Munich (Münchner Sicherheitskonferenz) aura lieu du 15 au 17 février 2019. Il rassemble des centaines d’acteurs internationaux de la sécurité (3).
  • Le gazoduc Nord Stream 2 devrait être achevé et entrer en service fin 2019 selon la communication officielle du projet (4).

Sources :

  1. BIDDER, Benjamin, Merkel und die Russen-Pipeline : Deutschland zahlt einen zu hohen Preis für Nord Stream 2, Der Spiegel, 08/02/2019.
  2. ENDERLEIN, Henrik On the cooling french-german relationship, Twitter, 07/02/2019.
  3. Munich Security Conference, Site web, (consulté le 9/02/2019).
  4. Nord Stream 2, Factsheet (consulté le 9/02/2019).
  5. Nord Stream 2 : EU-Staaten einigen sich im Pipeline-Streit, Tagesschau, 08/02/2019.

Pierre Mennerat