Paris. Jeudi dernier la France surprenait en premier lieu son partenaire allemand en annonçant son soutien à l’amendement de la « directive gaz » proposé en novembre 2017 par la Commission européenne. « La directive révisée s’appliquerait au projet Nord Stream 2. La France compte soutenir l’adoption d’une telle directive », déclarait un porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères (1). L’encadrement du Nord Stream 2 par les règles européennes (transparence des prix, séparation des activités entre fournisseurs et gestionnaires des infrastructures) se trouve être la principale motivation de cette nouvelle directive qui permettrait à la Commission de reprendre la main dans un dossier géré jusqu’ici dans le cadre de la relation russo-allemande. Le renforcement du contrôle de la Commission sur les gazoducs provenant de pays tiers apparaît comme une réponse à la stratégie de négociations bilatérales russe permettant à la Fédération de jouer des contradictions internes de l’Union. En effet, c’est en motivant les intérêts nationaux que la Russie permet le succès des projets européens de Gazprom.Au lendemain de l’annonce française, le 8 février, la présidence roumaine de l’Union Européenne (UE) a twitté qu’un accord avait été trouvé entre les 28 (2). Celui-ci repose sur la base d’un texte avancé conjointement par la France et l’Allemagne et soumis aux ambassadeurs des États membres à Bruxelles. La présidence de l’UE va pouvoir entrer en négociation avec le Parlement européen pour s’accorder sur un texte final. Le Parlement européen est hostile au Nord Stream 2 et a voté le 12 décembre 2018 une résolution non contraignante condamnant la construction du gazoduc, le qualifiant de « projet politique posant une réelle menace à la sécurité énergétique européenne » (3).

Pour que l’Allemagne accepte la directive, la France a accepté que ce soit le régulateur allemand qui soit chargé de son application au Nord Stream 2, « mais sans (en) atténuer le contrôle (européen) », souligne une source de l’AFP à l’Elysée (1). En effet, le compromis stipule que l’application des règles européennes pour les gazoducs provenant de pays tiers incombe à l’État membre où ils sont reliés pour la première fois au réseau européen, ici l’Allemagne.

« L’Allemagne comptait bloquer cette directive, mais elle a beaucoup évolué car elle a compris qu’elle n’avait pas une minorité de blocage et que la directive aurait été adoptée sans elle », a commenté cette même source. « La position de l’Allemagne sur la troisième directive européenne gazière est anti-européenne. Berlin bloque l’adoption de la directive pour défendre ses intérêts », déclarait déjà le chef de la diplomatie polonaise, Jacek Czaputowicz , fin octobre 2018.

Avec cette directive, la source élyséenne de l’AFP estime qu’« il y a deux solutions : soit il faut reconfigurer le projet de manière très importante, avec un très fort impact sur le délai, soit le régulateur allemand présente une demande de dérogation en démontrant que le projet renforce les règles de concurrence et la sécurité énergétique. La solution serait que du gaz continue de transiter en partie par l’Ukraine », dont les revenus liés au transit du gaz représentent entre 2 et 3 % du PIB.

Cette nouvelle opportunité de négociation pour la Commission lui donne une carte en plus à jouer dans les discussions sur le maintien du transit ukrainien. Maros Sefcovic, le vice-président de la Commission européenne pour l’énergie, a d’ailleurs soumis une proposition ambitieuse le 21 janvier lors des négociations trilatérales avec le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Pavlo Klimkin, et le Ministre russe de l’énergie, Alexandre Novak. Celle-ci consiste en un nouveau contrat de transit d’une durée de dix ans, assorti d’un volume de transit annuel garanti de 60 milliards de mètres cubes (bcm) et 30 bcm de volume flexible. Ces échanges tripartites se poursuivront en mai, les Russes désirant connaître le prochain Président ukrainien avant toute décision (4).

Paris souhaite lier le sort du Nord Stream 2 aux négociations russo-ukrainiennes chapeautées par la Commission. La France ne juge légitimes les protestations allemandes contre l’ingérence américaine au sein du dossier que si les inquiétudes des pays d’Europe centrale et orientale au sujet de l’influence russe sont également prises en compte. « On ne peut pas dire qu’on est pour la protection européenne des influences extérieures et en même temps ne pas prendre en compte la préoccupation de pays comme la Pologne et la Slovaquie. Sinon ils auraient été fondés à nous dire, vous les Français et les Allemands, la souveraineté européenne, c’est quand ça vous arrange. On ne veut pas entretenir de tels discours », a-t-on commenté à l’Elysée.

En déplacement jeudi à Bratislava pour des discussions avec le groupe de Visegrád, Angela Merkel a déclaré : « Est-ce que nous devenons dépendants à la Russie avec ce deuxième pipeline ? Je dis que non, si nous nous diversifions. » À cet effet, son gouvernement soutient la construction d’un terminal GNL en Allemagne qui pourra notamment acheminer du gaz américain.

Si la France et l’Allemagne pourraient donner l’impression de s’en être sorties la tête haute avec cet accord européen, ça n’est pas l’avis de Jan Techau, directeur du programme Europe du German Marshall Fund à Berlin qui déclare à Libération (5) : « Cette histoire est un désastre diplomatique. D’abord pour la crédibilité de la France : jeudi, Macron passe pour un héros en Europe de l’Est et aux yeux de tous les pays qui s’opposent à Nord Stream 2 en s’opposant à la position allemande. Le lendemain, on le voit brusquement conclure un accord miteux avec les Allemands. Et pour l’Allemagne, c’est également une défaite : le pays montre son obstination et sa maladresse politique dans cette affaire. »

Perspectives

  • Si l’Allemagne accepte cette directive c’est sans doute qu’elle a reçu certaines garanties venant de la Commission quant à la construction du Nord Stream 2. La configuration de ce projet sera conditionnée par la négociation trilatérale qui ne se poursuivra qu’en mai suite aux élections présidentielles ukrainiennes du 31 mars (21 avril en cas de second tour). Ce contexte rallongera probablement la construction du gazoduc qui était espéré pour fin 2019 par Gazprom.

Sources

  1. La France favorable à une directive qui compliquera le projet de gazoduc Nord Stream 2, AFP, 07 février 2019.
  2. Nord Stream 2 : les 28 acceptent le compromis franco-allemand sur le transport du gaz, AFP, 08 février 2019.
  3. Nord Stream 2 : Paris se félicite que l’Allemagne ait « beaucoup évolué », AFP, 08 février 2019.
  4. DE CARBONNEL Alissa, Russia, Ukraine to hold further gas talks in May, Reuters, 21 janvier 2019.
  5. LUYSSEN Johanna, Le projet de gazoduc Nord Stream 2, signe de l’étiolement de la relation franco-allemande ?, Libération, 08 février 2019.
  6. Parlement européen, Les députés saluent les efforts de réforme de l’Ukraine et dénoncent l’agression russe.

Sami Ramdani