Bucarest. Avant 1989, Radio Free Europe (RFE) était le fleuron de la lutte contre le totalitarisme communiste au sein des peuples tombés sous le giron de l’Union soviétique. Média indépendant, toutefois financé par le Congrès des États-Unis, RFE portait la voix de la démocratie libérale aux habitants de cette région, notamment en Roumanie où son impact était le plus efficace. Annoncées par les accords de la Rhapsodie roumaine n°2 de George Enesco, ses émissions étaient diffusées quelques heures par semaines, lorsqu’elles arrivaient à contourner les systèmes brouillant ses ondes, aux quelques oreilles qui prenaient le risque de les écouter – avec le volume réglé au minimum – malgré la vigilante répression de la Securitate, la célèbre police politique du dictateur Nicolae Ceausescu. Le rideau de fer tombé, le média se donne pour mission d’amener ces pays vers les valeurs occidentales, ce qui dans le cas de la Roumanie et de la Bulgarie s’est traduit par leur intégration euratlantique. Le travail étant a priori fini, les journalistes de RFE ont fermé leurs bureaux de Bucarest et Sofia pour se concentrer sur les pays de l’ex-URSS.

Ce retour aux ondes du cousin américain de la BBC et de RFI est « un signal d’alarme concernant la qualité de la démocratie en Roumanie » selon le média roumain Digi24 (1), le motif avancé par l’administration de la chaîne (4) étant l’appel au secours de journalistes indépendants et d’ONG locaux dans la lutte contre la corruption et la désinformation (la Roumanie est aujourd’hui une des principales cibles de Russia Today). Mihnea Lazar, dans sa contribution au média Vice Romania va même jusqu’à parler de « plan Marshall en faveur des médias » (3) à travers ce retour de RFE en Roumanie.

Avant l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), le Congrès américain était pionnier en Roumanie dans la lutte contre les détournements de fonds publics et autres abus de pouvoirs et avait mis en place de la célèbre Direction nationale anticorruption roumaine (DNA), longtemps dirigée par la très redoutée Laura Kovesi, aujourd’hui favorite pour devenir la première procureure générale du Parquet européen. Il apparaît aujourd’hui logique que le combat pour l’État de droit se prolonge par les médias dans un pays où de nombreuses chaînes de télévision privées appartiennent à des proches du pouvoir, comme Antena 3, qui diffuse de la propagande en faveur des politiques de la coalition au pouvoir (PSD et ALDE) pourtant décriées par le Mécanisme de coopération et de vérification (MCV), l’outil d’accompagnement de la Commission européenne pour la Bulgarie et la Roumanie dans la voie du renforcement de l’État de droit (2).

Cette menace sur l’avenir de l’État de droit en Roumanie est prise très au sérieux outre-Atlantique, la Roumanie abritant l’une des principales bases de l’OTAN en Europe, la plus proche du Moyen-Orient, d’autant plus que l’activisme des médias de propagande russe grandit à quelques mois des élections européennes. Pour les intérêts américains, la Roumanie doit demeurer une démocratie libérale stable.

Perspectives :

  • Le Congrès exprime de façon indirecte son inquiétude sur l’évolution de l’État de droit en Roumanie en finançant le redéploiement de RFE sur place.
  • Le niveau de désinformation russe est un des enjeux majeurs de la campagne pour les européennes notamment en Roumanie.
  • Le gouvernement roumain, en conflit avec la Commission européenne depuis les critiques émises par celle-ci sur le recul de l’État de droit, amplifie sa rhétorique nationaliste pour la dissuader d’engager d’éventuelles sanctions.

Sources :

  1. De ce Guvernul american a decis ca „Europa Liberă” să se întoarcă în România, Digi24, 20 juillet 2018.
  2. Toader îl informează pe Timmermans că Guvernul va adopta OUG privind recursul în anulare. Reacția CE, Euractiv, 12 février 2019.
  3. LAZAR Mihnea, De ce este o veste bună că se întoarce Europa Liberă în România, Vice, 23 juillet 2018.
  4. RFE/RL Expands To Bulgaria, Romania, Radio Free Europe, 18 juillet 2018.

Théophile Rospars