Téhéran. Les autorités iraniennes ont annoncé avoir procédé au lancement d’un satellite, dans la matinée du mardi 15 janvier. Payam, « message » en persan, était selon le ministre des télécommunications de la République Islamique, Mohammad Javad Azari Jahromi, un satellite d’imagerie destiné à l’observation des phénomènes naturels et météorologiques. Le satellite n’a pu être mis en orbite en raison d’un dysfonctionnement juste après sa sortie de l’atmosphère, et est vraisemblablement retombé dans l’océan indien. C’est la première fois que les autorités de la République Islamique reconnaissent un échec de leur programme spatial.
Ce programme remonte à l’époque du Chah, et a été repris par la République Islamique après une brève éclipse dans les premières années de la Révolution. Il a bénéficié de nombreuses aides étrangères, notamment russes, chinoises et surtout nord-coréennes. Grâce à un lancement de satellite réussi en février 2009, l’Iran est devenue la dixième puissance spatiale du monde et le premier pays musulman à accéder à l’espace de façon autonome. Bien que les autorités aient toujours argué de la visée scientifique et pacifique de ce programme, il n’a pas manqué de susciter l’inquiétude de la communauté internationale.
Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a ainsi condamné le tir du 16 janvier pour ce même motif, affirmant dans un communiqué que les lanceurs orbitaux utilisés par l’Iran « intégraient des technologies virtuellement identiques et interchangeable avec celles utilisées par les missiles balistiques, y compris les missiles balistiques intercontinentaux » (2). Cette tentative de mise en orbite a également été condamnée par Israël, mais aussi par la France, qui a condamné « ce lancement qui n’est pas conforme à la résolution 2231 du Conseil de Sécurité des Nations Unies ». Pour rappel, cette résolution, adoptée le 20 juillet 2015, entérine l’accord nucléaire iranien et considère que « l’Iran est tenu de ne mener aucune activité liée aux missiles balistiques conçus pour pouvoir emporter des armes nucléaires, y compris les tirs recourant à la technologie des missiles balistiques ».
Le lanceur Simorgh en cause est considérablement plus puissant que son prédécesseur Safir et serait donc capable d’emmener une charge plus importante, faisant craindre qu’il puisse être utilisé pour mettre au point un missile capable d’emporter une ogive nucléaire et de menacer l’Europe occidentale, voire les Etats-Unis. Il faut noter également que la critique principale de l’administration Trump envers le JCPOA est précisément que celui-ci ne couvre pas le programme balistique iranien (3).
Il est vrai que les précédents témoignent du fait que les programmes spatiaux et balistiques ont souvent été liés : le premier satellite artificiel, Sputnik, mis en orbite en octobre 1957 par l’Union Soviétique, a été lancé par une fusée qui est également le premier missile balistique intercontinental, la R-7 Semiorka. D’autre part, la structure institutionnelle du programme spatial iranien, dépendant d’une nébuleuse d’agences, instituts, entreprises et centres de recherche liés au Ministère des télécommunication et au Ministère de la recherche, mais également au Ministère de la défense et à la sphère militaro-sécuritaire, ne font que renforcer les soupçons d’une possible dimension militaire de celui-ci (4).
On remarque cependant qu’historiquement ce sont les missiles balistiques qui ont servi au développement des lanceurs spatiaux plutôt que l’inverse. De même, l’utilité réelle d’un lancement de satellite pour le développement de missiles balistiques est relativement limitée. Le mastodonte Simorgh ne présente pas les spécificités techniques cruciales pour un missile balistique : capacité à ré-entrer dans l’atmosphère après la phase ascendante et maniabilité du missile permettant de le lancer à tout moment et depuis n’importe quelle position (1).
L’idée que le programme spatial iranien soit le paravent d’un programme balistique intercontinental est donc à nuancer, tout comme celle que les lancements de satellite entrent dans le champ de la résolution 2231 : le lanceur Simorgh ne peut pas en l’état emporter d’ogive conventionnelle ni nucléaire, et le tir de mardi n’apporte aux scientifiques iraniens que peu d’éléments susceptibles d’accélérer le programme balistique. Qu’il s’agisse en revanche d’un avertissement, à la veille des 3 ans du JCPOA et à l’heure où celui-ci est fragilisé par le retrait américain et l’incapacité de l’Europe à protéger ses échanges avec l’Iran, est bien plus probable.
Perspectives :
- Le lancement d’un deuxième satellite, Doosti (« amitié »), a été annoncé pour début février, probablement à l’occasion de la journée nationale de la technologie spatiale (le 2 février), ou pour coïncider avec les célébrations du quarantenaire de la Révolution.
Sources :
- ELLEMAN Michael, Why Iran’s satellite launch does not amount to an ICBM test, International Institute for Strategic Studies, 17 janvier 2019.
- ERDBRINK Thomas, Iranian satellite launch ends in failure, New York Times, 15 janvier 2019.
- LEWIS Jeffrey, Scuttling the Iran Deal will lead to another North Korea, Foreign Policy, 31 juillet 2017.
- NADIMI Farzin, Iran’s space program emerges from dormancy, Washington Institute for Near East Policy, 1er août 2017.