Ankara. La découverte de nouveaux espaces de forage en Méditerranée a fait apparaître une situation de compétition énergétique et politique. Comme nous vous le signalions dans la Lettre du 18 février dernier, l’annonce du forage d’un gisement gazier chypriote par les entreprises italienne et française ENI et Total a entraîné une démonstration de force de la Turquie. Ses forces navales sont intervenues sous prétexte de défense des « droits inaliénables » des Turcs de la République turque de Chypre du Nord sur les ressources naturelles de l’île (1). La République turque de Chypre du Nord offre une légitimité à Ankara pour intégrer la compétition dans son Akdeniz (2). Or cette attitude s’avère improductive face à une alliance de circonstance entre l’Egypte, Chypre, Israël et la Grèce, où Chypre, épicentre de tensions diplomatiques, devient un pôle énergétique en vue de la construction d’un pipeline sous-marin – l’EastMed – qui vise à acheminer le gaz méditerranéen vers l’Europe (3).

La Turquie, elle, mise sur sa capacité de transit sur le continent. En effet, le mardi 12 Juin 2018, elle deviendra officiellement une plaque tournante énergétique (4). C’est à cette date que sera inauguré le gazoduc TANAP (Trans Anatolian Natural Gaz Pipeline), dont la construction a débuté en mars 2015 et qui a pour objectif d’acheminer le gaz d’Azerbaïdjan et de la mer Caspienne vers l’Europe. Le TANAP traverse vingt provinces turques sur 1850 km. Il relie la Géorgie à la Grèce en faisant la jonction entre le Baku – Tbilissi – Ceyhan (BTC) et le Trans Adriatic Pipeline (TAP), pour déboucher ensuite sur le sud de l’Italie (5). Ces gazoducs renforcent l’interdépendance politique et énergétique entre ces pays.

L’espace de transit international turc est caractérisé par deux éléments déterminants : la dépendance énergétique et les aléas diplomatiques. La Turquie demeure dépendante en ressources énergétiques : le gaz, le charbon et le pétrole représentent respectivement 27, 28 et 30 % de la consommation énergétique nationale. En 2017, 52 % du gaz importé venait de Russie, 17 % d’Iran et 12 % d’Azerbaïdjan (6). D’autre part, même si l’Europe a besoin d’un transit via la Turquie et que ce dernier représente le deuxième marché pour le gaz russe après l’Allemagne, cette configuration reste liée aux aléas diplomatiques : les firmes multinationales qui construisent ces projets sur des années dépendent souvent de la politique étrangère de leur pays, à l’image du groupe russe Gazprom et du projet South Stream entre la Russie et la Turquie qui avait été mis à mal suite à l’abattage d’un chasseur russe par l’armée turque en novembre 2015. Israël a également peur que l’exportation de son gaz vers l’Europe dépende d’un gazoduc qui passerait par la Turquie avec qui il entretient des relations instables. Enfin les connexions de gazoducs passant par l’Irak se heurtent à l’instabilité politique du pays et au retour de la Russie et de l’Iran.

Perspectives :

  • 12 juin : Inauguration du gazoduc TANAP, servant de transit vers l’Europe.
  • Loin de s’avouer vaincu en Méditerranée, le ministre de l’énergie turc a annoncé le début d’un forage prévu pour cet été.
  • Projet Turkish Stream en cours avec la Russie.

Sources :

  1. Ambiance tendue au large de Chypre. Nicosie appelle à l’aide la diplomatie européenneBruxelles2 et AFP, 15/02/2018.
  2. La mer blanche : nom donné à la mer Méditerranée par les Turcs. La Turquie, qui dispose de 4,000km de côtes, considère la mer Méditerranée comme un espace de projection stratégique . Voir JABBOUR Jana, Le retour de la Turquie en Méditerranée : la « profondeur stratégique » turque en Méditerranée pré- et post-printemps arabe, Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 89, 2014.
  3. MACARON Joe, Montée des tensions autour du gaz en Méditerranée OrientXXI, 05/03/2018.
  4. Déclaration du ministre de l’énergie in Bakan Berat Albayrak açıkladı ! TANAP 12 Haziran’da devreye giriyor, Sabah, 11/05/2018.
  5. Site du Trans Anatolian Natural Gas Pipeline Project.
  6. UNAL Deniz, Ankara-Téhéran-Moscou, axe énergétique et géopolitique, The Conversation, 06/06/2018.

Pour aller plus loin :

Ici vous trouverez les chiffres de l’approvisionnement turc sur le marché de l’énergie.