Trump et la guerre commerciale : l’Observatoire

Le président américain a un plan, plus radical, mieux défini : réorganiser la mondialisation. Pour s’orienter dans cette séquence particulièrement tendue, nous avons réuni les chiffres clefs quotidiennement mises à jour, les textes essentiels, les tendances de fond pour comprendre — et répondre — à cette grande transformation.
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Trump et les droits de douane. Que cherche le président américain ?

La critique de la politique commerciale américaine est au cœur du discours public de Trump depuis les années 1980. Avec cet outil tarifaire, le président pense pouvoir mettre un terme aux «pertes» des États-Unis qui, selon lui, «subventionnent» leurs partenaires, mais aussi remplacer les impôts fédéraux sur le revenu et soumettre les autres pays à ses desiderata en matière de politique étrangère ou d’autres questions telles que la migration et le trafic de drogue — il a également menacé le Danemark de droits de douane si ce dernier refusait un transfert de souveraineté sur le Groenland.

Ses positions ont largement été influencées par Peter Navarro, Conseiller principal pour le commerce et l'industrie manufacturière et Robert Lighthizer, le représentant au Commerce des États-Unis lors du premier mandat Trump. Tous deux pensent que certains pays comme la Chine, menant des politiques industrielles déséquilibrées qui leur permettent d’exporter beaucoup plus qu’elles n’importent, accumulent des richesses et du pouvoir en rachetant des actifs — entreprises, dettes, technologies – des nations déficitaires, notamment des États-Unis. Pour Lighthizer, cela aurait entraîné un transfert massif de la richesse américaine et rendu les citoyens américains plus pauvres.

Droits de douane annoncés par Donald Trump depuis son investiture le 20 janvier

America First

Les décrets et actions exécutives prises par Trump jusqu’à présent portent avant tout sur des sujets liés à l’immigration, à la réforme du gouvernement fédéral et aux « guerres culturelles » : reconnaissance par l’administration de « deux sexes : homme et femme », fin du financement des soins d’affirmation de genre pour les personnes de moins de 19 ans, fin des programmes DEI au sein du gouvernement fédéral, et fin de « l’endoctrinement » dans le système scolaire, notamment via l’arrêt des enseignements de la « théorie critique de la race » (CRT).

Le commerce et l’économie, deux sujets qui ont dominé la campagne, semblent relégués au second plan.

Donald Trump a signé au 12 février 4 décrets portant sur le commerce sur un total de 63, imposant notamment des droits de douane sur les importations chinoises, 1 memorandum et 2 déclarations, qui visent à «ajuster» les importations d'acier et d'aluminium en imposant des tarifs de 25 % qui entreront en vigueur le 12 mars.

Le 4 février, les droits de douane de 25 % sur le Canada et le Mexique ont été suspendus pour une durée de 30 jours.

Mesures de rétorsion en réponse aux annonces de Donald Trump

Les pays frappés ou menacés de droits de douane par le président Trump ont signalé leur intention de prendre des mesures de rétorsion. Lorsque les premières mesures ont frappé la Chine en 2018, celle-ci a répondu en augmentant les droits de douane sur le soja, le porc, les avions et les voitures en provenance des États-Unis. Pour le Mexique et le Canada, le caractère imbriqué des chaînes de valeur continentales et leur forte dépendance aux États-Unis font que l’introduction de droits de douane en rétorsion pourrait accroître l’impact des droits de douane américains sur leur économie.

Le Canada a dévoilé un plan visant à imposer des droits de douane sur 155 milliards de dollars d’importations (produits agricoles, volailles, spiritueux, véhicules électriques, aluminium et acier, etc.), plan qui a toutefois été suspendu. Le pays va être particulièrement touché par les tarifs de 25 % imposés le 10 février sur l’acier et l’aluminium.

La Chine a introduit le 10 février une série de mesures limitées.

L'Union européenne a également annoncé son intention de répondre aux droits de douanes de 25 % sur l’acier et l’aluminium.

Comprendre les droits de douane réciproques

Trump a annoncé le 13 février qu’il allait imposer des droits de douane réciproques dans les prochains mois, ce qui impliquerait que les États-Unis adoptent le même niveau de droits de douane que leurs partenaires commerciaux.

Trump prend souvent l'exemple des droits de douane de 10 % que l'Union européenne applique sur les importations de voitures en provenance des États-Unis, alors que ce tarif est de 2,5 % du côté américain.

En pratique, le commerce international est un peu plus complexe : si certains pays appliquent des droits de douane plus élevés sur certains produits, ils sont compensés par des droits de douane plus faibles sur d'autres produits, ce qui permet à chacun d'exporter son avantage compétitif.

Plus généralement, le déficit commercial ne pourrait pas être attribué uniquement à une différence dans les tarifs appliqués ; il reflète également la consommation des ménages américains et le statut du dollar.

Si Trump suivait cette approche, il mettrait un terme au principe commercial non discriminatoire de la « nation la plus favorisée » sur lequel repose le commerce mondial. Selon l’OMC, 80 % du commerce mondial de marchandises s'effectuent sur cette base.

Il s’agit également de la base pour les échanges commerciaux entre l’Union et les États-Unis.

À noter également que, dans son discours du 13 février, Trump a déclaré que les pays appliquant une taxe digitale, dont la France, pourraient faire l'objet de droits de douane. Il a également attaqué la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) européenne, la considérant comme une barrière commerciale non tarifaire, ce qui constituerait une première.

Droits NPF (nation la plus favorisée) appliqués aux produits importés par les États-Unis par groupes de produits

Droits NPF (nation la plus favorisée) appliqués aux produits importés par l'Union européenne par groupes de produits

Tarifs en vigueur dans le monde par rapport aux taux américains

Analyses

Le déficit commercial américain

En 2024, le déficit commercial des États-Unis a atteint le chiffre record de 1 200 milliards de dollars.

L'excédent commercial chinois, a atteint 1 000 milliards soit l’excédent le plus important de l’histoire chinoise, et probablement du monde.

L'excédent commercial de l'Allemagne avec les États-Unis a atteint 70 milliards d'euros en 2024 (contre 63,3 milliards en 2023).

En 2023, le déficit commercial des États-Unis avec l'Union européenne atteignait 156,6 milliards d'euros, mais les États-Unis affichent un excédent de 108,6 milliards d'euros dans le domaine des services.

Balance commerciale des États-Unis avec le monde, en 2024

Balance commerciale des États-Unis avec une sélection de pays (en millions de $US).

L’impact des tarifs sur les revenus douaniers

Les droits de douane représentent aujourd’hui une part très faible des plus de 3000 milliards de dollars de biens importés annuellement par les États-Unis. Avec 77 milliards de dollars de revenus sur l’année fiscale 2025, cela représente un taux moyen d’un peu plus de 2 %.

Il semble donc peu réaliste de penser que cela pourra remplacer l’impôt fédéral sur le revenu, qui a rapporté plus de 2 400 milliards de dollars sur la même période. Surtout que ces droits de douane risquent d’être utilisés pour compenser les perdants de la guerre commerciale. D'après le Council on Foreign Relations, la quasi-totalité des droits de douane supplémentaires collectés sur les importations chinoises pendant le premier mandat de Trump a été reversée aux agriculteurs américains frappés par les mesures de rétorsion chinoises.

Droit de douane moyen sur les importations américaines

Revenus des droits de douanes des États-Unis

Vers une réindustrialisation ? La part du contenu local dans la consommation domestique

À première vue, l’économie américaine peut sembler peu dépendante de l’extérieur. Le taux d’ouverture commerciale (importations + exportations / PIB) des États-Unis ne s’élève en effet qu’à 25 %, contre 73 % au Mexique, 83 % en Allemagne ou 166 % au Vietnam. L’industrie américaine est également relativement indépendante des intrants étrangers. Toutefois, si l’on se penche sur la consommation de biens des entreprises et des citoyens américains, on remarque que la désindustrialisation a entraîné la quasi-disparition ou une forte réduction de certains secteurs (textile, téléphonie, etc.).

Si l’on considère la part de contenu local dans les biens consommés, le tableau change: les Américains dépendent de l’étranger pour environ la moitié de leur consommation de biens.

Des droits de douane massifs pourraient donc avoir des conséquences significatives sur les prix et être difficiles à compenser par une augmentation de la production domestique.

Provenance des achats des consommateurs et entreprises américaines, en 2023

Part du contenu domestique dans la production américaine, par sous-secteur

Le poids des États-Unis dans l’économie mondiale

Les États-Unis restent la première puissance économique et le moteur de la demande mondiale grâce à ses plus de 300 millions de consommateurs à haut revenu (le PIB par habitant s’élève à 82 000 dollars en 2023). L’accès à ce marché est donc stratégique pour les acteurs économiques étrangers, en particulier dans les secteurs exportateurs.

La spécialisation productive étant marquée par le poids des services à haute valeur ajoutée (finance, Tech, etc.), les États-Unis ne sont que la seconde puissance manufacturière mondiale, avec environ 15 % de la valeur ajoutée manufacturière mondiale contre 30 % pour la Chine.

Ce secteur manufacturier est relativement peu dépendant des importations et des intrants étrangers, puisque 20 % seulement de sa production est constituée de tels intrants. Il est à noter toutefois que l’industrie automobile est la plus fortement dépendante des intrants étrangers, illustrant ainsi son organisation régionale qui intègre le Mexique et le Canada.

Valeur ajoutée du secteur manufacturier

Dépenses de consommation finale

Le rapport de force : le Canada et le Mexique, l’Union européenne, la Chine

En 2023, le produit intérieur brut des États-Unis s’élève à 27 720 milliards de dollars, contre 2 140 milliards pour le Canada et 1 790 milliards pour le Mexique.

Ce déséquilibre massif au sein de la région nord-américaine profite aux États-Unis. Le président Trump a ainsi pu imposer en 2019 la renégociation de l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA/NAFTA) pour donner naissance à l’USMCA, qui renforçait les exigences de contenu local pour accéder sans droit de douane au marché américain ou accroissait l’accès des producteurs américains au marché canadien des produits laitiers.

Part des exportations de chaque État vers le Mexique, en 2024

Part des exportations de chaque État vers la Chine, en 2024

Part des exportations de chaque État vers le Canada, en 2024

Avec ses 440 millions de consommateurs et son PIB de 18 590 milliards de dollars en 2023, la taille de l’économie européenne en fait, à l'instar de la Chine et des États-Unis, une entité économique relativement indépendante. Mais les États-Unis restent un fournisseur important de sécurité, notamment via l'OTAN, en fournissant des produits énergétiques, notamment du gaz naturel liquéfié (GNL), et en réalisant des investissements. Le marché européen, auquel les entreprises américaines accèdent via les exportations de biens et de services, mais également au travers des activités de leurs filiales établies en Europe, reste clef.

Preuve en est l’attention accordée aux réglementations européennes par les géants du numérique européen, dont les arguments sont aujourd’hui repris avec véhémence par l’administration Trump. En accusant l’Union de vouloir instaurer «une loi mondiale de la censure» avec le Digital Services Act, par exemple, elle reconnaît implicitement son pouvoir.

L'Europe représente en effet 24 % du chiffre d'affaires de Meta, 26 % de celui d'Apple et 29 % de celui de Google (cette dernière ne ventilant pas le calcul au sein de la région Europe, Moyen-Orient et Afrique, EMEA).

Montant des exportations de biens vers les États-Unis, en 2023, en euros

Principales importations européennes en provenance des États-Unis

La Chine, deuxième économie mondiale et première puissance manufacturière, bénéficie de plusieurs atouts dans ses relations économiques avec les États-Unis. Son poids dans la production et les échanges de biens rend aujourd’hui illusoire une véritable déconnexion avec cette économie qui s’est rendue omniprésente, à la fois pour la fourniture de certains biens de consommation (téléphones portables, jouets, etc.) et d’intrants pour les industries étrangères (acier, terres rares, mais aussi composants en plastique, etc.).

Les États-Unis ont pour eux la taille de leur marché intérieur et la capacité de leurs entreprises, notamment les géants de la technologie et les banques, à organiser les flux, à créer les infrastructures de l’économie mondiale et à mettre en place des points de contrôle sur lesquels s’exerce le pouvoir de l’État fédéral, comme le démontrent les travaux d'Abe Newman et Henry Farrell (le cloud et FISA, le système SWIFT, les logiciels EDA et les fabricants de machines Applied Material et KLA ainsi que les contrôles des exportations de GPU).

Volume total des exportations au départ du port de Shanghai (en tonnes métriques, par jour)

Les exportations chinoises vers les marchés émergents ont bondi entre 2023 et 2024

Les difficultés à défaire les chaînes de valeur

Les mesures douanières et les autres dispositions prises pour réduire la dépendance américaine envers la Chine (Chips Act, mesures de contrôle des exportations, obligations en matière de contenu d'intrants américains dans la loi sur la réduction de l'inflation, etc.) ont entraîné une baisse des échanges entre les États-Unis et la Chine.

Toutefois, les importations et le déficit commercial américain ont continué à croître, et le Mexique et, surtout, le Vietnam ont gagné des parts de marché.

À première vue, on assiste donc à un découplage réel entre la Chine et les États-Unis. Toutefois, le Mexique et le Vietnam sont encore spécialisés dans l'assemblage, une activité à faible valeur ajoutée qui requiert de nombreux intrants importés.

Plusieurs études estiment donc que ces pays jouent le rôle de « connecteurs » entre la Chine et les États-Unis. Preuve qu’il est difficile de se séparer de « la seule superpuissance manufacturière » — la Chine.

Évolution des importations américaines entre 2017 et 2024 (en millions de $US)

Pour approfondir

« Nous défendrons le Canada » : la réponse de Trudeau aux tarifs de Trump

Géopolitique de Donald Trump

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