Le rôle des paradis fiscaux dans la pression à la baisse mondiale des taux d’imposition
L’évolution la plus frappante de la politique fiscale ces dernières décennies dans le monde est sans doute la réduction de moitié du taux moyen global d’imposition des sociétés. De fait, entre 1985 et 2018, le taux légal de l’impôt sur les bénéfices des sociétés est passé de 49 % à 24 % en moyenne dans le monde.
Notre recherche utilise de nouvelles données macroéconomiques pour montrer que le transfert de bénéfices est un facteur essentiel de cette baisse spectaculaire : près de 40 % des bénéfices des multinationales ont été artificiellement transférés vers des paradis fiscaux en 2015, et cet évitement fiscal massif, comme l’incapacité à le contrôler, conduit de plus en plus de pays à renoncer à imposer les multinationales.
L’explication classique de la baisse tendancielle des taux d’imposition est que la mondialisation pousse les pays à se faire de plus en plus concurrence sur le capital productif, et donc à durcir la concurrence fiscale. En réduisant ses taux, un pays peut attirer plus de machines, d’usines et d’équipements, ce qui rend les travailleurs plus productifs et in fine augmente leur salaire, etc. Cette théorie est particulièrement populaire auprès des décideurs politiques, et informe la plupart des discussions sur l’agenda de la politique fiscale, comme l’illustre la décision américaine d’abaisser leur taux d’imposition sur les sociétés de 35 % à 21 % en 2018 (CEA 2017).
Mais cette théorie est-elle vraiment fondée empiriquement ? Il semblerait que les plus grandes multinationales ne délocalisent pas beaucoup de capitaux tangibles vers des lieux à faible imposition – et n’ont d’ailleurs pas tant de capitaux tangibles que cela. En réalité, ce sont leurs bénéfices comptables qu’elles transfèrent pour éviter les impôts. En 2016, par exemple, l’entreprise Alphabet, qui possède Google, a réalisé 19,2 milliards de dollars de recettes aux Bermudes, une petite île de l’Atlantique où elle n’emploie pratiquement aucun travailleur et ne possède aucun actif tangible, et où le taux d’imposition sur les sociétés est de… 0 %.
La baisse de l’impôt sur les sociétés serait donc plutôt le résultat de politiques inefficaces dans les pays à forte fiscalité, et non l’un des inévitables effets secondaires de la mondialisation qui entretiendrait la concurrence fiscale.
Cartographier la comptabilité des profits
Notre estimation selon laquelle 40 % des bénéfices des multinationales – définis comme les bénéfices réalisés par des sociétés multinationales en dehors du pays où se trouve leur société mère – sont transférés vers des paradis fiscaux est permise par les très récentes « statistiques sur les filiales étrangères », qui enregistrent dans chaque pays le montant des salaires qui y sont versés par les filiales des multinationales étrangères, en plus des bénéfices que ces filiales y réalisent.
Ces statistiques nous permettent donc de créer une nouvelle base de données mondiale enregistrant les bénéfices déclarés par les entreprises locales par rapport à ceux déclarés par les entreprises étrangères dans chaque pays, ce qui nous permet d’avoir la première cartographie complète des lieux où les bénéfices sont déclarés au niveau mondial.
En utilisant cette base de données, nous construisons et analysons un indicateur simple : le ratio des bénéfices bruts des entreprises sur les salaires 1. Grâce aux nouvelles données exploitées dans notre document, nous pouvons calculer ce ratio pour les entreprises étrangères et pour les entreprises locales dans chaque pays – ce qui révèle des résultats plutôt spectaculaires.
Dans les pays qui ne sont pas des paradis fiscaux, les filiales étrangères sont systématiquement moins rentables que les entreprises locales. En revanche, dans les paradis fiscaux, elles sont systématiquement plus rentables – et de façon considérable (voir graphique infra).
Notre recherche permet donc une définition très empirique de ce qu’est un paradis fiscal : si la profitabilité des multinationales est bien plus élevée que celle des entreprises nationales sur votre territoire et que vous les taxez à un très faible niveau, alors vous êtes un paradis fiscal. À ce compte-là, les Pays-Bas sont un paradis fiscal, même si le pays est très différent des territoires minuscules les plus connus et spécialisés en la matière, comme les îles Caïman ou Jersey et Guernesey.
Alors que pour les entreprises locales le rapport entre les bénéfices imposables et les salaires se situe généralement autour de 30 à 40 %, les entreprises étrangères dans les paradis fiscaux exhibent un même rapport d’un ordre de grandeur supérieur – les bénéfices imposables représentant jusqu’à 800 % des salaires versés pour l’Irlande. Cela correspond à une part du capital dans la valeur ajoutée des entreprises étrangères de 80 à 90 %, contre environ 25 % pour les entreprises locales.
La mobilité accommodante des capitaux
Notre analyse montre que le capital employé dans les paradis fiscaux par les entreprises étrangères n’est pas significativement plus productif. La rentabilité démesurée que nous y observons à l’aide de notre indicateur n’est donc pas un effet réel, mais bien l’effet d’un jeu d’écriture comptable destiné à transférer artificiellement les profits d’un pays vers un autre.
Notre publication permet donc de construire des mesures transparentes et simples à calculer pour permettre aux régulateurs de suivre les bénéfices que les paradis fiscaux attirent, les recettes fiscales qu’ils en retirent et les pertes qu’elles représentent pour les autres pays. Ces statistiques, régulièrement mises à jour en ligne, pourraient être utilisées pour suivre l’impact des politiques de réduction de l’évasion fiscale.
Nous pouvons ensuite remonter des bénéfices comptabilisés dans les paradis fiscaux jusqu’aux pays où ils ont été réalisés en premier lieu – et où ils auraient été effectivement imposés dans un monde sans transferts de bénéfices. Cela nous permet de produire une première vue d’ensemble du coût des transferts de bénéfices pour les gouvernements du monde entier. Nous constatons que les gouvernements de l’Union européenne et des pays en développement sont les principaux perdants de ce transfert – l’évasion fiscale des multinationales réduit globalement les recettes de l’impôt sur les sociétés des pays de l’Union d’environ 20 %.
Lorsque nous regardons où est implanté le siège social des entreprises qui transfèrent leurs bénéfices, nous constatons que les multinationales américaines transfèrent relativement plus de bénéfices que les multinationales d’autres pays. Cela peut s’expliquer par les incitations singulières proposées par le code fiscal américain avant 2018, ainsi que par les politiques du Trésor américain mises en œuvre dans les années 1990, qui ont facilité ces transferts 2.
L’Europe picrocholine
Le plus étonnant face à cet état de fait, dont nous avions tous idée sans forcément en connaître l’ampleur, est que les pays à fort impôt sur les sociétés concentrent leurs efforts de régulation sur le rapatriement des profits depuis d’autres pays à forte fiscalité, ce qui revient à se disputer mutuellement des revenus tout en laissant les paradis fiscaux prospérer.
Pourquoi donc, malgré les pertes encourues, les pays à forte fiscalité – notamment européens – sont-ils à ce point incapables de protéger leur base fiscale ?
Nous montrons qu’il n’y a aucune incitation pour leurs autorités fiscales à lutter contre les transferts de bénéfice dans les paradis fiscaux, ce qui serait beaucoup trop coûteux, mais un intérêt massif à concentrer leurs efforts sur la « relocalisation » des bénéfices réalisés sur leurs territoires et déclarés dans d’autres pays à forte fiscalité par les multinationales.
En effet, traquer ces bénéfices dans un autre pays à forte taxation n’a que des avantages : l’opération est facilitée par la qualité de l’information disponible, peu coûteuse car les multinationales ont tendance à coopérer dans la mesure où une telle rectification n’affecte pas beaucoup leur facture fiscale globale, et rapide du fait du cadre légal et autres accords multilatéraux qui existent entre pays à forte taxation.
Cependant, toutes ces facilités permettant de régler rapidement les différends entre pays à forte imposition n’existent pas dans les paradis fiscaux ; il y a donc une nette désincitation à essayer d’y faire appliquer la loi fiscale – l’opération est laborieuse du fait de l’opacité de l’information, coûteuse car les multinationales investissent beaucoup de ressources dans la défense de leurs transferts, et longue en raison de l’absence de coopération des paradis fiscaux.
Cette désincitation à réguler les paradis fiscaux est confirmée par les données, puisque la grande majorité des efforts d’application fiscale sont en effet dirigés vers les pays à forte fiscalité.
Il ne faut pas oublier pour autant que l’échec de la politique fiscale est aussi le fait des avantages immenses que représentent ces transferts pour les entreprises et pour les paradis fiscaux. En taxant, même très légèrement, la part importante des bénéfices qu’ils attirent, les paradis fiscaux ont pu générer plus de recettes fiscales – en termes de fraction de leur revenu national – que les États-Unis et les pays européens, qui ont pourtant des taux beaucoup plus élevés. Taux très bas, assiette immense : les paradis fiscaux profitent en somme d’un impôt optimal.
Enfin, le fait que le taux d’imposition qui maximise leurs recettes soit si bas incite les paradis fiscaux à multiplier les offres de stratagèmes d’évitement fiscal, bien documentés dans la littérature scientifique, telles les faveurs fiscales accordées spécifiquement à telle ou telle multinationale, et qui permettent d’expliquer partiellement l’explosion des transferts de profits depuis les années 1980.
Le fondement légal du déséquilibre réglementaire
Au fond, nous proposons un modèle théorique qui, à partir des désincitations à aller chercher les capitaux dans les paradis fiscaux plutôt qu’ailleurs et des incitations à proposer des arrangements pour ces mêmes paradis, dessine un équilibre réglementaire très sous-optimal.
Mais cet équilibre défavorable du système n’est jamais que l’explication de l’ampleur du phénomène, pas sa source. La cause principale du problème est la législation, sans aucun doute.
De fait, l’idée qu’il est possible de découper une compagnie multinationale en morceaux, juste aux frontières de son pays d’origine, et de faire comme si ces parties n’avaient rien à voir entre elles, amène forcément à des situations absurdes de manipulations et de jeu avec les prix de transfert entre les pays – voire à des artifices grotesques comme le rachat par une entreprise d’une marque d’une de ses propres filiales, pour ensuite l’implanter aux Bermudes, etc.
Voilà le problème fondamental, évidemment entretenu par l’intérêt massif qu’ont les entreprises à exploiter ces règles, du fait de l’absence d’harmonisation fiscale et de la faiblesse de la régulation. C’est là que les professionnels du droit aident les entreprises dans leurs montages pour profiter de ce manque d’harmonie fiscale. 3
Notre article vient ajouter à cette analyse le problème que les autorités fiscales aussi sont fortement incitées à ne pas s’attaquer au problème, puisque la poursuite des profits qui devraient être déclarés dans leur législation est parfaitement indifférente à l’origine du profit.
Pour l’administration fiscale française, récupérer un dollar à Jersey rapporte autant que de rapatrier un dollar injustement déclaré en Allemagne ou en Suède ! Un dollar est un dollar. Néanmoins, il est beaucoup plus coûteux d’aller chercher ce dollar à Jersey, dissimulé dans un maquis fiscal conçu pour opacifier un transfert délibéré, que d’aller récupérer un dollar en Allemagne, indûment déplacé du fait d’une erreur – probablement honnête – de comptabilité.
Ainsi, il n’y a aucune incitation pour la lutte contre les transferts de profits agressifs, puisque s’attaquer à des transferts dans des pays où les conventions existent est bien plus facile, réduisant le temps et le coût de la justice fiscale. C’est précisément ce qu’ajoute notre papier à l’analyse, tout en haut de la montagne de problèmes que constitue la législation non harmonisée.
La fiscalité, butoir de la politique européenne ?
En matière de régulation fiscale, l’Europe en particulier est peu performante, beaucoup moins par exemple qu’en matière de politique de concurrence. Nous faisons ici directement face au classique problème de souveraineté européen. N’importe quel pays peut mettre son veto sur une réforme de la taxation commune, d’où la difficulté de réformer en présence de paradis fiscaux européens : le principe de subsidiarité rend fondamentalement impossible tout fédéralisme fiscal en leur présence.
L’Union essaye de réaliser cette harmonisation depuis les années 1990, quand la Commission proposait un taux harmonisé effectif sur les entreprises de 30 % – qui n’a évidemment jamais été réalisé. En mars 2011 puis de nouveau en octobre 2016, la Commission a essayé de lancer le projet d’Assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, proposant une règle unique de calcul du résultat imposable d’une société au sein de l’Union européenne, au lieu d’une multitude de prix de transferts qui peuvent être largement manipulés. Là encore, la disposition est très loin d’être adoptée.
L’Europe est assez impuissante à cet égard, et c’est pour cela que l’OCDE a pris le relais sur la question, essayant de faire avancer des pratiques qui ne nécessiteraient pas l’aval de tous les partis.
Note possible ici : L’OCDE a élaboré ces dernières années un ensemble d’objectifs pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice (BEPS). Le Comité des affaires fiscales (CAF) a créé pour cela le Groupe de Travail n° 11 (sur la Planification fiscale agressive) pour entre autres neutraliser les effets des dispositifs hybrides, renforcer les règles des sociétés étrangères, limiter l’érosion de la base d’imposition à travers les déductions d’intérêts et autres paiements financiers et sur l’obligation des contribuables à faire connaître leur dispositifs de planification fiscale agressive 4.
À cette incapacité européenne dans le débat sur l’harmonisation fiscale s’ajoute une politique de redressement toujours plus contrariée. Le verdict du Tribunal européen concernant l’annulation de la décision de la Commission sur la taxation d’Apple en Irlande est à cet égard assez surprenant. Les juges du Tribunal de l’Union européenne ont en effet considéré que l’argument principal du Commissariat à la concurrence de la Commission, qui consistait à dire que l’Irlande avait en fait accordé une subvention indirecte à Apple et donc un avantage comparatif anti-compétitif, ne tenait pas.
La décision est plus importante qu’il n’y paraît, puisque c’était là un des instruments principaux de la Commission pour lutter contre l’optimisation fiscale et les transferts de capitaux, et qu’il risque de disparaître du fait de cette jurisprudence. La Commission n’en serait que plus impuissante. Mais ce système est nécessairement amené à changer, et l’action de l’OCDE est assez prometteuse.
Néanmoins, nos résultats ont aussi un effet modérateur. Par exemple sur les GAFAM, qui sont sur-exposés dans le débat, nos données permettent de prendre un peu de recul. De fait, ces entreprises sont importantes parce qu’elles sont au cœur du débat public, et commencent à avoir mauvaise presse du fait de leurs stratégies fiscales et du montant des sommes qu’elles transfèrent. Néanmoins, nous montrons justement que ce ne sont pas des cas particuliers et que les transferts de profits sont tout aussi importants dans le reste des industries, de la banque aux entreprises manufacturières ! Ils attirent simplement l’attention, mais n’ont rien d’exceptionnel en matière de politique d’évitement fiscal.
Correction statistique, géopolitique et redistribution internationale
Nos résultats ont une autre application directe, à savoir corriger les principaux indicateurs économiques internationaux, comme le PIB, les bénéfices des entreprises, les balances commerciales et la part du travail et du capital dans les entreprises. De fait, les transferts de capitaux faussent ces statistiques assez fortement, puisque le revers des forts profits enregistrés dans les paradis fiscaux est la sous-estimation de la production, des exportations nettes et des profits enregistrés dans les autres pays.
En d’autres termes, un transfert dans les paradis fiscaux est certes une réduction de facture fiscale pour l’entreprise, mais aussi une diminution proportionnelle et artificielle du produit enregistré par le pays où le profit a été réalisé. Nous fournissons donc une nouvelle base de données de statistiques macroéconomiques corrigées pour tous les pays de l’OCDE et les plus grandes économies émergentes.
En intégrant à nouveau les bénéfices transférés dans les paradis fiscaux, la part du capital des entreprises augmente sensiblement – selon nos estimations, elle serait depuis les années 1990 deux fois plus importante que celle enregistrée dans les données officielles des comptes nationaux. Cette correction des statistiques macro internationales est essentielle pour les débats actuels sur l’importance de la technologie dans la productivité et du capital dans les inégalités 5, mais aussi pour essayer d’ajuster les débats de relations internationales à la réalité des échanges.
De fait, nos estimations recomposent les comptes nationaux, dans la mesure où par exemple les déficits commerciaux des pays à forte imposition sont en fait fortement surestimés, ce qui a une importance dans les débats – sur les critères de Maastricht, sur les effets de la mondialisation, sur la nécessité d’une politique industrielle de relocalisation, etc. Aussi, la distorsion statistique consiste en une surestimation des retours sur investissements à l’étranger, largement gonflés par les transferts de profits.
Les effets de ces biais à la baisse sont assez phénoménaux. Par exemple, aux États-Unis, Trump insiste énormément sur le déficit commercial américain. Mais nous montrons justement qu’au moins un quart du déficit américano-européen n’est rien de plus qu’une fiction, une fabrication de papier du fait des transferts de profits. Cela signifie qu’un quart de la colère de Trump est, sinon injustifiée, en tout cas mal-placée ! C’est une fiction absolue.
Le cas le plus dramatique est celui de l’Irlande, qui n’utilise même plus des indicateurs officiels aussi essentiels que leur PIB, RNB, leur dette ou leur balance commerciale, et en viennent à utiliser depuis 2017 le « PIB* », ou Produit Intérieur Brut Modifié, qui essaye de corriger les distorsions dues aux BEPS dans les statistiques officielles, qui de fait ne reflètent plus grand chose. 6
En plus de cette surestimation des déficits, la part des revenus du capital a l’air beaucoup plus faible qu’elle ne l’est réellement dans les pays à plus forte imposition, et comme les transferts de profits ont augmenté dans le temps, nous sous-estimons aussi la croissance de cette part du capital dans les revenus – en Irlande, c’est tout à fait l’inverse, on mesure une augmentation aussi énorme qu’insensée de la part du capital, qui ne veut pas dire grand chose !
Ce fait semble plutôt confirmer voire renforcer les hypothèses de Piketty sur les effets de cette part croissante des capitaux dans la dynamique inégalitaire ; nos résultats permettront de corriger les estimations de croissance de la part du capital des effets des transferts de capitaux.
En terme de mesure des inégalités entre individus, c’est un peu différent de la logique internationale, puisque nous mesurons les revenus individuels à partir de déclarations d’impôts sur leur revenu global. Néanmoins, le problème existe pour les actionnaires, puisque les transferts de profits à l’étranger leurs permettent des taux d’imposition plus faibles ; or les actions sont des biens dont la possession est concentrée sur le haut de la distribution des revenus, dans le dernier percentile, ce qui aggrave les inégalités à ce niveau particulièrement problématique.
Injustice et consentement à payer
L’impact de notre recherche est assez important, du fait du rôle qu’elle tient dans l’analyse empirique portée par l’OCDE de l’harmonisation et de l’évitement fiscaux. En effet, nos résultats ont aidé à mettre en avant ce problème spécifique de la régulation mal ordonnée, et à accélérer la mise à l’agenda de sa réforme, notamment en ce qu’il a permis au régulateur, ici l’OCDE, de s’accorder sur son ampleur.
Au fond, et de manière paradoxale, le fait de fournir des estimations chiffrées a permis à tout le monde de s’aligner sur l’objectif quitte à en décevoir certains qui en fantasmaient un peu l’importance – et clamaient que la mise au pas des pratiques fiscales des grandes multinationales étaient la panacée, ce qui n’est pas exactement le cas, exactement comme pour les GAFAM.
Le débat est donc recentré, sans doute pour le meilleur. Il n’est pas impossible que, l’ampleur étant circonscrite, un consensus de la part des pays qui pâtissent de la compétition fiscale n’en soit que plus probable, et donc la probabilité d’agir plus grande, ce qui constitue un vrai enjeu pour nos démocraties fondées sur le consentement à l’impôt. De fait, il n’est pas impossible que nos résultats viennent confirmer les convictions des plus prompts au « tous pourris », mais l’avantage d’avoir des chiffres crédibles et fondés dépasse sans doute ce possible biais de confirmation populiste, qui n’a pas attendu nos résultats pour s’exprimer. Ils permettront d’ancrer le débat et lui donner un sens bien défini pour agir plus vite et mieux, en le dotant d’outils simples et transparents.
Sources
- L’idée est que si une filiale verse beaucoup de salaires dans un pays, où est donc implantée son activité effective, mais qu’elle déclare ses profits dans un autre pays, c’est le signe d’une manœuvre comptable d’évitement de l’impôt. [NdLR]
- Voir Wright et Zucman, 2018.
- À propos du rôle de la créativité juridique des grands cabinets de droit fiscal internationaux et du droit en particulier dans la concentration du capital et l’évitement fiscal, voir le livre de Katarina Pistor, The Code of Capital et l’extrait publié dans nos colonnes.
- Cf la page dédiée et les différents rapports.
- Voir par exemple Piketty et Zucman 2014, Karabarbounis et Neiman 2014.
- Le pic de distorsion a sans doute été atteint en 2016, quand le PIB affichait une croissance de 34,4 %, ce qui valut à l’Irlande d’être taxée d’« économie de farfadet » (Krugman), un terme qui s’applique maintenant aux autres paradis fiscaux sujets aux incongruités dans la comptabilité nationale.
Crédits
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