Luxembourg. La Banque européenne d’investissement publie cette année sa seconde enquête sur la perception du changement climatique et de ses conséquences par les citoyens européens. Cette publication intervient à un moment charnière pour cette institution qui, au prix d’âpres négociations1, est récemment devenue la première banque multilatérale à s’engager à mettre fin au financement des énergies fossiles – pétrole, gaz et charbon – dès 2021, et que le Parlement européen a voté cette semaine une résolution reconnaissant l’urgence climatique2. Alors que la nécessité d’une transition écologique et socialement juste devient prépondérante dans les débats publics nationaux, quelques jours avant la présentation officielle du Green Deal par la nouvelle présidente de la Commission Ursula von der Leyen, il est crucial pour les gouvernements et les élus de comprendre la perception qu’ont les citoyens des différents enjeux en place, comme la lutte contre le changement climatique.

L’enquête réalisée par la Banque européenne d’investissement met en lumière une conscience généralisée mais inégale du changement climatique3. En effet, la réalité du réchauffement climatique ne fait plus débat en Europe : seuls 9 % des Européens disent ne pas reconnaître l’existence du réchauffement climatique – un chiffre qui s’élève à 16 % en République Tchèque et en Estonie – et 84 % d’entre eux pensent que l’activité humaine en est la principale cause. En revanche, 47 % seulement des citoyens européens considèrent qu’il s’agit de l’un des trois plus importants défis auxquels l’Europe est confrontée, contre 67 % pour la situation économique et financière actuelle. Ce dernier point laisse apparaître une véritable barrière Nord-Sud : au Danemark, en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Autriche, le changement climatique est le défi le plus cité, tandis qu’en Espagne, en Italie, au Portugal ou en Grèce, le chômage et la situation économique demeurent largement en tête.

Malgré tout, peu de citoyens européens doutent encore des conséquences du changement climatique : 82 % pensent qu’il entraînera des migrations forcées, et 24 % pensent eux-mêmes avoir à émigrer un jour. La fracture intergénérationnelle se ressent fortement sur cette question, alors que plus de 40 % des jeunes pensent avoir à quitter leur pays à cause du changement climatique. À cet égard, les États insulaires ou côtiers apparaissent plus sensibles à la cause climatique : 40 % des Chypriotes pensent en effet qu’ils seront contraints de leur pays à cause du réchauffement, et plus précisément de l’érosion du littoral et de la montée du niveau de la mer.

Représentée ci-dessus, l’inquiétude face au changement climatique fluctue fortement d’un pays à l’autre. Il apparaît cependant qu’une plus grande partie des populations du Sud de l’Europe s’en inquiète, comme au Portugal, en Slovénie, en Roumanie et en Bulgarie. Ces résultats vont à l’encontre de la perception commune selon laquelle les États du Nord seraient de façon générale plus sensibilisés à l’importance de la question écologique, et selon laquelle les États de l’ex-bloc soviétique ne le seraient pas ou peu. Quant au climatoscepticisme, la carte ci-dessous laisse entrevoir là aussi une réalité à contre-courant de l’opinion générale : les pays du Nord et de l’Est y sont plus exposés, y compris les pays comme la Suède, les Pays-Bas et les pays baltes.

La fracture Ouest-Est correspond néanmoins relativement à celle à laquelle l’Union est confrontée depuis plusieurs années, avec la réticence des pays du groupe de Visegrad vis-à-vis de la mise en place d’objectifs contraignants pour la lutte contre le changement climatique, comme l’atteinte de la neutralité carbone en 20504.

Perspectives :

  • La perception du changement climatique et de ses conséquences fluctue substantiellement entre les États de l’Union, avec un niveau de préoccupation plus marqué dans l’Europe du Sud et de l’Est.
  • Les réticences des élus siégeant au Parlement européen seront un facteur déterminant pour la capacité de la Commission à légiférer sur la lutte contre le changement climatique.
  • Le 1er décembre, Ursula von der Leyen prend ses fonctions comme présidente de la Commission européenne.
  • Le rehaussement des objectifs nationaux à l’occasion de la COP26 en décembre 2020 à Glasgow doit accélérer la démarche des États, après une série de COP peu fructueuses depuis l’Accord de Paris.