Alors que la Chine exerce une influence prépondérante sur les chaînes d’approvisionnement mondiales en minéraux critiques — notamment dans les segments intermédiaires — on présente souvent la solution pour retrouver un degré de contrôle autour d’un dilemme : le découplage (decoupling) ou la réduction des risques (de-risking) 1. Si le découplage est impossible dans le cas des minéraux critiques, c’est pour une raison simple : la domination chinoise y est tout simplement trop importante. Le cadre de la réduction des risques, quant à lui couramment utilisé en Europe et aux États-Unis, trouve une certaine pertinence, mais il reste insuffisant en soi.
Si les approches européenne et américaine restent, à partir de 2025, potentiellement cohérentes à quelques égards, l’attitude américaine centrée sur elle-même complique une coopération éventuelle, qui restent impérative vu la nature et l’ampleur de la domination chinoise.
Pour rétablir une vision réaliste, il faut repartir des données brutes.
Pékin détient en moyenne les deux tiers de la production ou du raffinage des principaux minéraux critiques 2 tels que le lithium, le graphite, le cobalt, le nickel, le cuivre, ainsi qu’une part excédant les 90 % 3 pour les terres rares.
En 2023, 94 % des importations de terres rares par l’Union européenne provenaient de la Chine, de la Malaisie et de la Russie réunies. Elle dépendait de la Chine pour 99 % du magnésium importé, environ deux tiers du germanium, et 79 % du gallium (pour ce dernier, la Russie arrivait en deuxième position avec 13 %). Même dans les cas où la situation peut paraître moins criante, comme dans le cas du graphite naturel, où l’Union dépend de la Chine à un taux de 29 % 4 (sur un total de 76,786 kg), en y regardant de plus près, on voit qu’elle dépend de la Chine à 73 % 5 pour les importations de graphite artificiel, qu’elle importe en quantité plus importante (155,175 kg au total). Au total, la Chine était le principal partenaire pour 10 des 14 produits détaillés par la Commission européenne 6.
Pour les États-Unis, la situation est du même ordre. En 2022, les États-Unis dépendaient à plus de 50 % des importations pour 51 minéraux. Selon le United States Geological Survey 7, la Chine était le premier fournisseur pour 17 d’entre eux, et figurait parmi les trois premiers pour 24.
Les puissances occidentales ont pris conscience assez brutalement 8 de leur dépendance envers la Chine au niveau des minéraux, aujourd’hui dits « critiques ». Plusieurs gouvernements ont ainsi pris la mesure des limites d’une stratégie d’approvisionnement fondée sur le libre marché, privilégiée depuis les années 1980. Sous le paradigme néolibéral de la mondialisation, l’atteinte des objectifs de sécurité d’approvisionnement en matière de ressources naturelles a été reléguée aux forces du marché, entraînant ainsi une internationalisation croissante des marchés, une financiarisation accrue et une reconfiguration des chaînes d’approvisionnement orientée vers la maximisation des profits et de la valeur actionnariale. Parallèlement, les progrès en matière de normes sociales, environnementales, et liées aux droits des peuples autochtones, ont contribué à la transformation de la structure des incitatifs qui a mené à la délocalisation 9 des activités minières et de raffinage à l’extérieur de l’Occident et vers la Chine.
Face à ces réalités, plusieurs gouvernements occidentaux tentent depuis quelques années de formuler une réponse stratégique à travers l’agenda de la « réduction des risques », popularisé par Ursula von der Leyen en 2023 — qui reprenait une expression déjà utilisée quelques mois plus tôt par le chancelier allemand d’alors Olaf Scholz 10.

En Amérique du Nord, cet agenda repose sur trois piliers : la relocalisation vers des pays alliés (« friend-shoring » 11) ou, préférence marquée depuis janvier 2025, vers le pays d’origine (« on-shoring » 12), la diversification des sources d’approvisionnement 13, et la réindustrialisation 14.
Cette approche souffre toutefois de plusieurs faiblesses : un changement fondamental de paradigme économique encore incomplet, une reconnaissance insuffisante de l’ampleur et de la nature de la domination chinoise, des objectifs excessivement ambitieux tout en étant mal définis et une vision trop étroite de ce qui constitue la sécurité des ressources.
Comme alternative, on pourrait proposer une approche basée sur la notion de « résilience asymétrique ».
Celle-ci vise à rééquilibrer le rapport de force avec la Chine, tout en modulant le niveau de risque et en développant des positions stratégiques ciblées le long des chaînes d’approvisionnement mondiales, tout en reconnaissant que Pékin poursuit également ses propres objectifs de sécurité en la matière 15.
Cette nouvelle méthode devrait permettre de tendre vers un équilibre réajusté, dans lequel les deux parties puissent concevoir une sécurité d’approvisionnement.
Il devient difficilement envisageable de financer un projet de nickel sans partenaire chinois, ceux-ci disposant de la technologie, de l’expertise et d’une capacité d’exécution à faible coût supérieures.
Pascale Massot
La domination de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques — et son arsenalisation
Contrairement à l’Europe et aux États-Unis, où le changement de paradigme est récent, la Chine conçoit les ressources minérales sous l’angle de la sécurité nationale depuis plusieurs décennies, ce qui a mené le pays à établir des stratégies multidimensionnelles à cet égard 16, à la fois au niveau national et international. Elle a ainsi investi dans l’ensemble de la chaîne de valeur des minéraux critiques, de l’extraction à la manufacture en passant par le plan technologique et jusqu’aux produits dérivés, comme les aimants de terres rares, les batteries et les véhicules électriques.
L’exemple de l’industrie mondiale du nickel est éloquent : si la part de la Chine dans les exportations de nickel raffiné tourne autour des 20 % au niveau mondial, cette donnée ne reflète qu’une fraction de sa domination.
En effet, les investissements chinois dans la technologie de lixiviation acide à haute pression (HPAL) ont radicalement transformé le secteur 17, en rendant exploitables les vastes réserves indonésiennes. Suite à l’interdiction par Jakarta des exportations de minerai brut dans les années 2010, les investisseurs chinois se sont implantés durablement 18 dans les activités de traitement et de raffinage du nickel en Indonésie.
Résultat : en 2023 19, Ford s’est associé à Vale Indonesia et à Zhejiang Huayou Cobalt Co., une entreprise chinoise, pour développer une installation de traitement du nickel. Cette configuration illustre le dilemme des groupes industriels occidentaux : il devient difficilement envisageable de financer un projet de nickel sans partenaire chinois, ceux-ci disposant de la technologie, de l’expertise et d’une capacité d’exécution à faible coût supérieures. La résilience américaine en matière de minéraux critiques passe donc par un pays de l’ASEAN, une filiale canadienne d’un groupe brésilien, et une entreprise privée chinoise.
Pour donner une idée de l’ampleur de la vulnérabilité américaine, selon les seuils de l’Inflation Reduction Act de 2022 concernant les « entités étrangères préoccupantes » (FEOC-Foreign Entities of Concern), seuls 8 à 9 % de l’approvisionnement mondial en nickel brut et environ 12 % du nickel raffiné étaient conformes aux critères définis. Un rapport du Center for Strategic and International Studies 20 soulignait à cet égard l’une des faiblesses de l’IRA : il n’incitait guère à la production de minéraux critiques dans plusieurs pays partenaires d’importance ne disposant pas d’accord de libre-échange avec les États-Unis — notamment l’Indonésie, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Namibie.
Mais les États-Unis ne sont pas les seuls dans cette situation.
La loi de l’Union européenne sur les matières premières critiques 21 fixait en 2022 comme objectif qu’une part de 10 % de la consommation annuelle provienne de la production locale d’ici 2030 ; que 40 % du traitement et du raffinage soit fait sur le sol européen ; et qu’une dépendance vis-à-vis d’un pays tiers ne dépasse pas les 65 %. Nombre d’observateurs 22 considèrent ces objectifs comme excessivement ambitieux, même en supposant déjà une dépendance à l’importation des produits bruts pouvant atteindre 90 %, dont 65 % pourrait provenir de la Chine.
Si les États-Unis et la Chine ont chacun trouvé une façon de « fermer des usines de part et d’autre du Pacifique », cela veut aussi dire que les deux parties devront continuer à négocier pour trouver un terrain d’entente.
Pascale Massot
Ces chiffres masquent un autre type de domination chinoise : celle des produits manufacturés issus de ces minéraux critiques, allant des aimants de terre rares jusqu’au véhicules électriques, et aux produits issus des technologies vertes. La concentration des importations est en hausse à travers le monde depuis les dernières décennies, le nombre de produits provenant d’un éventail limité de fournisseurs étant 50 % plus élevé au début des années 2020 qu’à la fin des années 1990 selon l’OCDE 23. La proportion de la Chine dans les importations mondiales est passée de 5 % à 30 % au cours des 25 dernières années, tandis que la contribution combinée des États-Unis, de l’Allemagne et du Japon a diminué de 30 % à 15 %.
En même temps, un autre déséquilibre se dessine. En 2000, la Chine était dépendante des Américains pour environ le quart de ses importations ; ce chiffre est descendu à 11 % en 2022. La dépendance américaine et européenne aux importations en provenance de Chine, elle, a suivi un mouvement inverse, quatre fois et trois fois plus importante qu’en 2000, respectivement. Alors que les dépendances chinoises à l’importation se concentrent de plus en plus vers des produits primaires, celles de l’Europe et des États-Unis, elles, ont évoluées vers des produits à plus haute valeur ajoutée 24. Pour sa part, l’Union importe au-delà de 90 % de ses aimants à haute performance de terre rares de la Chine — comme d’ailleurs les États-Unis. L’ampleur de la domination chinoise tient au fait qu’elle implique plus que l’extraction : de la séparation et du raffinage de terres rares, jusqu’aux écosystèmes industriels les intégrant dans les produits dérivés.
C’est dans ce contexte que le monde est entré dans une nouvelle ère de compétition économique et stratégique le 4 avril 2025 25 lorsque le gouvernement chinois a annoncé la mise en place de nouvelles règles d’exportation en réponse aux droits de douane majeurs annoncés envers la Chine par l’administration Trump deux jours plus tôt 26.
Ces nouvelles règles exigent des entreprises étrangères qu’elles obtiennent des licences pour sept éléments de terres rares et leurs produits dérivés, jusqu’aux aimants leur étant associés 27. Les exportateurs doivent maintenant fournir des informations détaillées sur l’utilisation finale et les utilisateurs finaux des produits destinés à l’exportation. Cette annonce, et les goulets d’étranglements qui s’en sont suivis ont causé des chocs importants dans plusieurs industries manufacturières à travers le monde, notamment chez Ford, qui a dû fermer certaines de ses lignes d’assemblage plus tôt cet été.
Si les États-Unis et la Chine ont chacun trouvé une façon de « fermer des usines de part et d’autre du Pacifique » comme l’expliquait récemment Paul Triolo 28, cela veut aussi dire que les deux parties devront donc continuer à négocier pour trouver un terrain d’entente, pour le moment.
À la suite des négociations entre les deux parties à Genève, Londres, puis Stockholm, en mai et juin derniers, les principaux intéressés ont instauré une trêve fragile, qui a vu la Chine assurer aux Américains un accès aux aimants de terres rares, pour autant qu’ils respectent les cadres régulatoires annoncés le 4 avril (qui imposent des demandes assez onéreuses au niveau des importateurs, incluant des informations détaillées sur le destinataire final). Depuis, la Chine a continué de renforcer son système de contrôle sur la production d’aimants de terres rares, imposant de nouvelles exigences de déclaration aux entreprises chinoises 29.
Les négociations se poursuivent depuis, en vue d’une possible rencontre de haut niveau au cours des prochains mois, la date « limite » ayant été une fois de plus repoussée au 10 novembre. C’est sur cette toile de fond que le Président américain a admis le délicat équilibre des forces en place, devant les journalistes dans le bureau ovale de la Maison Blanche le 25 août dernier, et ce, devant le Président sud-coréen : « S’ils ne nous fournissent pas d’aimants, nous devrons leur imposer des droits de douane de 200 %…nous avons un pouvoir énorme sur eux, et ils ont un certain pouvoir sur nous grâce aux aimants » 30.
Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis depuis janvier 2025 n’a donc fait qu’accentuer la pression dans ce dossier.
Sous sa première administration 31, l’attention politique s’était déjà fortement cristallisée sur les minéraux critiques. Le président Trump a d’ailleurs promulgué au moins cinq executive orders depuis janvier 2025 32 visant à accélérer le développement de l’exploitation minière — y compris pour les minéraux critiques, les hydrocarbures et même le charbon —, notamment en démantelant les contraintes réglementaires pesant sur les industries extractives. Une annonce remarquée de l’administration américaine à cet égard concerne l’engagement du ministère de la Défense d’acquérir une participation pour un montant de 400 millions de dollars dans MP Materials 33, le producteur américain de terres rares, ainsi que sa garantie d’un prix plancher pour son approvisionnement à venir, notamment dans la fabrication d’aimants.

Cette décision marque un changement radical dans l’approche des États-Unis à l’égard de la sécurité des minerais critiques, l’administration indiquant que la participation directe aux opérations minières et les garanties de prix plancher pourraient être appliquées plus largement dans le secteur.
Toutefois, le recul au niveau des enjeux climatiques, l’absence de stratégie industrielle intégrée, une logique généralisée de recours aux droits de douane et une réticence vis-à-vis des approches plurilatérales risquent en même temps d’affaiblir la résilience américaine dans ce domaine.
Le paradoxe de la vulnérabilité chinoise
Compte tenu sa domination, il pourrait être facile d’oublier que la position que la Chine a développé dans les chaînes d’approvisionnement mondiales en minéraux critiques repose sur un sentiment historique profond de vulnérabilité 34, qui découle d’une dépendance persistante à l’importation de nombreuses matières premières — et d’une dépendance à l’exportation de produits finis à l’autre extrémité de la chaîne de valeur.
Cette réalité, que j’examine dans mon ouvrage China’s Vulnerability Paradox 35, demeure très actuelle pour la plupart des minéraux critiques ou dits stratégiques en Chine. La part importante de la Chine dans la production mondiale de terres rares constitue une exception à la règle. Une étude publiée en 2018 dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) 36 estimait que la Chine dépend à plus de 50 % des importations pour 19 des 42 minéraux non énergétiques, notamment le minerai de fer et le cuivre, mais aussi le cobalt, le lithium, le béryllium, le niobium, le minerai de chromite, les métaux du groupe platine (platine, palladium et rhodium), et le tantale. Dans certains cas, les capacités de production chinoises atteignent un plateau, ce qui est notamment le cas pour la potasse, un fertilisant essentiel.
Cette situation se reflète dans la nature des contrôles à l’exportation mis en place par Pékin 37 depuis 2023 — en décembre 2023 puis en décembre 2024, en février et en avril 2025. Ces mesures visent des des métaux (comme le gallium, le germanium, le tungstène et le bismuth) relativement spécifiques, ainsi que les terres rares et leurs technologies associées, qui sont d’importance stratégique, peu substituables et où la Chine dispose d’une production solide. Elles ne concernent pas les métaux de base à usage plus généralisé (comme le cuivre).
Toutefois, il est essentiel de garder à l’esprit que les comportements internationaux de la Chine trouvent leur origine dans les réalités économiques et politiques au niveau national également. Le cas de l’antimoine en est un bon exemple. La production nationale de ce dernier aurait chuté ces dernières années, tandis que son prix s’est envolé (par plus de 250 % en 2024 seulement). Certains affirment que les restrictions à l’exportation d’antimoine imposées par la Chine n’étaient peut-être pas tant destinées à un public international qu’à garantir un approvisionnement suffisant pour son industrie manufacturière nationale 38.
Le gouvernement chinois sait qu’imposer des contrôles sur les exportations peut faire grimper les prix mondiaux et inciter d’autres pays à accroître leur production.
Or pour des minéraux dont la Chine ne domine pas la production en amont — comme le cobalt, le nickel ou le lithium — une hausse des prix mondiaux pèserait sur ses importateurs alors que, jusqu’à présent, des prix relativement bas ont profité à Pékin.
Les vulnérabilités de la Chine se situent également à d’autres niveaux.
Son enchevêtrement avec les marchés mondiaux implique que les mesures de contrôle des exportations peuvent avoir des effets de second ordre parfois contre-productifs, comme les États-Unis l’ont constaté en imposant leurs propres mesures de contrôle sur les exportations à haute technologie envers la Chine.
À cet égard, les impacts négatifs des dernières mesures de restrictions aux exportations des terres rares et leurs aimants associés imposées par la Chine en avril 2025 sur le niveau de confiance envers Pékin comme partenaire de confiance et fiable à long-terme à l’international ne sont pas à négliger 39.
La sécurité sans l’escalade : pour une résilience asymétrique
Le paradigme de la réduction des risques (« de-risking ») ne tient pas suffisamment compte du fait que l’importance de la Chine dans de nombreux domaines liés aux minéraux critiques persistera vraisemblablement dans un avenir prévisible.
Il ne permet pas non plus de concevoir toute l’importance de l’interconnexion économique dans les chaînes d’approvisionnement des minéraux critiques, à la fois comme réalité structurelle et comme facteur de résilience. On sait par exemple qu’en raison des risques de chocs domestiques, la relocalisation excessive des chaînes d’approvisionnement ne mènerait pas à plus de résilience 40. Une telle stratégie demeure par ailleurs économiquement peu réaliste.
Une résilience asymétrique ne viserait pas à éliminer mais plutôt à recalibrer les vulnérabilités existantes, et repose sur quatre piliers : la défense, l’affirmation, le plurilatéralisme et la stabilisation.
Pour réfléchir de façon plus systématique à la sécurité en matière de minéraux critiques, une compréhension plus nuancée et multidimensionnelle des chaînes d’approvisionnement est également nécessaire.
On peut à cet égard s’inspirer de ce qu’Henry Farrell et Abraham Newman 41 ont élaboré dans leur conceptualisation du pouvoir de marché « en réseau ». Selon ces derniers, le pouvoir économique repose sur la position dans un réseau composé de multiples acteurs et structures. La sécurité des ressources ne s’arrête en effet pas aux frontières : elle englobe également les flux d’investissement, les structures de propriété, l’innovation, les infrastructures et le transport, les écosystèmes industriels, les bourses de métaux, les prix et même le rôle du dollar américain.
Le pilier défensif
En premier lieu, il convient donc d’adopter une posture défensive ciblée.
Certaines exigences de sécurité et de défense justifient des stratégies de relocalisation ou de stockage stratégique pour des minéraux nichés, en quantités limitées. L’Australie a par exemple engagé 1,2 milliards de dollars australiens pour constituer une réserve flexible de minéraux critiques, comprenant des accords d’achat anticipés et un stockage sélectif, avec une possibilité d’accès pour des partenaires internationaux 42. Le recyclage — ou « urban mining » — constitue également une piste pertinente pour accroître l’offre domestique, même s’il faudra atteindre une production industrielle plus mature pour que cette solution ne produise des effets décisifs.
La diversification commerciale comme objectif général reste une ambition légitime : aucun pays ne souhaite une dépendance excessive vis-à-vis d’une seule source. Mais encore faut-il définir des seuils raisonnables : l’Union, qui propose un plafond de 65 % de dépendance à une source (un chiffre qui devrait plutôt varier selon les cas), est l’une des seules entités politiques à avoir établi des objectifs chiffrés.
Si certains acteurs imaginent pouvoir relocaliser toutes les chaînes d’approvisionnement, il n’existe en fait pas de solution unique. Certains minéraux peuvent être stockés, d’autres non. Certains sont requis en si petites quantités que des stratégies de stockage répliquées dans plusieurs pays seraient redondantes. Dans certains cas, renforcer les capacités locales est justifié pour être efficace à l’intérieur d’un effort plus large en matière de politique industrielle tandis que, dans d’autres, cela ne l’est pas. L’ouverture de sites de traitement en Amérique du Nord ou en Europe suppose également, et à juste titre un dialogue réglementaire et communautaire complexe.
Le pilier assertif
Si la réduction des risques tend à s’appuyer sur une conception défensive de la sécurité des ressources, elle doit aussi déployer, pour réellement prospérer, une posture plus assertive.
Cela implique à la fois d’investir dans des capacités industrielles nationales et régionales pour faire face aux exigences technologiques de la transition verte et de la quatrième révolution industrielle, mais aussi de développer des positions de force ciblées dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, compte tenu de l’enchevêtrement profond de la Chine dans les marchés mondiaux et de ses propres vulnérabilités à l’importation et à l’exportation. Par exemple, au lieu de chercher à reproduire la puissance de raffinage chinoise dans chaque secteur, il faudrait plutôt essayer d’identifier des points spécifiques de compétence ou de levier potentiel 43, que ce soit au niveau des tiers producteurs, ou de l’accès éventuel aux marchés pour les produits manufacturés en provenance de Chine—toujours à la recherche d’un rééquilibrage, même asymétrique.
Une stratégie sérieuse devrait comporter des volets en amont — extraction, raffinage, production d’aimants — qui pourraient éventuellement, sous certaines conditions, inclure des investissements chinois avec des transferts technologiques négociés, mais aussi miser sur les atouts existants en recherche et développement et réfléchir à la demande à moyen terme, au rôle des prix planchers, ainsi qu’aux partenariats avec des pays tiers.
La résilience asymétrique vise à renforcer la sécurité sans alimenter l’escalade.
Pascale Massot
Le pilier plurilatéral
Le troisième pilier doit être axé sur la coopération plurilatérale.
Ni les États-Unis ni l’Union ne pourront assurer seuls leur sécurité en matière de minéraux critiques. Une logique en réseau impose des solutions partagées. Le Partenariat pour la sécurité des minéraux 44 en est une illustration. Sous le leadership canadien, les pays du G7, incluant les Etats-Unis, ont bien signé un plan d’action sur les minéraux critiques le 17 juin dernier.
Un changement profond dans la manière de structurer les relations avec les producteurs du Sud global est également nécessaire, en vue de garantir des trajectoires de développement durables. Le plan d’action du G7 fait d’ailleurs référence à l’importance de « resserrer notre coopération avec nos partenaires des marchés émergents, … renforcer leurs capacités, à favoriser la création de valeur locale, à générer des opportunités pour tous, à promouvoir les pratiques minières responsables » 45. Il reste à voir comment la transformation de l’approche américaine influera sur la capacité des autres membres à poursuivre une approche collaborative en la matière.
L’élaboration de positions de force doit aller de pair avec la création de réassurances : transparence, stabilité des marchés, maintien d’un accès ouvert pour la majorité des minéraux.
Pascale Massot
Le pilier stabilisateur
Enfin, une vision à long terme doit prévaloir. Les minéraux critiques font aujourd’hui l’objet d’une sécuritisation grandissante de toutes part, générant une dynamique s’apparentant à un dilemme de sécurité : la poursuite de la sécurité par l’un engendre un sentiment accru d’insécurité chez l’autre, tout cela au détriment de la sécurité pour tous. S’inspirant de Thomas Schelling (1966) et des travaux plus récents de Bonnie Glaser, Jessica Chen Weiss et Thomas Christensen sur Taïwan 46, il importe d’analyser les perceptions croisées de la sécurité et de l’insécurité des ressources entre la Chine et l’Occident de manière interactive.
L’approche de la résilience asymétrique présentée ici vise donc à renforcer la sécurité et la résilience sans alimenter l’escalade.
Ainsi, l’élaboration de positions de levier doit aller de pair avec la création de réassurances à long-terme : transparence, engagement en faveur de la stabilité des marchés mondiaux, et du maintien d’un accès ouvert pour la majorité des minéraux.
La résilience asymétrique constitue ainsi une approche à la fois plus systémique et plus ciblée de la sécurité minérale. Elle cherche à atténuer les vulnérabilités plutôt qu’à les supprimer, et à développer des positions de levier stratégiques, plutôt qu’une autonomie totale.
Fondée sur les quatre piliers susmentionnés, elle prend en compte la faisabilité, la diversité de la réalité des chaînes d’approvisionnement mondiales, une lecture en réseau de la sécurité d’approvisionnement en ressources, et l’impératif d’agir de concert, dans une perspective d’un rééquilibrage des vulnérabilités mondiales — au service d’une sécurité, d’une résilience et d’une stabilité partagées.
Sources
- Ce texte est le développement d’un article en anglais paru dans les pages du Diplomat. Je remercie Solène Simard pour son assistance dans la traduction et l’édition.
- « The New Great Game : How the race for critical minerals is shaping tech supremacy », RBC, avril 2025.
- « Global critical minerals outlook 2025 », IEA, mai 2025.
- « European Union Natural graphite in powder or in flakes imports by country in 2023 », WITS, 2023.
- « European Union Artificial graphite imports by country in 2023 », WITS, 2023.
- « International trade in critical raw materials », Eurostat, juin 2025.
- « Mineral Commodity Summaries 2023 », U.S. Geological Survey, 31 janvier 2023.
- « America’s Shortage Of This Metal Keeps Trump Up At Night », Business Insider, 26 mars 2020.
- « The state of critical minerals report 2023 » Payne Institute for Public Policy, 26 septembre 2023.
- Bernhard Bartsch, Claudia Wessling, « Germany : Assessing the risks of de-risking », MERICS, 28 juin 2024.
- Jane Mellsop, « That’s What (Economic) Friends are For : Guiding Principles to Boost Supply Chain Security », Asia Society Policy Institute, 3 mars 2025.
- Ivan Williams, « Onshoring secures mineral supply chains as global economy electrifies », The Engineer, 23 avril 2024.
- Jeffrey Kucik, Mark Kennedy, « Investment and Trade Agreements Essential to De-Risking Critical Minerals Supply Chains », Wilson Center, 30 avril 2024.
- William Alan Reinsch, Meredith Broadbent, Thibault Denamiel, Elias Shammas, « Friendshoring the Lithium-Ion Battery Supply Chain : Battery Cell Manufacturing », CSIS, 6 juin 2024.
- Zongyuan Zoe Liu, « How to Secure Critical Minerals for Clean Energy Without Alienating China », CFR, 25 mai 2023.
- Patrik Andersson, « Chinese assessments of “critical” and “strategic” raw materials : Concepts, categories, policies, and implications », The Extractive Industries and Society, janvier 2020.
- « The rise and rise of Indonesian HPAL – can it continue ? », Wood Mackenzie, 4 avril 2023.
- Angela Tritto, « How Indonesia Used Chinese Industrial Investments to Turn Nickel into the New Gold », Carnegie Endowment for International Peace, 11 avril 2023.
- Ibid.
- Gracelin Baskaran, Duncan Wood, « Critical Minerals and the Future of the U.S. Economy », CSIS, 10 février 2025.
- « Critical Raw Materials : ensuring secure and sustainable supply chains for EU’s green and digital future », European Commission, 16 mars 2023.
- Emmanuel Hache, Emilie Normand, « Critical materials : assessing the EU strategy », Veblen Institute for Economic Reforms, mars 2024.
- Une tendance qui touche particulièrement les pays à l’extérieur de l’OCDE.« OECD Supply Chain Resilience Review Navigating Risks », OECD, 2 juin 2025.
- « Growing asymmetry : Mapping the import dependencies in EU and US trade with China », MERICS, 1 octobre 2024.
- Lizzi C. Lee, Paul Triolo, Pascale Massot, « Behind Beijing’s Rare Earth Chokehold — A New Flashpoint in the U.S.-China Trade and Tech Standoff », Asia Society Policy Institute, 9 Juin 2025.
- « Trump Raises Tariffs on China to 145 % – Overview and Trade Implications », China Brief, 11 avril 2025.
- « Announcement No.18 of 2025 of The Ministry of Commerce », ministère du Commerce de la République Populaire de la Chine, 4 avril 2025.
- Ibid.
- « China tightens rare earth rules, extending controls to imported minerals », South China Morning Post, 23 août 2025.
- « Remarks : Donald Trump Holds a Bilat with Lee Jae-Myung of South Korea », Roll Call, 25 août 2025.
- « A Federal Strategy To Ensure Secure and Reliable Supplies of Critical Minerals », Executive Office of the President, 26 décembre 2017.
- « Immediate Measures to Increase American Mineral Production », Maison-Blanche, 20 mars 2025.
- « MP Materials Announces Transformational Public-Private Partnership with the Department of Defense to Accelerate U.S. Rare Earth Magnet Independence », MP Materials, 7 juillet 2025.
- Pascale Massot, « Critical Minerals : “We need a finer understanding of China’s vulnerabilities” » ESSEC Institute for Geopolitics and Business, 3 juillet 2025.
- Pascale Massot, China’s Vulnerability Paradox, Oxford University Press, 2024.
- Andrew L. Gulley, Nedal T. Nassar, Sean Xun, « China, the United States, and competition for resources that enable emerging technologies », PNAS, 2 avril 2018.
- Gracelin Baskaran, Meredith Schwartz, « The Consequences of China’s New Rare Earths Export Restrictions », CSIS, 14 avril 2025.
- William Clarke, « The West’s critical mineral policy is putting the cart before the horse », Mining Journal, 16 août 2024.
- « Urgent action needed as China’s export restrictions on rare earths disrupt european automotive supply chains », CLEPA, 3 juin 2025.
- « OECD Supply Chain Resilience Review Navigating Risks », OECD, 2 juin 2025.
- Henry Farrell, Abraham L. Newman, « Weaponized Interdependence : How Global Economic Networks Shape State Coercion », International Security, 1er juillet 2019.
- « Albanese government announces $1.2 billion plan to purchase critical minerals », The Conversation, 23 avril 2025.
- Tim Rühlig, « Reverse dependence. Making Europe’s digital technological strength indispensable to China », Digital Power China, mai 2024.
- « Minerals Security Partnership », US Department of State.
- « Plan d’action du G7 sur les minéraux critiques », Gouvernement du Canada, 17 juin 2025.
- Bonnie S. Glaser, Jessica Chen Weiss, Thomas J. Christensen, « Taiwan and the True Sources of Deterrence. Why America Must Reassure, Not Just Threaten, China », Foreign Affairs, 30 novembre 2023.