La convention conservatrice CPAC vient de s’achever à Washington le 22 février 2025. Aux côtés de Donald Trump, on a pu y retrouver les principales figures de son gouvernement, toutes confirmées par le Congrès, ainsi que tous les grands noms du mouvement MAGA réunis pour célébrer leur victoire. En seulement un mois de présidence depuis l’inauguration du 20 janvier, le trumpisme a secoué l’Amérique et les lignes de partage de la scène internationale.

La CPAC est devenue l’incarnation de « l’esprit MAGA ».

On y trouve des dizaines de podcasters qui ont fait le succès médiatique de Donald Trump auprès des masses américaines… Des stands allant de la politique au business — une place importante étant réservée au monde des cryptomonnaies, l’un des grands investissements de Trump en tant que businessman. Beaucoup de représentants étrangers : les Hongrois de Victor Orbán, le président polonais Andrzej Duda, la première ministre italienne Giorgia Meloni (en ligne), le président argentin Javier Milei, le fils de Jair Bolsonaro, le premier ministre slovaque Robert Fico, la Fondation des Patriotes pour l’Europe, le « think tank » du groupe parlementaire européen dirigé par Jordan Bardella, le Brexiter Nigel Farage, etc. Côté polonais, l’actuel ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski, issu de la libérale coalition du Premier ministre Tusk, et en tournée diplomatique à Washington (où il a rencontré Marco Rubio), était aussi présent à la CPAC, la Pologne y exposant un drone iranien utilisé par les Russes en Ukraine. La délégation polonaise a été acclamée notamment pour ses dépenses de défense (5 % de son PIB).

Bien évidemment, tout le folklore MAGA était mobilisé : le bus de Donald Trump, tagué de milliers de commentaires de soutien, des hommes et des femmes parés du drapeau américain, habillés en statue de la liberté ou en pères fondateurs, les fameuses casquettes rouges mais également toute une panoplie de vêtements scintillants, pins, bijoux et autres babioles à l’effigie de leur héros.

Sous le vernis carnavalesque « bon enfant », le rendez-vous était très politique.

Durant la seule première journée de la Convention, les trois grands visages du trumpisme se sont succédé à l’estrade face à des milliers de supporters survoltés  : J.D. Vance, le vice-président, incarnation du trumpisme intellectuel et bien calibré ; Elon Musk, le milliardaire innovateur devenu conseiller de Trump, incarnation du trumpisme libertarien, celui des entrepreneurs qui souhaitent dépecer l’Etat, ses régulations et ses dépenses sociales ; et Steve Bannon, l’incarnation du trumpisme militant, nationaliste et religieux, prêt à la violence.

En quelques mois, J.D. Vance est devenue la figure majeure du « trumpisme de gouvernement », fondé sur un socle idéologique solide : la réinvention d’un conservatisme populaire. Son image de marque s’est construite sur ses origines ouvrières et son livre, Hillbilly Elegy, largement autobiographique, est devenu une œuvre de référence pour tous ceux qui veulent célébrer le retour aux racines prolétaires de la droite américaine.

En quelques mois, J.D. Vance est devenue la figure majeure du « trumpisme de gouvernement ».

Marlène Laruelle

Intellectuellement, Vance a été formé par les grands courants qui nourrissent l’esprit du mouvement MAGA : d’un côté les penseurs dits post-libéraux ou illibéraux (Patrick Deneen, Sohrab Armani…) qui ont théorisé ce qu’ils voient comme l’échec du libéralisme, de l’autre le techno-futurisme — en particulier le transhumanisme ou l’humanité « augmentée » par la machine et l’IA — et les « Lumières Noires » représentées par des personnalités comme Peter Thiel ou Curtis Yarvin

Lors de son intervention, Vance s’est réjoui de l’onde de choc provoquée par son discours de Munich, avec le soutien bruyant de la salle, heureuse de pouvoir se moquer de l’Union européenne, et s’est félicité des succès accomplis en seulement un mois de présidence. Son message était sans appel  : son gouvernement a quatre ans pour démontrer au peuple américain qu’une vision du monde conservatrice est plus à même d’apporter prospérité et stabilité face à des élites libérales qui poussent la civilisation occidentale à la perdition.

Bien échaudée par le charisme de Vance et les discours de plusieurs autres figures clés de l’administration trumpienne, l’excitation de salle a atteint son comble lorsqu’Elon Musk a été annoncé comme visiteur surprise. La politique et la pop culture fusionnent  : une salle électrique a accueilli le milliardaire people, redoublant d’exaltation lorsque le président argentin Javier Milei a surgi avec une tronçonneuse pour l’offrir à Musk. Une scène digne des combats de catch américains et de leurs mises en scène carnavalesques.

Musk avait d’évidentes difficultés à s’exprimer de manière ordonnée et semblait peu à même de donner des chiffres précis sur le DOGE, le «  département de l’efficacité gouvernementale  » qu’il dirige et dont le but est de «  dégraisser le mammouth  », pour reprendre une formule de Claude Allègre à propos de l’Éducation nationale en France. Mais tout cela est secondaire  : son personnage de « Dark MAGA », tout en noir, mal à l’aise physiquement, ponctué de rires gênés et de références à la culture meme, n’a pas besoin d’être intellectuellement cohérent. Le message était là, martelé à chaque phrase  : l’administration trumpienne va faire fondre les dépenses fédérales qui avaient explosé sous Obama et Biden et redistribuer l’argent au peuple américain.

Musk avait d’évidentes difficultés à s’exprimer de manière ordonnée et semblait peu à même de donner des chiffres précis sur le DOGE.

Marlène Laruelle

Son intervention à la Convention était focalisée sur DOGE — on n’aura donc pas entendu le Musk de X et de ses interférences en soutien aux extrêmes droites européennes. Ce projet libertarien d’une dérégulation de l’économie et d’un État modeste est renforcé par la capacité de Musk à incarner les grands mythes de l’identité nationale américaine : il se pose en effet en continuateur direct des pères fondateurs du capitalisme américain — les Vanderbilt, Rockfeller, Carnegie, J.P Morgan et autres — et ses utopies technologiques dignes de la science-fiction renouent avec la célébration américaine du productivisme et de l’optimisme. Il incarne donc à la fois le libertarianisme anti-État et le techno-futurisme comme projet d’avenir, redorant le blason d’une Amérique mise à mal dans ses mythes fondateurs.

On aurait pu penser qu’après le moment de catharsis provoqué par Musk, l’ambiance de la salle allait retomber. C’était sans compter sur les qualités de tribun exceptionnelles de Steve Bannon. Ancien directeur du média emblématique de l’Alt-Right, Breitbart News, pétri de références venues de la culture fasciste et de la Nouvelle Droite, et conseiller de Donald Trump durant les premiers mois de son premier mandat, il est dorénavant auréolé de ses autre mois passés en prison dans l’affaire de l’insurrection du Capitol du 6 janvier 2021. 

Son discours était bien loin de celui de Musk.

Les trois différents courants sont d’ores et déjà en tension mais ces oppositions de style ne doivent pas cacher l’unité du projet politique

Marlène Laruelle

Très maîtrisé, dans un style inspiré des télévangélistes américains, empli de références religieuses et mystiques, l’activiste a célébré Donald Trump comme envoyé par la Providence pour sauver le peuple américain. Il s’est longuement étendu sur la libération des « JSixters », les insurgés du 6 janvier, tous graciés par Trump le premier jour de son investiture. Ponctué de vocabulaire militaire — « défaite », « victoire », « ne pas se rendre », « recharger son fusil », « retourner au combat », etc… — son discours était rythmé par la répétition du fameux « fight, fight, fight », devenu le symbole de Trump poing levé après la tentative d’assassinat du 13 juillet à Butler en Pennsylvanie. Il s’est conclu par un salut fasciste, esquissé rapidement mais sans ambiguïté, suivi de plusieurs gestes de salut militaires plus classiques, sous des applaudissements tonitruants.

Vance, Musk, Bannon : conservatisme bon teint ; libertarianisme techno-futuriste ; national-populisme fascisant.

Ces différents courants sont d’ores et déjà en tension — Bannon et Musk se détestent et ne se privent pas de le faire savoir — mais ces oppositions de style ne doivent pas cacher l’unité du projet politique

Marlène Laruelle

Trois versions du trumpisme, mixant respectabilité, extrémisme et pop culture, toutes poussées par une même dynamique de pouvoir et unifiées par leur allégeance à un leader commun, dans un mixte postmoderne détonant, qui fait exploser les normes de la politique. 

Ces différents courants sont d’ores et déjà en tension — Bannon et Musk se détestent et ne se privent pas de le faire savoir — mais ces oppositions de style ne doivent pas cacher l’unité du projet politique. 

La révolution illibérale est en cours. Elle est portée par l’accélerationnisme, l’idée que la vitesse est un élément majeur de la transformation politique et institutionnelle. À la CPAC de Washington, plus de doute possible : l’ancien monde est mort et les oppositions au trumpisme vont devoir se réinventer dans un nouveau contexte.