Doctrines de la Russie de Poutine

La Russie face à l’effet Trump : l’aggiornamento de Sergueï Lavrov

Pour comprendre comment la Russie se prépare à la présidence Trump, il faut étudier de près les mots du ministre des Affaires étrangères de Poutine, prononcés lors d’une longue conférence de presse ce mardi.

Nous le traduisons.

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Le Grand Continent
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© Mikhail Tereshchenko/TASS/SIPA USA

Le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a animé une longue conférence de presse mardi 14 janvier, consacrée au bilan de l’année 2024. Au cours de cet échange, il s’est exprimé sur les implications du retour de Donald Trump pour les intérêts russes, sur les transformations en cours au Moyen-Orient, ainsi que sur la position de Moscou concernant un éventuel accord de cessez-le-feu en Ukraine.

S’il affirme que la Russie attend que l’équipe de Trump précise ses positions sur les affaires internationales, Sergueï Lavrov se félicite toutefois du fait que Donald Trump est le premier dirigeant occidental à reconnaître que l’OTAN avait menti sur sa promesse de ne pas s’étendre vers l’Est, en provoquant la guerre en Ukraine.

En prenant position sur la doctrine impériale de Mar-a-Lago, le ministre des Affaires étrangères a conseillé aux États-Unis et au Danemark d’écouter les résidents du Groenland, « à l’image de ce que la Russie a fait avec ceux de la Crimée, du Donbass et de la Novorossiya ». 

Lavrov a précisé qu’aucune proposition de rencontre entre Trump et Vladimir Poutine n’avait été reçue de l’équipe de l’ancien président américain pour le moment. Sur l’Ukraine, il a déclaré que la Russie était prête à discuter de garanties de sécurité pour « le pays actuellement appelé Ukraine » ou pour les parties de celui-ci dont le statut reste à définir, contrairement à la Crimée et au Donbass.

Cette prise de parole est à lire en parallèle avec celle du conseiller de Vladimir Poutine, Nikolaï Patrushev

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Mesdames et messieurs,

Je souhaite à toutes les personnes ici présentes un joyeux Nouvel An et un joyeux Noël à ceux qui le célèbrent. Je félicite également tous ceux qui, en ces jours comme toujours, gardent leur sens de l’humour face à la vie, je souhaite un joyeux Vieux Nouvel An, qui nous est parvenu hier et qui a certainement aussi apporté beaucoup d’événements joyeux avec la « prose de la vie », dont on ne peut s’échapper et dont nous parlerons principalement aujourd’hui.

Les évaluations fondamentales de la situation internationale de ces dernières années, de nos actions, de notre orientation et des objectifs de notre travail sur la scène internationale ont été présentées en détail par le Président russe Vladimir Poutine lors de sa grande conférence de presse du 19 décembre 2024. Avant cela, il abordait régulièrement les questions internationales dans ses autres interventions, notamment lors de la réunion du club de discussion Valdaï et à d’autres occasions. Je ne m’attarderai pas en détail sur les événements qui ont rempli la vie internationale et constitué le fond de notre travail et de nos initiatives.

Je rappelle, et nous en parlons depuis longtemps, que l’étape historique actuelle représente une période (peut-être même une époque) de confrontation entre ceux qui défendent les principes fondamentaux du droit international (et de l’ordre établi après la Victoire sur le nazisme et le militarisme japonais lors de la Seconde Guerre mondiale), principes établis, ancrés et consacrés dans le document juridique international le plus important (je fais allusion à la Charte de l’ONU), et ceux que cette Charte ne satisfait plus, qui après la fin de la guerre froide ont décidé que « l’affaire est close », que le principal concurrent, à savoir l’Union soviétique et le camp socialiste qui l’accompagnait, était éliminé pour toujours. Ils ont décidé que désormais et à l’avenir, ils pouvaient se référer non pas à la Charte de l’ONU, mais à la volonté qui mûrit au sein de l’Occident politique, qui inclut les alliés des États-Unis d’Asie (Japon, Australie, Nouvelle-Zélande, Corée du Sud). Nous les appelons l’Occident politique, l’Occident collectif. Ayant senti qu’ils avaient « gagné » la guerre froide, ils ont décidé qu’à l’avenir, aucun accord avec un concurrent fort, comme l’était l’URSS, n’était plus nécessaire, et qu’ils résoudraient toutes les questions de manière autonome, tandis que les autres recevraient des « ordres d’en haut », comme fonctionnait le système du parti en Union soviétique (Politburo, Comité central, comité régional, comité de district, etc.).

À cette époque, la Chine n’avait pas encore atteint les succès colossaux dans le développement économique et son influence politique que nous observons aujourd’hui, donc l’Occident ne rencontrait pas de résistance sérieuse. Le Président Vladimir Poutine a parlé à plusieurs reprises de manière détaillée et convaincante, notamment en expliquant les véritables causes premières du début de l’opération militaire spéciale en Ukraine, que nous étions obligés de repousser une attaque, une guerre, commencée contre nous par ce même Occident collectif avec l’objectif principal de supprimer un autre concurrent, que la Russie s’est révélée être à nouveau sur la scène internationale. Je ne vais pas énumérer ces raisons en détail. Leur objectif principal est d’affaiblir notre pays sur le plan géopolitique, en créant non pas quelque part au-delà des océans, mais directement à nos frontières, sur des territoires historiquement russes, établis et développés, aménagés par les tsars russes et leurs compagnons, des menaces militaires directes dans une tentative de saper notre potentiel stratégique et de le dévaluer au maximum. La deuxième raison est également liée à l’histoire de ces terres. Seulement nous ne parlons pas des terres, mais des gens qui ont vécu pendant des siècles sur ces terres, les ont développées « à partir de rien », ont construit des villes, des usines, des ports. Le régime ukrainien, arrivé au pouvoir après un coup d’État anticonstitutionnel, a simplement déclarés ces gens « terroristes ». Et quand ils ont refusé de l’accepter, il a mené une « offensive » totale contre tout ce qui était russe, ce qui pendant de longs siècles constituait l’essence des territoires où les gens ont refusé d’obéir aux nouveaux nazis.

Nous observons maintenant le point culminant de cette « bataille ». Je suis sûr qu’il y aura des questions à ce sujet, donc je n’entrerai pas dans les détails. Je voudrais souligner encore une fois (comme nous disions à l’époque soviétique dans les établissements d’enseignement) les principales contradictions de la période historique actuelle — entre ceux qui sont pour la multipolarité, pour la Charte de l’ONU, pour le principe d’égalité souveraine des États, qui exige de tous ceux qui l’ont ratifiée de ne pas imposer leur volonté mais de prouver leur bien-fondé et de chercher un équilibre des intérêts, de négocier, et pour tous les autres principes qu’elle contient. Ils fournissent la base juridique internationale du caractère équitable du système qu’on appelle communément de Yalta-Potsdam. Beaucoup en parlent maintenant, y compris nos politologues, comme d’une époque révolue. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette évaluation. Le sens juridique international du système de Yalta-Potsdam ne nécessite aucune « réparation », c’est la Charte de l’ONU. Tout le monde doit l’appliquer. Et l’appliquer non pas sélectivement, comme un menu (je choisirai du poisson aujourd’hui, et demain quelque chose de plus fort), mais dans son intégralité. D’autant plus que toutes les interconnexions entre les principes de la Charte de l’ONU ont déjà été unanimement définies dans la Déclaration spéciale relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations unies. Et personne ne s’y est opposé.

Je répète que l’autre camp, qui s’oppose aujourd’hui à la multipolarité et au mouvement vers la multipolarité, part du principe qu’après la fin de la guerre froide, la Charte ne lui est plus « applicable », qu’il a sa propre charte. Et avec leur « charte occidentale », qu’ils appellent « ordre mondial fondé sur des règles » — bien que personne ne les ait vues —, ils s’immiscent dans chaque monastère, mosquée, temple bouddhiste, synagogue. C’est là que nous voyons les principales contradictions.

Le désir de se proclamer arbitres des destins après la fin de la guerre froide et la dissolution de l’Union soviétique conserve maintenant une inertie colossale. Cela me surprend et m’inquiète un peu. Car tout politique sensé doit comprendre que ces 30-35 dernières années, les temps ont radicalement changé. L’opposition à la dictature occidentale s’est rétablie, non plus sous la forme de l’URSS, mais sous celle des nouvelles économies émergentes, des centres financiers en Chine, en Inde, dans l’Asean, dans le monde arabe, dans la CELA. C’est aussi la nouvelle Russie avec ses alliés de l’Union économique eurasiatique, de la CEI, de l’OTSC. C’est aussi l’OCS, les BRICS, et de nombreuses autres associations en développement rapide et économiquement prospères dans toutes les régions, les pays du Sud global ou, plus justement, de la majorité mondiale. Il existe déjà une nouvelle réalité, des concurrents forts, désireux de rivaliser honnêtement dans l’économie, la finance, le sport. Mais l’Occident (du moins ses élites actuelles) ne peut plus surmonter cette inertie de sa « supériorité totale », de la « fin de l’histoire ». Ils « glissent » sur une pente descendante, essayant partout de « barrer la route » aux concurrents, y compris dans l’économie. Littéralement aujourd’hui, les États-Unis ont annoncé un nouveau paquet de sanctions dans le domaine des microprocesseurs d’intelligence artificielle, interdisant notamment leur importation dans les pays membres de l’OTAN et de l’Union européenne. J’ai la ferme conviction que les États-Unis ne veulent aucun concurrent dans aucun domaine, à commencer par l’énergie, où ils donnent sans hésiter leur feu vert pour commettre des actes terroristes visant à détruire la base du bien-être énergétique de l’Union, où ils incitent leurs clients ukrainiens à mettre maintenant hors service Turkish Stream après Nord Stream. Le rejet d’une concurrence loyale dans le domaine économique et l’utilisation de méthodes déloyales et agressives de suppression des concurrents se manifeste dans la politique de sanctions que les États-Unis et leurs alliés ont fait devenir la base de leurs actions sur la scène internationale, y compris envers la Russie, mais pas seulement. De nombreuses sanctions sont également imposées contre la Chine. Comme je l’ai déjà dit, ils imposent même des sanctions à leurs alliés sans sourciller, dès qu’apparaît la moindre crainte qu’ils produisent quelque chose quelque part moins cher et le promeuvent plus efficacement sur les marchés internationaux que ne le font les producteurs américains.

Le domaine du sport est une véritable épopée de la transformation de compétitions honnêtes en un service aux intérêts du pays qui s’est autoproclamé vainqueur en tout.

Si Donald Trump, en prenant ses fonctions de président, rend l’Amérique encore plus grande, il faudra regarder très attentivement par quelles méthodes cet objectif, proclamé par le Président Trump, sera atteint.

J’ai identifié ce que nous appelons la contradiction principale du moment présent. Je suis prêt à vous écouter et à réagir.

Ma question concerne ce que vous avez dit dans votre discours concernant le système de Yalta-Potsdam, sur le fait qu’il existe et qu’il est nécessaire d’en respecter les dispositions fondamentales. Mais que faire du fait que les acteurs mondiaux qui ont proclamé un « ordre mondial fondé sur des règles » ont admis qu’ils ne considèrent plus ce système comme pertinent pour eux ? Comment la Russie prévoit-elle de les maintenir dans ce système ?

Concernant le système de Yalta-Potsdam, je répète encore une fois qu’il n’a pas disparu. On dit maintenant qu’il est épuisé. Les politologues conseillent de chercher autre chose. De s’asseoir à nouveau à trois, quatre ou cinq et de mettre quelque chose sur papier, en tenant compte des nouveaux rapports de force.

Le système de Yalta-Potsdam a été initialement discuté, conçu et créé par la rédaction de la Charte de l’ONU par les puissances qui ont combattu contre le nazisme — l’URSS, les États-Unis, le Royaume-Uni. Lorsque les principes fondamentaux de l’ordre mondial d’après-guerre ont été convenus, les Français se sont joints. Puis, après la révolution en Chine, la République populaire de Chine est également devenue, après un certain temps, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Je suis profondément convaincu que la Charte de l’Organisation n’a besoin d’aucune amélioration en ce qui concerne les principes. Les principes d’égalité et d’autodétermination des peuples, d’égalité souveraine des États, de garantie de l’intégrité territoriale des États dont les gouvernements se comportent décemment, respectent les droits de toutes les nations habitant le pays en question et, de ce fait, représentent toute la population vivant sur leur territoire. On ne peut pas en dire autant du régime nazi de Kiev, arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’État il y a 11 ans. Il ne représentait ni les Criméens, ni les habitants du Donbass, ni le peuple de la Nouvelle-Russie dès la première seconde.

Tous ces principes sont justes. Nous sommes aussi pour la réforme de l’ONU. Mais il y a ceux qui disent que la plus grande injustice est le statut de membre permanent de certains pays au Conseil de sécurité avec un droit de veto. Nous avons expliqué à maintes reprises que c’est un mécanisme spécial. Il n’existait pas auparavant dans les structures précédentes que la communauté mondiale essayait de créer. Nulle part il n’y avait de telles structures où quelqu’un avait des droits spéciaux. La formation du mécanisme des membres permanents du Conseil de sécurité est devenue le résultat d’une leçon tirée de l’expérience de la Société des Nations, où s’appliquait le principe « un pays-une voix ». Cela ne permettait pas non seulement de donner des privilèges supplémentaires aux grandes puissances, mais ne permettait pas non plus aux pays plus grands, plus influents pour des raisons objectives, de réaliser leur responsabilité particulière. Ils ne ressentaient pas leur responsabilité pour le destin des systèmes qui étaient créés, y compris la Société des Nations.

Tout le reste dans la Charte, ce sont des principes absolument justes qui exigent une application non pas sélective mais globale.

Concernant la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Oui, elle est nécessaire. Les pays qui assument une responsabilité particulière dans l’économie mondiale, les finances, la politique, les configurations militaires, bien sûr, ne sont pas tous représentés au Conseil de sécurité de l’ONU. Nous avons dit à plusieurs reprises que des puissances comme l’Inde et le Brésil, selon tous les paramètres, ont depuis longtemps mérité une « résidence » permanente au Conseil de sécurité de l’ONU en même temps qu’une décision correspondante sur la représentation permanente africaine au Conseil de sécurité.

D’autre part, l’Occident essaie encore une fois de gâcher ce processus, d’assurer par tous les moyens, justes ou non, des positions dominantes pour lui-même. Déjà maintenant, il possède 6 sièges parmi les 15 membres permanents. Les Américains citent parmi leurs principaux candidats pour l’adhésion permanente au Conseil de sécurité l’Allemagne et le Japon, qui n’ont aucune voix indépendante dans la politique mondiale. Ils suivent aveuglément, docilement le sillage des États-Unis. Et quand Washington les lèse directement, ils n’osent pas piper mot. Comme n’a pas osé piper mot le chancelier Olaf Scholz après que les gazoducs Nord Stream ont été sabotés. Il a simplement détourné timidement et silencieusement les yeux.

La même chose s’applique au Japon, qui dépend entièrement des États-Unis. Ce n’est pas honnête. L’Occident possède déjà 6 sièges sur 15. Ça suffit. Il faut augmenter la représentation des pays en développement.

Quand nous aurons tous (après la réforme, pendant, dans le contexte, parallèlement à la réforme du Conseil de sécurité) fait comprendre à l’Occident qu’il n’est plus en mesure, comme à l’époque coloniale, d’imposer au monde entier pendant des siècles ses ordres, d’extraire les richesses des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, de vivre aux dépens des autres, et qu’il faut maintenant chercher un équilibre des intérêts, nous avons pour cela une excellente base, le fondement juridique international de l’ordre mondial de Yalta-Potsdam, la Charte de l’ONU. Il faut juste l’appliquer. Et pour cela, il faut comprendre qu’il n’est plus possible de gouverner le monde.

Le président serbe Aleksandar Vucic fait dernièrement des déclarations que certains experts interprètent comme une solidarisation avec les États-Unis. Comment de telles déclarations s’accordent-elles avec le caractère spécial des relations entre la Russie et la Serbie ?

Nous souhaitons que nos relations avec la Serbie reposent exclusivement sur les intérêts des peuples serbe et russe, sur les intérêts de nos États. Ces intérêts coïncident sur la grande majorité des questions. Ces relations sont riches en accords concrets, en projets, notamment dans le domaine de l’énergie, approuvés par les chefs d’État, au niveau des gouvernements et des entreprises. Il existe une production conjointe, notamment la société Industrie pétrolière de Serbie. L’accord de création de cette société stipule qu’elle ne peut en aucun cas être nationalisée. Dans la politique américaine, les démocrates ont ces manières de saboter à la dernière minute l’administration suivante, comme l’a fait Barack Obama trois semaines avant l’investiture de Donald Trump lors de son premier mandat, quand il a expulsé 120 employés russes (avec leurs familles) et volé en saisissant (ils ne nous y laissent toujours pas accéder) deux propriétés diplomatiques dotées d’une immunité. Cela nous a obligés à répondre et, bien sûr, n’a pas rendu le dossier russo-américain plus simple pour la nouvelle administration Trump.

De même maintenant, ils veulent simultanément « jouer un sale tour », comme on dit, aux Serbes et à l’administration Trump. Voilà qu’est arrivé je ne sais quel conseiller adjoint pour l’énergie, il était en conférence de presse conjointe avec le Président serbe Aleksandar Vucic, faisait la leçon, exigeait qu’il ne reste plus de capital russe dans l’Industrie pétrolière de Serbie et dans l’énergie serbe en général. Sinon, disait-il, ils bloqueraient toutes les possibilités d’accès aux marchés pour les produits serbes. C’était une intervention assez grossière. Mais c’est la marque de fabrique de l’administration américaine sortante.

Quand on ne t’a pas réélu et que ton équipe, qui voit l’Amérique d’une façon qui n’a pas été soutenue par la majorité des Américains, même d’un point de vue purement éthique, pas seulement politique mais par décence humaine, ne fais rien pendant ces trois mois apparus on ne sait d’où entre les élections et l’investiture et comprends que le peuple veut une autre politique. Non, ils vont absolument claquer la porte, faire en sorte que personne ne l’oublie.

Je répète qu’avec la Serbie, nous avons une histoire très riche de lutte commune contre le nazisme, pour le respect du droit des peuples à l’autodétermination. Nous nous soutenons mutuellement sur les questions politiques, dans les organisations internationales. Bien sûr, nous voyons qu’on tord les bras à la Serbie. Quand le Président Aleksandar Vucic dit depuis de longues années qu’ils ne dévieront pas de leur cap vers l’adhésion à l’Union européenne, et que pendant toutes ces années en réponse il entend qu’on les y attend, mais qu’il faut d’abord reconnaître l’indépendance du Kosovo (c’est-à-dire qu’on invite le peuple serbe et son président à s’humilier), et, deuxièmement, que les Serbes doivent bien sûr se joindre à toutes les sanctions de l’UE contre la Fédération de Russie. En même temps que l’invitation à l’auto-humiliation, on exige de trahir son allié. Le Président Aleksandar Vucic a dit maintes fois que c’était une politique inacceptable que les Européens tentaient d’imposer, et que les États-Unis encourageaient manifestement.

La situation, même d’un point de vue juridique, exige des décisions courageuses. On te dit que tu as un accord avec quelqu’un qui ne nous concerne pas, mais qui concerne notre désir de punir ton partenaire. Ils ajoutent que, désolé, tu seras aussi touché par ricochet, et très douloureusement.

C’est au dirigeant serbe de prendre la décision. Le vice-premier ministre serbe Aleksandar Vulin, qui représentait la Serbie au sommet des Brics à Kazan, s’est exprimé clairement sur ce sujet. Donc nous verrons.

Nous sommes en contact avec nos amis serbes. Nous avons demandé des consultations urgentes. Nous espérons obtenir une réaction très prochainement.

Il y a quelques jours, au Venezuela, a eu lieu l’investiture de Nicolas Maduro, le président légitimement élu. Cependant, son rival aux élections, Edmundo Gonzalez, se dit toujours vainqueur. Il est considéré comme tel par Washington et un certain nombre de pays d’Amérique latine où il a été accepté comme président élu, notamment en Argentine et en Uruguay. Comment évaluez-vous la situation ? Cela ne vous rappelle-t-il pas la situation de Juan Guaido après les élections précédentes ? Que souhaite Washington ?

L’Occident est enivré de sa « grandeur » (comme il le croit), son impunité et son droit autoproclamé à décider du sort de tous les peuples du monde. Cela ne se manifeste pas seulement en Amérique latine, pas seulement au Venezuela, pas seulement par rapport à Juan Guaido et Edmundo Gonzalez. Svetlana Tikhanovskaïa a également été proclamée par certains pays comme « représentante légale » de la Biélorussie. Du moins, c’est sous ce titre qu’elle est accueillie au Conseil de l’Europe et dans d’autres organisations occidentales.

Il s’agit de l’orgueil, du mépris envers le reste du monde. Il s’agit là encore d’une déclaration éhontée selon laquelle, soi-disant, lorsque nous disons « démocratie », cela ne signifie qu’une seule chose : « Je peux faire ce que je veux ». Le secrétaire d’État américain Antony Blinken (je l’ai déjà cité) a déclaré que ceux qui ne les écoutaient pas ne s’assiéraient pas à la table démocratique, mais seraient au « menu ». Il s’agit là d’une manifestation directe d’une telle politique. Et c’est ce qu’ils font : ils pensent qu’ils ont le droit de prendre des décisions sur les résultats des élections. Oui, le pays a le droit, pas une obligation. Les pays membres de l’OSCE ont le droit d’inviter des observateurs internationaux. Il ne s’agit pas du tout du BIDDH. Il peut s’agir d’associations parlementaires de n’importe quel pays ou d’organisations.

Je ne décrirai même pas comment ils ont réagi aux élections en Moldavie, comment tout a été organisé là-bas pour empêcher un demi-million de Moldaves en Russie de voter, comment tout a été fait pour que quelques Moldaves travaillant en Occident aient la possibilité de voter calmement sans faire la queue pour celui qu’on leur avait dit, pour la « présidente » Maia Sandu.

Regardez comme ils maltraitent le peuple géorgien. Ils nous ont accusés d’avoir « mis en scène quelque chose » là-bas. Les observateurs de l’OSCE n’ont constaté aucune violation majeure. Cette formule signifie que tout a été fait correctement, légitimement. Mais cela ne leur plait pas.

C’est une honte. Peut-être le « président » Edmundo Gonzalez, comme le « président » Juan Guaido, suivront l’exemple de l’ancienne présidente géorgienne Salomé Zourabichvili ? Elle a déclaré fermement deux jours avant l’investiture du nouveau président qu’elle n’irait nulle part et qu’elle, en tant que seule source légitime du pouvoir en Géorgie, resterait dans ce palais et « donnerait » des ordres. Mais le lendemain matin, elle est partie et a trouvé un emploi dans un groupe de réflexion en sciences politiques.

Il est difficile de commenter ce sujet. C’est de la pure hypocrisie, de la dictature, un manque de respect envers les gens et une surestimation colossale de ses propres capacités intellectuelles et autres. Cela passera avec le temps. Mais il faut éduquer ces gens.

Récemment, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a déclaré que, suivant les directives stratégiques des deux chefs d’État, les relations sino-russes devenaient de jour en jour plus matures, stables, indépendantes et fortes, et constituaient un modèle d’échanges amicaux entre les deux grandes puissances et pays voisins. Que pensez-vous de cela ? Selon vous, quel est le secret du développement stable de nos relations bilatérales ? Qu’attendez-vous de la coopération bilatérale en 2025 ?

Je partage pleinement ces évaluations des relations entre la Russie et la Chine, exprimées par mon bon ami de longue date Wang Yi. Nous nous rencontrons plusieurs fois par an. Ces rencontres sont très utiles et aident à parvenir à des accords concrets dans l’accomplissement des objectifs convenus par le Président russe Vladimir Poutine et le Président chinois Xi Jinping sur les questions de politique étrangère et notre coordination sur la scène internationale.

Il ne fait aucun doute que le lien russo-chinois est l’un des principaux facteurs stabilisants de la vie internationale moderne et des processus en cours, notamment dans le but d’intensifier la confrontation et l’hostilité dans les affaires internationales, ce que nos voisins du Nord cherchent à faire. L’Alliance atlantique sous la direction des États-Unis cherche toujours à semer la discorde, que ce soit en Europe, dans le détroit de Taïwan, dans la mer de Chine méridionale ou (comme on dit) dans la région Indo-Pacifique, que ce soit au Moyen-Orient ou en Afrique.

Pour les États-Unis (ils ont des centaines de bases militaires partout), il n’est pas difficile d’organiser une bisbille. Mais ces procédés sont évidents : créer des facteurs conflictuels et déstabilisateurs partout, puis observer comment les pays qui revendiquaient une influence dans une région ou une autre, à cause de ces crises et conflits, dépensent de l’argent, de l’attention et du temps non pas pour le développement, mais pour résoudre ces crises, pendant que Washington en tire de plus en plus d’avantages. Ils l’ont fait pendant la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale. Ils ont désormais réussi à transférer le fardeau principal et lourd de la guerre contre la Russie aux mains de l’Ukraine sur l’Union européenne. Et l’Union européenne dans sa majorité, y compris les dirigeants de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, garde le silence. Certains se plaignent, mais surtout dans l’opposition : AfD, Alliance Sahra Wagenknecht, en France il y a le Front national.

L’opposition demande pourquoi ils dépensent autant d’argent alors que la pauvreté augmente, que la désindustrialisation se produit et que l’industrie fuit vers les États-Unis — parce que l’Amérique a fait en sorte que l’énergie y coûte quatre fois moins cher et que les impôts sont moins élevés.

Ils ont brûlé presque toute la Californie. Les dommages s’élèvent à 250 milliards de dollars, soit plus que ce qu’ils ont fourni à l’Ukraine, mais les chiffres sont comparables. Nous voyons et avons vu lors de divers événements internationaux (l’APEC s’est tenue à San Francisco) que les États-Unis ont de nombreux problèmes — la pauvreté est partout si vous quittez les autoroutes centrales. Alors, lorsque la Chine et la Russie prônent un dialogue égal et honnête avec Washington, cela signifie avant tout que nous défendons les principes de communication internationale inscrits dans la Charte des Nations unies.

Après la défaite du fascisme allemand en Europe et du militarisme japonais en Extrême-Orient pendant la Seconde Guerre mondiale, nos dirigeants sont convenus de célébrer conjointement ces deux grands événements : le 80ème anniversaire de la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale en Europe et le 80ème anniversaire de la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale en Extrême-Orient.

Je suis sûr que ce seront des événements passionnants. Ils sont d’une importance colossale pour rappeler à tous, aux enfants et surtout à la plus jeune génération, à quel prix la paix a été établie, et pour continuer à faire face catégoriquement aux tentatives de réécrire l’histoire, de faire porter la responsabilité égale aux nazis et à ceux qui ont libéré l’Europe et l’Extrême-Orient du militarisme japonais.

Il s’agit d’un élément important qui renforce le partenariat global et l’interaction stratégique russo-chinois. Je crois que le secret du succès est que nous avons une histoire commune. Nous ne renonçons pas à cette histoire. Nous (ni la Russie ni la Chine), contrairement à l’Occident, n’avons jamais renoncé aux obligations que nous avons prises, y compris celles inscrites dans la Charte des Nations unies. Il ne déclarera pas qu’il ne les considère plus comme des obligations, mais dans la pratique il fait tout pour ne pas les respecter, mais pour suivre ses propres plans égoïstes.

C’est pourquoi les structures créées sur la base du partenariat et des initiatives conjoints russo-chinois font partie des associations d’un nouveau type, où il n’y a pas de mentalité de maître-esclave.

Il s’agit de l’OCS, qui développe des liens avec l’Union économique eurasiatique. Cette dernière harmonise étroitement ses plans d’intégration avec le projet chinois Nouvelle route de la soie. Il s’agit des Brics, qui sont devenus encore plus forts après le sommet de Kazan. L’Indonésie, que nous avons activement soutenue pendant la présidence russe, en est devenue membre à part entière. Huit nouveaux pays sont devenus États partenaires et une coopération étroite se développe entre l’OCS et l’Asean, ainsi qu’avec de nombreuses autres associations.

Tout cela se déroule sur la base du consensus. Mais le tandem russo-chinois est capable de faire avancer tous ces processus de manière assez efficace avec le soutien de tous les autres participants. L’importance internationale de notre coopération, de notre partenariat et de nos projets d’avenir est énorme. Je suis convaincu que ces plans seront réalisés. Nous ne voulons être contre personne. Nous ne souhaitons qu’une seule chose : que tous les pays de notre planète, y compris l’Occident collectif dirigé par les États-Unis, mènent leurs affaires dans le respect des intérêts de tous leurs partenaires. C’est la position commune de Moscou et de Pékin.

Nous voyons qu’on contraint l’Arménie de suivre le mauvais chemin destructeur qui, je n’ai pas peur de le dire, devient un obstacle à son existence même. Tout cela se fait au détriment des relations russo-arméniennes séculaires et au profit de l’Occident. Nous savons que l’Arménie a bloqué sa participation à l’OTSC. Nous savons que le gouvernement arménien ignore un certain nombre d’événements qui se déroulent sur la plateforme russe. De plus, tout récemment, Erevan (le gouvernement) a commencé à entraîner l’Arménie dans l’Union européenne. Nous avons appris qu’un référendum sur l’adhésion à l’Union aurait lieu. Aujourd’hui, nous avons appris que l’Arménie allait signer un document de partenariat stratégique avec les États-Unis. Tout cela se déroule sur fond de menaces bien réelles de la part de nos voisins et de risques croissants d’une nouvelle guerre. Comment les autorités russes traitent la situation en Arménie ? Comment voyez-vous l’évolution des événements ?

Ma deuxième question concerne le 80ème anniversaire de la Grande Victoire, dont vous avez déjà parlé. C’est une victoire commune. Nous connaissons la contribution du peuple soviétique, y compris du peuple arménien, à cette victoire. Elle était importante et de grande envergure. Êtes-vous d’accord pour dire que le souvenir de cette victoire est l’un des fondements sur lesquels doit se construire l’alliance stratégique entre l’Arménie et la Russie ?

L’association non gouvernementale Eurasia, dont je suis membre du conseil d’administration, travaille activement depuis sept mois dans l’espace eurasien. Nous défendons activement la préservation de la mémoire historique et défendons les valeurs traditionnelles. Je peux dire avec une certitude absolue que notre travail reçoit un large écho auprès de la jeunesse. Ainsi, en octobre 2024, nous avons organisé un événement à grande échelle à Erevan, auquel ont participé plus d’un millier d’étudiants arméniens, où nous avons non seulement félicité Erevan pour la fête, mais avons également rendu hommage à la mémoire de la victoire dans la Grande Guerre patriotique, déposant des fleurs à la Flamme éternelle.

Pour répondre à la deuxième question je voudrais souligner qu’il s’agit d’un sujet sacré pour tous les peuples, en premier lieu de l’Union soviétique, qui ont été soumis aux tentatives de génocide des envahisseurs nazis, et pour tous ceux qui, soit dans le cadre des unités de l’armée de leur pays, soit dans des détachements de partisans, le mouvement de résistance, luttaient pour la justice et la vérité contre les nazis et un grand nombre de pays européens que les nazis allemands ont mis sous les armes. Des Espagnols et des Français ont participé au siège de Leningrad et à de nombreuses autres actions criminelles du régime nazi.

Nous ne l’avons pas oublié. Il s’agit d’un parallèle. Ils s’imposent constamment. Napoléon a conquis l’Europe et a armé tout le monde pour vaincre l’Empire russe. Il n’y avait pas que des Français là-bas. C’est la même chose avec l’Allemagne hitlérienne. Des dizaines de pays occupés par les Allemands ont envoyé leurs troupes pour détruire l’URSS.

Le président américain Joe Biden, s’exprimant hier avec un rapport sur la politique étrangère, a déclaré qu’ils avaient réussi à renforcer l’OTAN et ses partisans, soi-disant, 50 pays auraient été mis sous les armes pour « aider » l’Ukraine, mais en réalité, pour lutter contre la Russie aux mains de l’Ukraine.

L’histoire se répète. Partout il y a des éléments d’un sentiment de supériorité personnelle et un désir de mettre en œuvre ce qu’on appelle aujourd’hui le bonapartisme. Pour Adolf Hitler, il s’agissait déjà du nazisme directement. Et le même nazisme fournit aujourd’hui des bannières à ceux qui, sous ces bannières, veulent une fois de plus tenter de détruire notre pays. C’est pourquoi ces anniversaires sont sacrés.

Ce que fait le public, y compris votre organisation, en plus des actions des États et des gouvernements, mérite, à mon avis, les plus grands éloges.

Je suis au courant de votre travail en Arménie, et pas seulement à Erevan, mais aussi dans les villes et les villages. Notre ambassade coopère activement dans les domaines où nous pouvons unir nos efforts, je parle de l’organisation de la marche du Régiment immortel et d’événements tels que le Jardin de la Mémoire et la Dictée de la Victoire. C’est important pour que les jeunes se familiarisent avec ces valeurs sans exagération éternelles.

Nos diplomates rencontrent les vétérans arméniens, prennent soin des lieux de sépulture et entretiennent les monuments commémoratifs. Il ne fait aucun doute que les peuples de Russie et d’Arménie sont des peuples amis et fraternels, et que les relations mutuelles seront finalement fondées sur le sentiment d’amitié.

Quant aux relations actuelles au niveau officiel, elles ne sont pas simples. Vous avez mentionné certains faits que nous avons déjà commentés.

Par exemple, lorsqu’il a été annoncé que le gouvernement avait décidé de lancer le processus d’adhésion à l’Union. Le vice-président du gouvernement russe Alexeï Overcthouk, une personne expérimentée chargée de l’Union économique eurasiatique, son expansion et son développement, a déclaré franchement que c’étaient des choses incompatibles. Il s’agit de deux zones de libre-échange différentes, de deux systèmes différents de réduction (ou d’exemption) des taxes et des taux. Ils ne coïncident pas.

Je voudrais rappeler qu’en 2013, après nos rappels répétés, le président ukrainien de l’époque, Viktor Ianoukovitch, avait attiré l’attention sur le fait que les négociations avec l’Union européenne sur l’association de l’Ukraine à l’Union, qui étaient en cours depuis de nombreuses années à cette époque atteignaient des paramètres qui, s’ils étaient approuvés, seraient en contradiction directe avec les obligations dans le cadre de la zone de libre-échange de la CEI. L’Ukraine y a participé et bénéficiait activement de ses avantages — dans la zone de libre-échange de la CEI il n’y avait pratiquement pas de taux internes. L’Ukraine souhaitait avoir les mêmes taux zéro avec l’Union européenne, avec laquelle la Russie et d’autres membres de la CEI, pour des raisons évidentes, avaient des barrières de protection assez sérieuses.

Lorsque nous avons rejoint l’Organisation mondiale du commerce, au prix de 17 années de négociations, nous avons obtenu une protection sérieuse pour toute une série de nos secteurs économiques et de nos services. Si l’Ukraine, qui n’a aucun tarif douanier avec la Russie, bénéficiait du même régime avec l’Union européenne, alors les marchandises européennes, qui, selon nos accords avec Bruxelles, étaient soumises à des droits de douane importants, entreraient gratuitement, sans aucun tarif, sur notre territoire. Nous avons expliqué cela aux Ukrainiens.

Le gouvernement de Viktor Ianoukovitch le comprenait. Ils ont compris que s’ils ne faisaient rien, nous créerions simplement une barrière aux importations ukrainiennes vers la Russie. Et ils en souffriraient, étant donné que la grande part des échanges commerciaux se faisait avec la CEI, et non avec l’Europe. L’Ukraine a demandé de reporter la signature de l’accord d’association de plusieurs mois afin de prendre une décision.

Nous avons proposé, en plus de cela, que la Russie, l’Ukraine et la Commission européenne s’assoient ensemble et examinent comment garantir que l’Ukraine reçoive des avantages supplémentaires de l’accord d’association avec l’Union, mais ne perde pas les avantages de la zone de libre-échange en la CEI.

Le président de la Commission européenne de l’époque, José Manuel Barroso, un homme aussi arrogant qu’il en a l’air, a déclaré que cela ne nous regardait pas. Qu’ils n’interféraient pas dans les relations de la Russie avec le Canada. Alors, la décision des dirigeants légitimes arméniens d’entamer le processus d’adhésion à toute structure internationale où ils sont les bienvenus est une décision souveraine. Mais peser le pour et le contre est aussi la responsabilité du gouvernement arménien, de ceux qui sont chargés du secteur économique.

Vous avez mentionné que l’Arménie avait bloqué sa participation à l’OTSC. Ils ne participent tout simplement pas aux événements. Mais pour être juste, ils ont officiellement déclaré que cela ne signifiait pas qu’ils bloquaient les décisions où un consensus est nécessaire.

L’organisation fonctionne et travaille. À l’automne 2022, nous sommes convenus du déploiement d’une mission d’observation de l’OTSC équipée pour jouer un rôle dissuasif à la frontière. Mais nos amis arméniens ont alors dit (tout avait déjà été convenu, la décision était prête, mais ils ont refusé au dernier moment) qu’il leur était difficile de se mettre d’accord, étant donné qu’en septembre 2022, il y a eu trois jours d’affrontements à la frontière arméno-azerbaïdjanaise, l’OTSC n’est pas intervenue et « n’a pas défendu le territoire d’un allié ».

Le Président russe Vladimir Poutine a évoqué à plusieurs reprises ce sujet. Il n’y avait pas de frontière délimitée, et encore moins de démarcation. Jamais. Deux ou trois kilomètres dans un sens et dans l’autre. Oui, il y avait de telles fusillades à l’époque. Mais renoncer à une mission de l’OTSC, qui aurait été très efficace, était aussi une décision souveraine. Dans le même temps, une mission de l’Union européenne a été invitée sur place pour deux mois. Les Arméniens ont alors unilatéralement, sans consulter les Azerbaïdjanais, rendu permanent l’accord initial. Le Canada s’est ensuite joint à la mission. Il s’agit déjà d’un élément de la présence de l’OTAN. D’après nos informations, ces personnes s’intéressent en grande partie à des questions qui intéressent moins l’Arménie que divers syndicats occidentaux.

Hier, j’ai appris que le ministre des Affaires étrangères arménien Ararat Mirzoïan avait signé un accord de partenariat stratégique avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken. Il s’agit d’une décision souveraine de deux États. L’essentiel n’est pas ce que vous avez signé et comment cela s’appelle, mais ce qui en découle.

Nous avons également utilisé la terminologie de « partenariat stratégique » dans un certain nombre d’accords avec des pays occidentaux. Mais ces accords, tout en proclamant un partenariat stratégique, n’ont jamais exigé de l’un ou l’autre des participants qu’il agisse contre un pays tiers.

Nous n’avons jamais déclaré nulle part en temps de paix (la Seconde Guerre mondiale, la Grande Guerre patriotique sont une autre affaire) contre quiconque à l’époque moderne que nous étions des partenaires stratégiques qui devraient, soi-disant, se joindre à certaines sanctions, comme ils l’exigent de la Serbie.  Et ils exigeront la même chose de l’Arménie.

Mais notre dialogue continue. Le ministre des Affaires étrangères de l’Arménie, Ararat Mirzoïan, a été invité en Fédération de Russie. Il a accepté l’invitation. Nous l’attendons. J’espère que cette visite aura lieu bientôt.

Le retour de Donald Trump a ravivé les discussions sur un deal concernant l’Ukraine. Pourra-t-il réellement conclure ce deal, faire la paix ? Quelles concessions la Russie est-elle prête à faire pour parvenir à un accord ? Quelle est votre réaction au récent refus de Donald Trump d’exclure l’utilisation de la force militaire pour obtenir le Groenland ? Comment agirez-vous si Donald Trump procède ainsi ?

Si je comprends bien, il y a déjà des initiatives concrètes qui seront mises en œuvre immédiatement après l’investiture de Donald Trump. Du moins, ce que j’ai vu, ce sont des initiatives pour entamer des négociations avec le Danemark sur l’achat du Groenland.

En même temps, nous entendons les déclarations du Premier ministre du Groenland Mute Egede selon lesquelles les Groenlandais ont des relations particulières avec Copenhague, qu’ils ne veulent être ni Danois ni Américains, mais veulent être Groenlandais. Je pense que pour commencer, il faut écouter les Groenlandais.

Tout comme nous, étant voisins d’autres îles, péninsules et terres, avons écouté les habitants de la Crimée, du Donbass et de la Nouvelle-Russie, pour connaître leur attitude envers le régime arrivé au pouvoir après un coup d’État illégal, qui n’a pas été accepté par les habitants de la Crimée, de la Nouvelle-Russie et du Donbass.

Cela est en pleine conformité avec ce dont je parlais au début, à savoir le droit des nations à l’autodétermination. Dans les cas où une nation, faisant partie d’un État plus grand, considère qu’elle n’est pas à l’aise dans cet État et qu’elle veut s’autodéterminer conformément à la Charte de l’ONU, le grand État est obligé de ne pas s’y opposer, de ne pas y faire obstacle. Pas comme les Espagnols l’ont fait avec la Catalogne, pas comme les Britanniques le font avec l’Écosse. Si une nation en tant que partie d’un autre État manifeste une telle aspiration, elle peut exercer son droit.

Le droit international est inscrit dans la Charte de l’ONU et dans la Déclaration de l’Assemblée générale. Il y est dit que tous doivent respecter l’intégrité territoriale d’un État dont le gouvernement représente toute la population vivant sur le territoire correspondant. Si le Groenland considère que Copenhague ne représente pas ses intérêts et les intérêts de sa population, alors probablement que le droit à l’autodétermination entre en vigueur.

De la même manière que le droit à l’autodétermination a été la base juridique internationale du processus de décolonisation dans les années 1960-1970. À cette époque, les peuples africains autochtones ont compris que les colonisateurs qui les gouvernaient ne représentaient pas leurs intérêts, les intérêts de la population. Alors le droit des nations à l’autodétermination a été réalisé pour la première fois à grande échelle en pleine conformité avec la Charte de l’ONU, mais pas complètement. Aujourd’hui, il reste dans le monde 17 territoires non autonomes. Il existe le Comité spécial de la décolonisation de l’ONU qui se réunit chaque année et confirme la nécessité de mener à terme le processus de décolonisation. De nombreuses résolutions ont été adoptées concernant l’île de Mayotte, que les Français ne veulent pas rendre à l’État des Comores contrairement aux décisions de l’ONU. Il y a la décolonisation de Maurice et bien d’autres.

Néanmoins, le droit des nations à l’autodétermination existe. Il a été réalisé dans le cadre de la décolonisation et constitue la base juridique internationale de l’achèvement de ce processus (je parle des 17 territoires non autonomes).

Le droit des nations à l’autodétermination est à la base des décisions prises par les habitants de Crimée en 2014 et par les habitants de la Nouvelle-Russie et du Donbass en 2022. Tout comme les peuples africains ne voyaient pas dans les colonisateurs ceux qui représentaient leurs intérêts, de la même manière les Criméens, les habitants du Donbass et de la Nouvelle-Russie ne pouvaient pas voir dans les nazis arrivés au pouvoir en 2014 après un coup d’État des gens représentant leurs intérêts. Car ces nazis, après avoir pris le pouvoir, ont immédiatement annoncé qu’ils supprimeraient le statut de la langue russe en Ukraine. Et ils l’ont fait. Ils ont d’ailleurs adopté une loi interdisant la langue russe bien avant le début de l’opération militaire spéciale. En Occident, où tous sont obsédés par les droits de l’homme à tout bout de champ, personne n’a même levé le petit doigt ni dit un mot.

D’ailleurs, les droits de l’homme, c’est aussi la Charte de l’ONU. L’Article 1 stipule : tous doivent respecter les droits de l’homme sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion. La langue russe est totalement interdite, l’Église orthodoxe ukrainienne canonique est interdite. Personne ne prête attention à ces violations flagrantes de la Charte de l’ONU. Bien que l’Occident, en fasse toute une histoire avec les droits de l’homme pour n’importe quel motif n’ayant aucun rapport avec le bien-être de la population. Et ici, quand on a défiguré la vie quotidienne des gens et qu’on essaie d’exterminer toute leur histoire et leurs traditions, tous se taisent.

Quand Donald Trump, devenu président, aura définitivement formulé sa position sur le dossier ukrainien, nous l’étudierons. Tout ce qui se dit maintenant se fait dans le cadre de la préparation à l’investiture et aux affaires sérieuses. Comme l’a dit Donald Trump lui-même, dans le cadre de la préparation à l’entrée dans le bureau ovale.

Tout ce qui est discuté depuis un an comporte plusieurs aspects. Le fait même que les gens aient commencé à mentionner davantage les réalités sur le terrain mérite probablement d’être salué. Mike Waltz, qui, si je comprends bien, sera conseiller à la sécurité nationale, et le Président Donald Trump lui-même dans sa grande interview ont mentionné les causes premières du conflit dans la partie concernant l’intégration du régime de Kiev dans l’OTAN contrairement aux accords conclus dans le cadre des relations et accords soviéto- puis russo-américains, et dans le cadre de l’OSCE. Il y était inscrit par consensus au plus haut niveau, y compris par les présidents, dont le président Barack Obama en 2010, qu’aucun pays ou organisation dans l’espace de l’OSCE ne prétend à la domination, et qu’aucun pays ne renforcera sa sécurité aux dépens de la sécurité des autres. L’OTAN faisait précisément ce qu’elle avait promis de ne pas faire. Donald Trump l’a dit.

Pour la première fois de la bouche non seulement d’un dirigeant américain, mais de n’importe quel dirigeant occidental, ont été entendus des aveux honnêtes que les membres de l’OTAN mentaient quand ils signaient de nombreux documents avec notre pays et dans le cadre de l’OSCE. Cela n’était utilisé que comme couverture, un « papier », mais en réalité l’OTAN s’approchait au plus près de nos frontières, violant les accords sur les conditions selon lesquelles l’Allemagne de l’Est est devenue partie de la République fédérale, déplaçant l’infrastructure militaire au plus près de nos frontières, planifiant la création de bases militaires, y compris les bases navales en Crimée et sur la mer d’Azov. Tout cela est bien connu.

Le fait que cette cause première, enfin, après nos rappels de plusieurs mois, voire de deux ans, s’ancre dans le discours américain, c’est une bonne chose. Mais pour l’instant, ni dans le narratif ni dans aucun discours ne résonnent les droits des Russes, dont la langue, la culture, l’éducation, les médias et la religion canonique en Ukraine ont été interdits par la loi. Il ne pourra pas y avoir de discussions sérieuses si l’Occident prétend que c’est normal.

Quand l’administration sortante, en la personne du secrétaire d’État Antony Blinken et du conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, dit qu’ils sont sûrs que la « nouvelle Maison Blanche » poursuivra la politique de soutien à l’Ukraine, qu’est-ce que c’est ? Un testament pour continuer à exterminer tout ce qui est russe ? Ce n’est pas une chose si simple. C’est une chose très dangereuse. Cela a à voir avec le nazisme comme forme de mise en œuvre de la politique étrangère. Ou de l’éducation des nazis comme forme de réalisation de la politique étrangère contre un pays que les États-Unis veulent contenir et empêcher d’acquérir des avantages concurrentiels.

Nous attendrons des initiatives concrètes. Le Président Vladimir Poutine a dit à plusieurs reprises qu’il était prêt à organiser des rencontres. Mais il n’y a pas eu de propositions jusqu’à présent. Ensuite, le Président Donald Trump a dit que Vladimir Poutine souhaitait organiser des rencontres. Je pense qu’il faut se rencontrer, mais d’abord il faut « s’installer dans le bureau ovale ».

On assiste à une situation paradoxale en Europe. Je suis certain que la grande majorité de la population dans certains pays comme le mien (c’est-à-dire la Grèce), à Chypre, et ailleurs encore, n’est pas d’accord avec la politique menée par nos gouvernements. C’est-à-dire que la population est catégoriquement contre toute escalade militaire qui est préparée par certains. Malheureusement, c’est une situation paradoxale et une démocratie paradoxale, où nos gouvernements ne considèrent pas comme leur obligation de coordonner la politique étrangère avec leur propre peuple. Certains gouvernements nous disent même que la politique étrangère est déterminée par d’autres obligations. La Russie fait tout de même partie de ce continent européen commun. Quelle est votre prévision : reviendrons-nous un jour à la normalisation des relations sur notre continent commun ? Vous êtes probablement le diplomate le plus expérimenté au monde. Vous avez résolu ou tenté de résoudre, vous vous êtes impliqué dans le dossier chypriote. Ces jours-ci, on discute d’un nouveau cycle de ce processus complexe de négociations à Chypre. Avez-vous des attentes, des conseils possibles pour ceux qui s’en occuperont ?

Je commencerai par la deuxième question. J’ai effectivement travaillé sur le règlement chypriote lorsque je travaillais à New York. Chaque année, le président de Chypre venait à l’Assemblée générale de l’ONU. À cette occasion, il invitait les ambassadeurs des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, nous parlions de la mise en œuvre des principes inscrits dans les décisions du Conseil de sécurité. Nous parlions bien sûr aussi des échecs sur la voie de la résolution du problème chypriote.

La dernière tentative concrète a été le plan de Kofi Annan en 2004. À l’époque, mon bon ami (qu’il repose en paix) Kofi Annan, grand secrétaire général, a pris le risque, sur le conseil de ses assistants, de proposer un plan qui modifiait ne serait-ce qu’un peu la décision du Conseil de sécurité en faveur d’un affaiblissement du futur pouvoir central de l’éventuel État unifié. C’est-à-dire que les Chypriotes grecs auraient eu moins de pouvoirs.

Il y a eu un référendum. Il a rejeté ce plan. Depuis lors, il n’y a rien de plus concret. Je sais que nos voisins turcs disent directement que ce sont deux États égaux, que ce n’est plus possible autrement, qu’il faut négocier. Nous n’avons pas et ne pouvons pas avoir de recette « magique » que nous proposerions, et encore moins que nous imposerions. Les intérêts des deux peuples doivent être pris en compte. Auparavant, les pays membres du Conseil de sécurité étaient considérés comme les garants de ce processus. Ces derniers temps, si je comprends bien, y compris avec l’accord de Nicosie, ce quintet ne se réunit plus. Je soupçonne que la direction chypriote « travaille » avec les États-Unis.

Nous ne souhaitons qu’une chose : que les Chypriotes vivent comme ils le veulent, au nord comme au sud. Beaucoup de citoyens russes y vivent. Plus au sud bien sûr, mais plus de 10 000 vivent au nord. Nous assurons leur service consulaire. Nous n’y avons pas d’établissement consulaire permanent, comme certains tel que le Royaume-Uni, mais nous y avons organisé un service. Nous voulons que les Chypriotes décident comment ils veulent vivre à l’avenir.

Je comprends que les dirigeants actuels de Chypre ont des partenaires qui ne veulent pas simplement que les Chypriotes se décident rapidement, mais leur disent comment ils doivent se décider, y compris, par exemple, adhérer à l’OTAN, changer leur législation interne pour nuire aux Russes qui ont transféré de l’argent dans les banques de ce pays. En d’autres termes, tout comme on dit à la Serbie quel « prix » il faut payer pour l’adhésion à l’Union européenne, on dit à Chypre de rejoindre l’OTAN, qu’il n’y aura aucun problème, car tous seront alliés, et qu’avec le nord « tout ira bien ». Mais, dit-on, il faut faire en sorte qu’il y ait moins de Russes, que vous vous souveniez moins de l’histoire commune. Nous ne nous ingérons pas dans les affaires intérieures.

Je comprends que pour Chypre, c’est une question importante dont nous discutons maintenant, mais sur le plan géopolitique, la première partie de votre question sur la possibilité d’une normalisation des relations sur notre continent commun est beaucoup plus importante. C’est une expression clef importante — continent commun. Il s’appelle l’Eurasie. C’est le plus grand, le plus peuplé, probablement le continent le plus riche. Peut-être qu’il rivalise avec l’Afrique et le Groenland en termes de ressources naturelles.

Mais c’est un continent sur lequel il n’y a pas de structure continentale unique. En Amérique latine, il y a la Celac, la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes. En Afrique, il y a l’Union africaine. À côté de nombreuses unions subrégionales tant en Afrique qu’en Amérique latine, il existe des structures continentales. En Eurasie, il n’y a que des structures subrégionales, et il n’existe pas de « toit » unique qui rassemblerait tout le monde. Ce ne serait probablement pas mal d’essayer de le faire.

Vous avez demandé : est-il possible de revenir à des relations normales ? Il est clair qu’il y a plusieurs organisations dans la partie occidentale de notre continent commun, à savoir l’OSCE, l’OTAN, le Conseil de l’Europe, l’Union européenne. Les deux premières (l’OSCE et l’Alliance de l’Atlantique Nord) sont fondées sur le concept de sécurité euro-atlantique avec la participation de l’Amérique du Nord. L’Union européenne a été créée pour les Européens. Mais récemment, elle a signé un accord avec l’OTAN, selon lequel l’Union européenne, sur le plan militaire, si une guerre survient (Dieu nous en préserve), fera ce que l’Alliance lui dira. Pas seulement l’Union européenne. Ils ont déjà dit à la Suisse, allons, rejoignez le « Schengen militaire ». Au cas où l’OTAN aura besoin de traverser leur territoire en direction de la Fédération de Russie, alors supprimez toutes les procédures d’autorisation. Il y a le Conseil de l’Europe. Les Américains n’en sont pas membres pour des raisons évidentes (ils ne sont pas européens, ils y sont observateurs). Mais ce que fait maintenant le Conseil de l’Europe, y compris la création de tribunaux illégaux, de registres, d’un certain mécanisme de compensation pour punir la Russie — tout cela se fait sur décision des États-Unis.

L’OSCE, l’OTAN, et maintenant l’Union européenne, le Conseil de l’Europe et le Conseil des ministres des pays nordiques, qui sont maintenant tous membres de l’OTAN, ce sont toutes des structures euro-atlantiques, et non eurasiennes. Probablement que ceux qui veulent tenir l’Europe « en bride » souhaitent que cette structure euro-atlantique se maintienne et continue à dominer.

Récemment, ils ont compris que la partie centrale et orientale de l’Eurasie était une région beaucoup plus prometteuse du point de vue de l’économie et des infrastructures. Des projets d’infrastructure logistique d’envergure globale y sont réalisés. Que veulent maintenant l’OTAN et Washington ? Avant tout, que tout le continent eurasien fasse partie de la construction euro-atlantique. L’ancien secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg, peu avant son départ à la retraite bien méritée, a déclaré que la sécurité de l’Euro-Atlantique et de la région Indo-Pacifique était indivisible. C’est-à-dire que l’indivisibilité de la sécurité, qui avait été proclamée dès 1999 comme principe de l’OSCE, supposant qu’on ne peut pas se renforcer en affaiblissant les autres, au détriment des autres, a été retournée différemment. Maintenant, ils veulent que toute l’Eurasie se développe du point de vue militaro-politique selon les paramètres euro-atlantiques.

Dans la région Indo-Pacifique, il y a déjà AUKUS, les AP4 (Japon, Corée du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande) et le Quad (avec la participation de l’Inde). Les Américains veulent lui donner une dimension militaro-politique. Nos amis Indiens le comprennent parfaitement. Il y a déjà une intensification de l’armement de Taïwan. Ce ne sont même pas des tentatives, mais des actions pour impliquer les Philippines non pas dans le travail de l’Asean, mais dans le travail de ces alliances étroites américaines.

En parlant du détroit de Taïwan. Les Américains, les Européens, les Anglais, tous disent qu’ils respectent la position selon laquelle il n’existe qu’une seule Chine, la République populaire de Chine. Or ils ajoutent immédiatement qu’ils adhèrent à la position d’une seule Chine, mais que personne ne doit changer le statu quo. Et le statu quo, qu’est-ce que c’est ? Un Taïwan indépendant. C’est évident. La Chine a plusieurs fois indiqué à tous les « visiteurs » des États-Unis, qui se rendent régulièrement à Taïwan, que c’était inacceptable, tout comme recevoir des délégations taïwanaises lorsqu’elles voyagent à travers le monde (on les reçoit comme des personnalités d’État).

Le Président Vladimir Poutine, s’exprimant dans cette salle le 14 juin 2024, parlait de notre position sur le règlement ukrainien, consistant en la nécessité de clore définitivement la question de l’OTAN et de restaurer les droits linguistiques, religieux et autres des Russes, qui ont été légalement exterminés par le régime nazi de Vladimir Zelenski. Dans cette même salle, il parlait aussi de la nécessité de former une architecture eurasienne. Précisément eurasienne, qui sera, comme l’Union africaine, comme la Celac, ouverte à tous les pays du continent. Ces idées sont discutées depuis environ dix ans, lorsque lors du premier sommet Russie-Asean, Vladimir Poutine a lancé l’initiative de former un Grand Partenariat eurasien. Il existe déjà des accords correspondants entre l’OCS, l’Union économique eurasiatique, l’Asean. Nous travaillons maintenant aussi avec le Conseil de coopération des États arabes du Golfe.

Quand nous disons que ce partenariat économique, de transport et logistique doit être ouvert à tous les pays du continent (car dans ce cas, nous utilisons au maximum les avantages comparatifs donnés par Dieu et la géographie), bien sûr, nous pensons aussi à la partie occidentale du continent. Un tel intérêt se manifeste dans certains pays de la partie occidentale de l’Europe. Pour promouvoir l’idée du Grand Partenariat eurasien, nous utilisons l’établissement de liens, l’harmonisation des programmes des unions d’intégration existantes. Ce processus est en cours.

Dans ce même contexte se développent les relations dans le cadre de la réalisation du projet chinois des Nouvelles routes de la soie, le corridor de transport international Nord-Sud, la Route maritime du Nord, le golfe Persique, le port de Chittagong au Bangladesh, Mumbai… c’est un projet très prometteur. C’est ce que nous appelons le Grand Partenariat eurasien.

Quand un tel partenariat prendra suffisamment d’élan (tout plaide en sa faveur), ce sera simultanément la création de voies compétitives, plus efficaces pour les échanges économiques et une base matérielle pour l’architecture de sécurité eurasienne. Le dialogue à ce sujet a déjà commencé.

En octobre 2024 à Minsk s’est tenue la deuxième Conférence internationale sur la sécurité eurasienne, où étaient présents des membres des gouvernements de Serbie, de Hongrie (le Ministre des Relations économiques extérieures et des Affaires étrangères de Hongrie Péter Szijjarto y participait pour la deuxième fois consécutive), manifestant de l’intérêt pour ce concept. Les Biélorusses, en tant qu’hôtes et initiateurs de cette conférence, travaillent maintenant à la rendre régulière. Cette décision a déjà été prise. Nous avons soutenu leur initiative d’élaborer pour la prochaine session de cette conférence sur la sécurité eurasienne un projet de Charte eurasienne de la diversité et de la multipolarité au XXIe siècle.

Je considère qu’il est sensé de réfléchir au fait que le continent eurasien se développe en partant des intérêts de ses pays non pas dans une perspective atlantique ou pacifique ni dans aucune autre, mais en partant de ce qu’ont donné l’histoire et la nature. Nous nous en occuperons. Je souligne encore une fois que le processus est ouvert à tous les pays sans exception situés sur notre continent eurasien. Chypre est une île, mais vous êtes aussi invités.

Vous avez évoqué une éventuelle rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le président américain Donald Trump. Quel rôle peuvent jouer l’Union européenne et l’Allemagne dans d’éventuelles négociations pour résoudre le conflit ukrainien ?

La chancelière allemande de l’époque, Angela Merkel, et le président français, François Hollande, nous ont dit qu’ils étaient les garants de la mise en œuvre des accords de Minsk conclus entre la Russie et l’Ukraine, l’Allemagne et la France. Ils ont été élaborés dans la capitale biélorusse (où j’ai eu l’honneur d’être présent) pendant près de 20 heures. Les Allemands et les Français ont déclaré qu’il s’agissait d’un traité de paix entre Moscou et Kiev, et qu’ils en étaient les garants. Nous avons interprété le statut des participants différemment, mais telle était la position de l’Allemagne et de la France. Qu’ils nous ont « fait asseoir », que nous sommes parvenus à un accord et qu’ils en étaient les garants.

Nous (la partie russe) avons présenté ce document au Conseil de sécurité de l’ONU, qui l’a approuvé à l’unanimité et a exigé que ces accords soient mis en œuvre. Je n’énumérerai pas les centaines, les milliers de violations commises par le régime de Kiev, y compris les bombardements de sites civils, le blocus total des territoires qui ont refusé de reconnaître le coup d’État. Tout cela était régulièrement envoyé à l’ONU et à l’OSCE. Nous avons dit aux « garants » : allez, arrêtez cette honte. Ils ont dit que la Russie tirait également là-bas, aidant ces insurgés.

En décembre 2022, déjà à la retraite, Angela Merkel a déclaré que personne n’allait respecter ces accords — ni l’Allemagne, ni la France, ni le président ukrainien de l’époque, Porochenko, qui avaient signé ces documents. Ils auraient simplement eu besoin de gagner quelques années pour mieux préparer l’Ukraine à la guerre.

Il s’agit de savoir ce qu’est le système de Yalta-Potsdam inscrit dans la Charte des Nations unies. L’article 25 stipule que les décisions du Conseil de sécurité des Nations unies sont contraignantes pour tous les membres de l’Organisation. L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel a déclaré qu’elle n’avait pas besoin de respecter cet article. Et ce, bien qu’elle ait été l’une des parties à ce document, auquel était également jointe une déclaration de quatre pays (la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France), dans laquelle il s’agissait de « l’espace commun de Lisbonne à Vladivostok », que « nous construirons tout cela », que « la France et l’Allemagne aideront le Donbass à mettre en place des services bancaires mobiles », qu’elles « aideront à lever le blocus »  et « organiseront des négociations pour résoudre les problèmes de transport de gaz, aideront la Russie et l’Ukraine dans ce domaine ». Ils n’ont rien fait.

Avec tout mon respect pour l’histoire du peuple allemand, je crois que celui-ci a déjà apporté sa « contribution » par l’intermédiaire de l’administration de l’ancienne chancelière allemande. Le président russe Vladimir Poutine ne refuse jamais d’entrer en contact. Le chancelier allemand Olaf Scholz l’a appelé à plusieurs reprises. Ils ont aussi parlé récemment. Olaf Scholz était fier d’avoir accompli un tel « exploit ». Mais il y a eu aussi des conversations avec d’autres représentants de l’Union européenne. J’espère que le président ne me grondera pas trop, je ne dévoile pas de secrets. Mais au cours de cette conversation, Olaf Scholz n’a rien dit qu’il ne disait publiquement tous les deux jours : que la Russie doit quitter l’Ukraine, pas un mot sur les causes profondes de la crise, pas un mot sur la langue russe et les droits des Russes, que Vladimir Zelensky veut « s’attribuer ».

En fait, Vladimir Zelensky a déclaré en 2021, bien avant l’opération militaire spéciale, que si vous vous sentez comme un Russe en Ukraine, alors partez en Russie pour le bien de vos enfants. Et récemment, il a tout simplement utilisé des obscénités russes pour exprimer son attitude envers un certain nombre de casques bleus qui ne voulaient pas expulser les Russes vers les frontières de 1991. L’adéquation de cet homme est une question à part.

Plusieurs offrent leurs services. La Turquie était le lieu où l’accord a été conclu et paraphé. L’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson (qui a maintenant commencé à écrire des livres) a interdit de signer un accord basé sur les principes convenus à Istanbul. Une série de réunions a eu lieu en Biélorussie. Le président Alexandre Loukachenko a confirmé une fois de plus qu’en tant que voisin de la Russie et de l’Ukraine, il partait du principe que les intérêts de la Biélorussie devaient être pris en compte. Nous l’apprécions.

Dans l’ensemble, la compréhension grandit. C’est pourquoi il y a eu un intérêt général pour les discussions sur un appel téléphonique puis une rencontre entre les présidents de la Russie et des États-Unis. Tout le monde a compris (en fait, ils l’ont compris depuis longtemps, ils ont seulement commencé à l’admettre maintenant) que le problème ne concerne pas l’Ukraine, mais qu’elle est utilisée pour affaiblir la Russie dans le contexte de notre place dans le système de sécurité eurasien.

Il existe deux aspects de la sécurité. Les menaces sur nos frontières occidentales sont l’une des principales causes initiales du conflit et doivent être éliminées. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’accords plus larges. Nous sommes prêts à discuter des garanties de sécurité pour le pays qui s’appelle Ukraine, ou la partie de ce pays qui ne s’est pas encore autodéterminée, contrairement à la Crimée, au Donbass et à la Nouvelle-Russie. Mais malgré l’importance de cet aspect, le contexte eurasien sera dominant, car la partie occidentale du continent ne peut pas s’isoler de tels géants comme la Chine, l’Inde, la Russie, le golfe Persique et toute l’Asie du Sud, le Bangladesh, le Pakistan. Des centaines de millions de personnes y vivent. Il faut aménager le continent de telle manière que les affaires de sa partie centrale, de l’Asie centrale, du Caucase, de l’Extrême-Orient, du détroit de Taïwan, de la mer de Chine méridionale soient gérées par les pays de la région et non par l’ancien secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, qui a déclaré que l’OTAN travaillerait là-bas parce que la sécurité de l’Alliance dépendait de la région Indo-Pacifique.

On lui a demandé si l’OTAN était toujours une alliance défensive ? Il a répondu que oui. Ils protègent le territoire de leurs membres, mais la sécurité de leur territoire dans les conditions modernes dépend de la sécurité dans la région Indo-Pacifique. C’est pourquoi des infrastructures de l’OTAN y seront également déployées. Des alliances s’y créeront. Les États-Unis et la Corée du Sud ont déjà formé une alliance militaire comportant une composante nucléaire. Ils l’ont récemment confirmé.

C’est un moment intéressant pour les politologues de réfléchir à la manière de mettre tout cela ensemble. Je vous assure que l’approche euro-atlantique de toute l’Eurasie est une illusion.

Comment se développe le partenariat stratégique global entre l’Iran et la Russie ? Quels messages contiendra l’accord et quelles sont les préoccupations d’autres pays en lien avec cet accord ?

Le 17 janvier 2025 le président iranien Massoud Pezeshkian se rendra en Russie. La visite a déjà été annoncée. Nos présidents signeront cet accord.

Quant à savoir si cela plaît ou non, cette question est généralement posée par nos collègues occidentaux, car ils veulent toujours trouver un sujet qui montrera que la Russie et l’Iran, la Russie et la Chine, la Corée du Nord sont toujours en train de préparer quelque chose. Ce traité ainsi que le Traité sur le partenariat stratégique global entre la Fédération de Russie et la République populaire démocratique de Corée ne sont dirigés contre aucun pays, mais sont de nature constructive et visent à renforcer les capacités de la Russie et de l’Iran et de nos amis dans diverses parties du monde pour mieux développer l’économie, résoudre les problèmes sociaux et assurer de manière fiable la capacité de défense.

On sait que la Russie appelle constamment à un monde multipolaire. Après le retrait de la Russie du Moyen-Orient, un monde unipolaire dirigé par les États-Unis y émerge. Quelles démarches peut-on attendre de la Russie dans cette région ? La population là-bas respecte la Russie et s’attend à ce qu’elle joue un certain rôle.

Vous les journalistes… Au début, vous avez fait deux déclarations : « La Russie a quitté le Moyen-Orient » (comme si c’était un fait) et « Après cela, ce sont les États-Unis qui sont aux commandes là-bas ». Et puis vous demandez, que faire ?

Je ne suis d’accord ni avec la première, ni avec la deuxième affirmation. Nous ne nous sommes pas retirés du Moyen-Orient. Des événements ont eu lieu en Syrie, qui ont été commentés par le président russe Vladimir Poutine et nos autres responsables. À bien des égards, ils se sont produits parce qu’au cours des dix dernières années, depuis le moment où, à la demande du président de la République arabe syrienne Bachar al-Assad, la Russie a envoyé son contingent là-bas et lorsque nous, la Turquie et l’Iran avons créé le format Astana, auquel participent un certain nombre de pays arabes, il y a eu néanmoins un ralentissement du processus politique. Il y avait une tentation de ne rien changer.

Nous pensions que c’était mal. Nous avons appelé les dirigeants syriens par tous les moyens possibles pour que le Comité constitutionnel syrien, créé en 2018 à l’initiative de la Russie lors du Congrès du dialogue national syrien à Sotchi et qui s’est tu après les deux ou trois premières réunions, a repris ses travaux. Mais les dirigeants de Damas ne voulaient pas le voir travailler et parvenir à un accord. Et il ne pouvait s’agir que d’un partage du pouvoir avec des groupes d’opposition (naturellement, pas des groupes terroristes). C’était un retard. Il s’est accompagné d’une aggravation des problèmes sociaux. Les sanctions américaines étranglaient l’économie syrienne. La partie orientale du pays, la plus riche en pétrole et la plus fertile, était et reste occupée par les Américains. Les ressources extraites servent à financer les tendances séparatistes dans le nord-est de la Syrie.

Nous avons ensuite proposé à nos collègues des organisations kurdes de les aider à construire un pont avec le gouvernement central. Ils ne le souhaitaient pas vraiment, croyant que les Américains seraient toujours là et qu’ils créeraient là-bas leur propre quasi-État. Nous leur avons expliqué que ni la Turquie ni l’Irak ne permettraient jamais la création d’un État kurde. Il se trouve que le problème kurde pourrait faire exploser toute la région. Nous avons plaidé pour que les droits des Kurdes en Syrie, en Irak, en Iran et en Turquie soient spécifiquement discutés et garantis de manière fiable.

D’un côté, Damas n’était pas très enthousiaste à l’idée de négocier, de l’autre les Kurdes. Il y a eu également peu de contacts entre les différentes plateformes mentionnées par le Conseil de sécurité de l’ONU comme participants directs au processus de règlement (Moscou, Le Caire, Istanbul). Tout cela a conduit à la formation d’un vide et une explosion s’y est produite. Nous devons accepter la réalité.

L’ambassade de Russie n’a pas quitté Damas. Il a des contacts quotidiens. Nous voulons être utiles aux efforts visant à normaliser la situation, et cela nécessite un dialogue national inclusif en Syrie avec la participation de toutes les forces politiques, ethniques, religieuses et de tous les acteurs extérieurs.

J’ai parlé avec nos collègues de Turquie et des pays du golfe Persique. Ils ont maintenant tenu leur deuxième réunion (après la Jordanie) en Arabie Saoudite. Y ont participé des pays arabes, la Turquie et certains États occidentaux. Ils partent du principe que la Russie, la Chine et l’Iran doivent être impliqués dans ce processus s’ils veulent vraiment lancer un processus fiable visant à un résultat durable, et ne pas s’engager une fois de plus dans un règlement de comptes avec leurs concurrents sur le territoire syrien. Nous sommes ouverts à cette conversation. Le format Astana pourrait bien jouer son rôle. De plus, la Turquie, la Russie et l’Iran interagissent avec la troïka (Jordanie, Liban, Irak). L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar manifestent également leur intérêt.

Lors de ma rencontre avec l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, à Doha le 7 décembre 2024, il a déclaré qu’il était urgent de créer une conférence internationale avec la participation de tous les Syriens et de tous les acteurs extérieurs. Nous attendons.

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