La pandémie et la reprise économique font actuellement la une des journaux, mais quels autres sujets sont sous les feux des projecteurs en Autriche ? Comment les Verts au gouvernement les abordent-ils ?
La crise sanitaire, combinée à la crise économique mondiale et à la crise de l’emploi, est clairement la question déterminante en Autriche. Mais dans notre gestion de cette crise, nous n’avons pas perdu de vue l’autre problème majeur pour lequel il n’existe aucun vaccin : le changement climatique. Par conséquent, les mesures que nous avons prises dans la lutte contre la pandémie s’attaquent également à la crise climatique. Nous avons veillé à dépasser les objectifs climatiques fixés dans le plan de relance de l’Union, nous avons créé des primes à l’investissement assorties d’incitations environnementales et mis en place un ensemble de mesures permettant aux municipalités de réaliser des investissements environnementaux. Grâce à notre politique d’investissement, nous avons non seulement combattu la pandémie, mais aussi renforcé l’économie, évité une crise de l’emploi et assuré une meilleure protection du climat. Toutes ces questions nous tiennent à cœur et nous nous efforçons de créer des liens entre elles et de les aborder de manière globale.
Pouvez-vous toujours compter sur la coopération de votre partenaire de coalition ?
Il est évident que nous sommes dans une coalition [avec le parti populaire autrichien (ÖVP), conservateur], et non dans un gouvernement majoritaire à parti unique. Nos objectifs sont énoncés très clairement dans le programme gouvernemental et incluent la neutralité climatique d’ici 2040. Notre partenaire de coalition peut râler à propos de cet engagement, mais il ne peut s’y soustraire.
Nous avons déjà mis en œuvre une série de mesures. Par exemple, nous avons adopté le plus grand projet d’expansion ferroviaire jamais réalisé et mobilisé plusieurs milliards d’euros pour la protection du climat. Beaucoup d’autres mesures sont en préparation, notamment l’introduction d’un abonnement aux transports publics dans tout le pays pour seulement 1095 euros par an. Il s’agit d’une étape importante ; elle encourage davantage de personnes à utiliser les transports publics et rend cette activité abordable.
À l’automne, nous voterons une réforme fiscale éco-sociale qui sera mise en œuvre au printemps 2022. La première phase est déjà en cours, par exemple avec une coloration climatique de la taxe standard sur la consommation de carburant (NoVA) 1 : plus la voiture est écologique, plus la taxe est basse. Le but est d’intégrer une composante environnementale dans le système fiscal. Le comportement nuisible à l’environnement devient plus cher et le comportement respectueux est récompensé. Cette réforme fiscale est la clé de voûte du tournant environnemental. Même Sebastian Kurz savait que la réforme fiscale éco-sociale était inévitable.
La politique autrichienne a été frappée à plusieurs reprises par la corruption et d’autres scandales, dont certains impliquaient des membres des gouvernements précédents. Nous voulons changer cela : les Verts ont été élus sur une plateforme commune pour un environnement et une politique propres. Cela signifie que nous voulons également progresser sur le financement des partis et l’abolition du secret de fonction. Ce sont des questions centrales de notre programme.
Mais qu’en est-il des autres domaines ? Prenons l’exemple de la politique d’asile et de migration. Votre partenaire de coalition a un point de vue complètement différent et souhaite garder les frontières de l’Autriche fermées. Ces responsabilités sont-elles considérées comme distinctes ? En d’autres termes, les Verts s’occupent du climat, et les conservateurs peuvent faire ce qu’ils veulent dans leurs domaines de responsabilité ?
Au sein du gouvernement fédéral et du Parlement, tout est toujours décidé en commun, mais nous avons convenu d’une marge de manœuvre importante au sein de chaque département. Cette liberté est essentielle – par exemple pour que notre ministre de la protection du climat, Leonore Gewessler, puisse mettre en place le type de mesures importantes mentionnées précédemment. De même, dans le secteur de la justice, cela nous aide à protéger les enquêtes en cours sur l’affaire Ibiza 2. Mais bien sûr, cela signifie aussi que l’ÖVP dispose d’une grande liberté d’action au sein de ses départements. Cela est particulièrement évident au Conseil de l’Union, où le ministre désigné représente la position autrichienne. Là, nous voyons nos partenaires de la coalition se tortiller inconfortablement sur leur siège lorsque le Conseil critique la position d’Orbán ou exprime des positions sur les questions de migration qui n’ont pas été convenues au sein de la coalition. Cela donne lieu à de nombreuses discussions internes. Les Verts, quant à eux, ont travaillé dur pour bloquer l’accord de libre-échange entre l’Union et le Mercosur, hostile au climat, et ont souvent ouvert les portes de l’Europe à des décisions environnementales de grande envergure.
Il est clair, cependant, que pour qu’une décision passe par le parlement national, le consentement des deux partenaires de la coalition est nécessaire. Cela signifie que notre partenaire de coalition ne peut pas simplement renforcer la législation sur l’asile, mais aussi que nous ne pouvons pas introduire seuls la Lieferkettengesetz – une loi créant un cadre de diligence raisonnable pour les entreprises tout au long de leur chaîne d’approvisionnement.
Les thèmes verts classiques sont adoptés avec enthousiasme par d’autres partis politiques. Il suffit de regarder la Bavière, où le ministre-président conservateur Markus Söder enlace littéralement des arbres sur ses affiches. Comment cela se passe-t-il en Autriche : les thèmes verts ont-ils été repris par d’autres partis ?
Cela fait longtemps que d’autres partis tentent de se déguiser en écologistes, notamment les sociaux-démocrates. Mais c’est totalement invraisemblable. Les sociaux-démocrates ont participé à toutes sortes de constellations gouvernementales au cours des 30 dernières années et n’ont fait absolument aucun progrès en matière de changement climatique. Maintenant, ils prétendent être plus verts que les Verts. En Autriche, nous avons un dicton : « Si vous pouvez aller chez le maître forgeron, pourquoi aller chez l’apprenti ? » Si vous avez besoin de faire quelque chose, allez voir les experts. Les Verts sont le seul parti fiable en matière de protection de l’environnement, et les électeurs le savent.
Le changement climatique est devenu une question tellement importante que les partis politiques ne peuvent plus l’éviter. Ils ont tous finalement reconnu que quelque chose devait être fait. La seule question est de savoir s’ils sont à la hauteur de l’ampleur de la tâche. Le Nouveau Forum autrichien et libéral (NEOS), par exemple, ne veut discuter que des mesures de protection du climat qui sont bonnes pour l’économie. Mais dès qu’il s’agit de mesures structurelles qui rendent le comportement nuisible au climat plus cher et le comportement favorable au climat moins cher, ils sont introuvables.
Passons de la politique intérieure à la politique européenne : êtes-vous sur la même longueur d’onde que vos partenaires de coalition en matière de politique européenne ?
Le préambule de notre programme gouvernemental contient un engagement clair en faveur de l’Europe. C’est particulièrement important car la coalition noire-bleue qui nous a précédés [composée de l’ÖVP et du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ)] a pris la mauvaise direction en ce qui concerne l’Europe. Nous sommes en train de changer cela. Par exemple, nous faisons campagne pour un droit d’initiative au Parlement européen ; c’est un élément concret de notre accord de gouvernement. Cependant, les questions spécifiques de politique européenne sont traitées par les ministres compétents, sans coordination obligatoire entre les partis gouvernementaux. Et bien sûr, il y a aussi des questions de politique européenne sur lesquelles la position de l’ÖVP diffère de la nôtre.
J’aimerais examiner ce point de plus près. L’ex-chancelier Sebastian Kurz s’est montré très critique à l’égard du plan de relance européen et de la politique européenne en matière de vaccins, et il entretient des relations privilégiées avec des hommes d’État autoritaires comme Viktor Orbán. Comment réagissez-vous à cela ?
Ce n’est pas du tout le positionnement des Verts. Et nous avons clairement pris nos distances par rapport à cela. Karoline Edtstadler, ministre de l’Union et membre de l’ÖVP, a également pris une position claire sur la procédure d’État de droit contre la Hongrie.
Comment ces différences politiques se traduisent-elles dans le débat public sur le rôle de l’Europe ?
On a parfois l’impression que 1995, l’année d’adhésion de l’Autriche à l’Union, constituait une frontière invisible. Les jeunes, qui ont été politiquement socialisés après cette date, ne connaissent que la vie au sein de l’Union et la considèrent comme une évidence. Au sein de la génération plus âgée, en revanche, il existe un groupe qui considère toujours l’Union comme un corps étranger et pour qui « Bruxelles » est synonyme de domination étrangère. Il y a beaucoup de populisme anti-européen, surtout dans la frange de droite. L’ÖVP est traditionnellement un parti pro-européen, mais il tente sans cesse d’étouffer ce flanc pour ne pas perdre d’électeurs au profit du FPÖ. Cela nous laisse dans le rôle de parti de gouvernement pro-européen. Il nous appartient également de critiquer les évolutions constitutionnelles en Hongrie et en Pologne. Et nous remplissons ce rôle de manière proactive et avec conviction.
Quel est actuellement le niveau politique prioritaire pour les Verts en Autriche – local, régional, national ou européen ?
L’énorme dimension de la crise à surmonter signifie que nous ne pouvons pas nous concentrer sur un seul niveau et oublier les autres, ne serait-ce que pour un temps. L’art est de rassembler tous les niveaux, et nous utilisons tous les moyens à notre disposition pour le faire, et pour le faire bien. Notre principal centre d’intérêt se situe naturellement là où nous avons le plus de possibilités d’action : le gouvernement fédéral au niveau national. Mais nos objectifs climatiques doivent être poursuivis à tous les niveaux. Il serait faux de croire qu’une politique significative ne peut être élaborée qu’à un seul niveau.
Nous assistons à une concurrence systémique entre les États-Unis et la République populaire de Chine. Où voyez-vous la place de l’Europe dans cette constellation ?
Les États-Unis ont longtemps été un pionnier de la démocratie, mais beaucoup de choses ont mal tourné, notamment sur le plan social. L’exploitation humaine que nous constatons aux États-Unis et en Chine n’existe pas en Europe. L’Union doit maintenant jouer un rôle de pionnier en matière de protection du climat. Grâce à sa pluralité et à sa capacité à rassembler les pays les plus divers, l’Europe a donc un rôle intermédiaire à jouer dans toutes les directions.
Les Verts autrichiens ont perdu leurs sièges parlementaires, puis ont obtenu leur meilleur résultat électoral en 2019. Ils font désormais partie du gouvernement national pour la première fois. Comment le parti voit-il son développement, politiquement et stratégiquement, dans les années à venir ?
La crise climatique et la transformation environnementale de l’Autriche et de l’Europe sont les questions les plus importantes de notre époque et seront les sphères d’action politique les plus importantes pour les décennies à venir. Nous sommes engagés dans une course contre la montre et nous ne pouvons pas nous permettre de nous reposer. La crise climatique est en train de devenir une question centrale pour la plupart des citoyens. Pour y faire face, les Verts doivent se transformer en un parti plus grand et plus large, tout en continuant à écouter très attentivement et à prendre très au sérieux les préoccupations et les craintes des citoyens. Il doit aller de soi que la transformation environnementale doit également être une transformation socialement juste. Ceci est vrai non seulement pour l’Autriche, mais partout, ce qui en fait un projet profondément européen. Et nous resterons fidèles à nos principales priorités – « environnement propre, politique propre » – principes centraux non seulement pour l’Autriche mais aussi pour toute l’Europe.
Sources
- La Normverbrauchsabgabe (NoVA) est une taxe unique payable lors de l’achat ou de l’immatriculation de voitures particulières, de motos et de quads, ainsi que de véhicules utilitaires légers, en Autriche.
- Le chef et le chef adjoint du Parti de la liberté (FPÖ), parti d’extrême droite, ont été filmés dans un complexe de luxe à Ibiza en juillet 2017, offrant l’accès à des marchés publics lucratifs en échange d’un soutien médiatique. La diffusion de la vidéo en mai 2019 a entraîné l’effondrement de la coalition gouvernementale ÖVP-FPÖ.