Pour Poutine et les élites russes, la « paix de Trump » n’écrase pas assez l’Ukraine
Vladimir Poutine a brièvement évoqué « avoir connaissance » du plan en 28 points qui procède pourtant de ses exigences maximalistes.
Mais pour les élites du Kremlin, cela ne va pas assez loin ; pour les ultranationalistes, la guerre doit continuer jusqu’à l’anéantissement.
La Russie réaffirme sa ligne : pas de fin de cessez-le-feu avant l'écrasement total de Kiev.
- Auteur
- Guillaume Lancereau
Dans la soirée du 21 novembre, Vladimir Poutine a profité d’une réunion en visioconférence avec les membres permanents du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie pour commenter le « plan de paix » de Donald Trump.
Jusqu’alors, le Kremlin s’était gardé de toute prise de position publique et semblait avoir commandé la même attitude aux médias d’État — qui se sont donc rabattus sur les déclarations du général Fabien Mandon, chef d’état-major des armées françaises, lues comme le signe d’une périlleuse surenchère occidentale vis-à-vis de la Russie 1.
Cette nouvelle intervention publique n’a manifesté aucun réajustement de la position russe.
Vladimir Poutine se contente, comme il le fait depuis peu ou prou le début de la guerre, de répéter inlassablement que la Russie serait prête à toute négociation et que le seul obstacle aux pourparlers serait l’obstination de l’Ukraine, poussée par ses alliés européens à retarder toute proposition et à s’arc-bouter sur des exigences maximalistes. Arguer de sa bonne foi sans proposer la moindre révision de ses propres exigences relève tout au plus d’une tactique de guerre, pas même d’une « stratégie » ou d’une « doctrine », et encore moins d’une pratique diplomatique tendant au règlement pacifique d’un conflit — inlassablement, Poutine applique la doctrine Gromyko.
La portée strictement tactique des interventions successives du président russe est d’ailleurs confirmée par la mise en scène de cette réunion de vendredi soir. Au cours d’un échange savamment orchestré, Vladimir Poutine a fait mine de ne commenter le plan de paix de Donald Trump qu’après y avoir été invité par Valentina Matvienko, présidente du Conseil de Sécurité de la Fédération, montrant ainsi que, sans cette question directe, il n’aurait pas même pris la peine de s’exprimer sur le sujet — la tirade de plusieurs minutes dans laquelle il s’est lancé par la suite confirme pourtant qu’il ne s’agissait pas du tout d’une improvisation libre. À travers cette saynète très calculée, le président russe laissait donc entendre que la balle était dans le camp adverse et que Kyïv porterait l’entière responsabilité d’un échec de ce plan, qui reviendrait pour l’Ukraine à une capitulation pure et simple au seul profit de la Russie et des États-Unis, comme n’a pas manqué de le souligner le président Volodymyr Zelensky.
En parallèle, le Kremlin mène une campagne médiatique contre les autorités de Kyïv, empêtrées dans des affaires de corruption qui touchent directement plusieurs membres de l’entourage proche de Zelensky, à commencer par Andriy Yermak.
En Russie, les médias d’État prennent ainsi un malin plaisir à confier la parole à d’anciens politiciens ukrainiens pro-russes comme Viktor Medvedtchouk et Mykola Azarov — qui vivent désormais en Russie après un échange de prisonniers pour le premier et la chute de Viktor Ianoukovytch pour le second 2. Tous répètent à qui veut l’entendre que l’Ukraine souhaiterait la démission de Zelensky, dépourvu de toute légitimité politique et de tout sens démocratique, tout en faisant du président ukrainien le principal — si ce n’est le seul — obstacle à la mise en œuvre du plan Trump, qui mettrait à nu sa politique de corruption et réduirait à néant l’impulsion idéologique qu’il a voulu donner au pays 3.
Allant plus loin encore que le président russe qui est resté relativement évasif sur le plan lui-même, plusieurs hauts responsables russes ont critiqué fermement le plan en 28 points proposé par Donald Trump, laissant transparaître leur désintérêt de conclure quelconque compromis. Alors que le plan intègre majoritairement les exigences maximalistes du Kremlin, l’élite politique russe s’attaque à des points précis qui seraient incompatibles avec leurs revendications, particulièrement celles formulées par Poutine lors du sommet en Alaska en août 2025 4.
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, juge ainsi que le plan ne traite pas les « causes profondes » du conflit, comme l’expansion de l’OTAN, le déploiement d’armes en Europe de l’Est et la discrimination présumée à l’égard du peuple russe, de la langue russe et de l’Église orthodoxe russe en Ukraine. Il pourrait ainsi faire référence au fait que le point 9 du plan, qui annonce le stationnement d’avions de combat européens en Pologne ou aux points 3 et 7 sur la non-expansion de l’OTAN, ainsi qu’au point 20-c interdisant toute idéologie nazie. Il souhaiterait également vider de sa substance le point 16 prévoyant l’inscription de la non-agression envers l’Europe et l’Ukraine dans la législation russe en déclarant que « la Russie continuerait d’agir dans son intérêt national, quelles que soient les sanctions », indiquant que le Kremlin « resterait engagé dans son effort de guerre en Ukraine, même face à d’éventuelles pressions économiques futures contre la Russie ».
Le vice-président de la commission de défense de la Douma russe, Alexei Jouravlev, a également exprimé son mécontentement à l’égard du plan de paix américain car il viserait à préserver une « menace à la frontière russe ». Il le perçoit comme un point de départ dans des négociations — et donc une avancée par rapport aux contre-propositions européennes, jugées quant à elles complètement inacceptables.
Le premier vice-président de la commission des affaires internationales de la Douma, Alexei Chepa, a également « enterré » certains points du plan de paix américain, notamment en ce qui concerne leur demande de « démilitariser » l’Ukraine : pour lui, toute garantie en matière de sécurité pour l’Ukraine serait une menace pour la Russie.
Le plan est également critiqué par Vadim Guiguine à la télévision russe pour être une initiative américaine, ce qui par nature ne pourrait jamais fonctionner. Le journaliste propagandiste et membre de la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale biélorusse estime qu’il est voué à l’échec en raison de la « méfiance mutuelle » qui persiste entre les États-Unis et la Russie et qui empêcherait sa mise en œuvre pratique.
Au-delà de l’élite dirigeante, les ultranationalistes continuent de refuser quelque plan de paix que ce soit.
Parmi eux le blogueur influent qui publie sur Telegram sous le pseudonyme Рыбарь (en russe « Pêcheur ») insiste par exemple sur la nécessité d’éviter tout accord qui empêcherait la Russie de poursuivre la guerre, car les objectifs russes ne se limiteraient pas aux oblasts de Donetsk et de Louhansk — oblasts que les États-Unis imposent à l’Ukraine de céder d’après le point 21-a du plan portant sur la question des territoires. Les territoires revendiqués par la Russie engloberaient également les oblasts de Zaporijia et de Kherson, que le Kremlin a illégalement déclarés annexés en 2022, pour lesquels le plan américain ne prévoit « que » de geler la ligne de contact.
Chers collègues, bonsoir ! Aujourd’hui, nous avons deux questions à l’ordre du jour : celle des priorités de la Russie dans le cadre de sa future présidence de l’Organisation du traité de sécurité collective en 2026 et celle de notre stratégie d’action dans la lutte contre les formes de néocolonialisme. Sur ces deux points, nous proposons d’entendre le ministre des Affaires étrangères. Nous pouvons commencer.
Valentina Matvienko Vladimir Vladimirovitch, si vous me permettez.
Vladimir Poutine Bien entendu, Valentina Ivanovna, allez-y.
Valentina Matvienko En ce moment, la planète entière discute des vingt-huit points du plan de paix de Donald Trump relativement à la crise ukrainienne. Avant d’aborder les points à l’ordre du jour, pourrait-on vous demander d’exprimer votre position à ce propos et de préciser les rapports entre ce plan de paix et vos récents pourparlers avec Trump en Alaska ?
Vladimir Poutine Naturellement, il n’y a rien à cacher ici. Certes, nous ne l’avons pas discuté publiquement, nous avons seulement exposé les grandes lignes, mais, je le répète, il n’y a rien à cacher ici. Le plan de paix du président Trump concernant le règlement de la situation en Ukraine a été décidé avant la rencontre en Alaska et, lors de ces échanges préliminaires, la partie américaine nous avait demandé d’accepter certains compromis, de faire preuve, selon leurs termes, de « flexibilité ».
La rencontre en Alaska avait essentiellement pour but de confirmer qu’en dépit des difficultés spécifiques posées par ces questions, nous étions, malgré tout, d’accord avec ces propositions et disposés à faire preuve de la flexibilité requise.
Nous avons livré à tous nos amis, nos partenaires du Sud Global, des informations détaillées à ce propos, notamment à la République populaire de Chine, à l’Inde, à la République populaire démocratique de Corée, à l’Afrique du Sud, au Brésil, ainsi qu’à de nombreux autres pays et, bien entendu, aux États membres de l’Organisation du traité de sécurité collective. Tous nos amis et nos partenaires, absolument tous, ont soutenu cette initiative allant dans le sens d’un possible accord.
Et pourtant, nous n’avons pu manquer de constater que la partie américaine avait marqué une pause après les pourparlers en Alaska, une pause dont nous savons qu’elle est directement liée au refus du plan de paix du président Trump par l’Ukraine.
J’imagine que ce refus est justement la raison pour laquelle une nouvelle version, cette version modernisée en vingt-huit points, a fait son apparition.
Vladimir Poutine « oublie » à dessein deux moments importants de la chronologie : celui où Donald Trump a rencontré Volodymyr Zelensky à Washington et esquissé des accords que la Russie a refusés, puis celui où les États-Unis ont évoqué la possibilité de livrer à l’Ukraine des missiles Tomahawk avant d’imposer des sanctions contre la Russie, entrées en vigueur ce vendredi.
Nous avons connaissance de ce texte, qui nous est parvenu par les canaux de communication avec l’administration américaine.
J’imagine qu’il pourrait constituer une base utile en vue d’un règlement définitif, mais le contenu concret de ce texte n’a pas été discuté.
Et je crois savoir pourquoi.
La raison est sans doute la même que précédemment : l’administration des États-Unis n’est pas encore parvenue à obtenir un accord de l’Ukraine, qui continue de le refuser. Visiblement, l’Ukraine et ses alliés européens vivent encore dans leurs illusions et s’imaginent pouvoir infliger à la Russie une défaite stratégique sur le champ de bataille. À mon sens, cette position ne reflète pas tant un manque de compétence — sur lequel je ne reviendrai pas ici — qu’un déficit d’information concernant les réalités de l’affrontement sur le terrain.
Lors d’une interview rendue publique en février dernier, Vladimir Poutine a exprimé le fond de sa pensée quant au degré — en l’espèce, absolument nul — de compétence qu’il reconnaît aux élites européennes.
Pour ce qu’on peut en juger, ni l’Ukraine, ni l’Europe ne comprennent les conséquences funestes de cette obstination. Je n’en donnerai ici qu’un seul exemple, le plus récent : celui de Koupiansk. Encore récemment, le 4 novembre, si je me souviens bien, donc il y a deux semaines, on a officiellement annoncé à Kiev que la ville n’était plus occupée que par 60 000 soldats russes et qu’elle serait libérée par les forces ukrainiennes dans les jours suivants.
Permettez-moi donc de rectifier : à cette date, le 4 novembre, la ville était presque intégralement sous contrôle des Forces armées russes. Nos gars, comme on dit, en étaient à la dernière étape : la sécurisation et le nettoyage de certains quartiers et de certaines rues.
En somme, le sort de Koupiansk était déjà scellé.
Que nous montre cet exemple ? Soit que les dirigeants de Kiev ne disposent d’aucune information objective quant à la situation réelle sur le front, soit qu’ils sont parfaitement informés, mais sans être en état d’en tirer des conclusions objectives. Si Kiev s’obstine à refuser de discuter la proposition du président Trump, alors l’Ukraine et les fauteurs de guerre européens doivent bien comprendre que le scénario de Koupiansk est inéluctablement amené à se répéter sur d’autres points clefs du front. Peut-être pas aussi vite que nous le souhaiterions, mais, j’insiste, inéluctablement.
Dans l’ensemble, cette situation nous convient, puisqu’elle nous amène à réaliser les objectifs de l’opération militaire spéciale par la voie des armes, de l’affrontement armé.
Cependant, comme je l’ai déjà énoncé plus d’une fois, nous restons prêts à des négociations de paix, à résoudre tous les problèmes existants par la voie du dialogue. Or cela nécessite à l’évidence une discussion de fond sur l’ensemble des points du plan proposé. Nous y sommes prêts.
Passons donc aux thématiques inscrites à l’ordre du jour de la réunion d’aujourd’hui.
Sources
- Заявление французского генерала о России вызвало изумление на Западе – РИА Новости, 21.11.2025
- На Украине есть силы, которые хотят отставки Зеленского, заявил Азаров – РИА Новости, 22.11.2025
- Киев не может выполнить требования плана США, заявил Медведчук – РИА Новости, 21.11.2025
- Institute for the Study of War, « Russian Offensive Campaign Assessment », 23 novembre 2025.