Notre série Grand Tour continue. Après Nikos Aliagas sur Missolonghi, Françoise Nyssen sur Arles, Gérard Araud sur Hydra, Édouard Louis sur Athènes, Anne-Claire Coudray sur Rio, Edoardo Nesi sur Forte dei Marmi, Helen Thompson sur Naples, Pierre Assouline sur la Corse, Denis Crouzet et Élisabeth Crouzet-Pavan sur Venise ou Carla Sozzani sur Milan, Edwy Plenel sur la Martinique, Mazarine Mitterrand Pingeot sur La Charité-sur-Loire et Jean-Pierre Dupuy sur la Californie, Hélène Landemore sur l’Islande, Jean-Christophe Rufin sur l’Albanie, Bruno Patino sur Strasbourg, Fabrice Arfi sur Lyon, Gisèle Sapiro nous emmène à Berlin — mais aussi un peu à New Delhi.
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Dans le cadre de ce Grand Tour sur Berlin, vous avez insisté pour commencer par nous parler… de New Delhi. Pourquoi — nous y reviendrons, mais d’abord : comment avez-vous rencontré l’Inde ?
Ma première visite à New Delhi remonte à 2004, à l’occasion du premier colloque sur Pierre Bourdieu en Inde. Je ne connaissais pas du tout la culture indienne, sauf un peu les Védas étudiés en philosophie. J’y ai alors découvert cette culture extrêmement ancienne, ses traditions musicales, la danse. Malgré les inégalités criantes, règne dans la ville un sentiment pacifiste. C’est aussi une ville sans centre — ce qui est assez étrange.
Lors de ce séjour d’une semaine, je m’étais rendue à la foire du livre de New Delhi et j’avais par hasard tiré d’un rayon un livre — en anglais évidemment — qui comprenait un article intitulé : « Pourquoi la Foire de Delhi est une humiliation nationale ». L’article expliquait que les éditeurs représentés à cette foire étaient essentiellement des grands groupes britanniques qui vendaient de la littérature indienne aux Indiens, parce qu’ils possèdent les droits sur la plupart des écrivains les plus connus.
C’était au cœur de mes préoccupations, car je travaillais déjà sur la circulation internationale des œuvres, ses inégalités et asymétries.
J’y suis retournée quinze jours en 2022, à l’invitation du Centre de sciences humaines (CSH) de Delhi, pour y donner une série de conférences sur la circulation des idées, les traductions et la littérature mondiale. Annie Ernaux venait de recevoir le prix Nobel de littérature et quatre conférences avaient été rajoutées de ce fait. On me demandait alors, partout où j’allais, de parler d’Annie Ernaux : il y avait une demande très forte et elle suscitait énormément d’intérêt ! Tout le monde voulait lire Ernaux, mais il n’y avait pas de livres d’elle. Ils ont mis deux ou trois mois à arriver.
Certains petits éditeurs indiens prennent beaucoup de risques pour publier et diffuser une parole plus critique du régime.
Gisèle Sapiro
Même après mon retour, un journaliste indien m’avait écrit se trouver dans la principale librairie de New Delhi, et avoir entendu, en une demi-heure, au moins quatre personnes demander les œuvres d’Annie Ernaux. Impossible toutefois de s’en procurer parce qu’Annie Ernaux n’est publiée en anglais que par deux petits éditeurs : Seven Stories depuis le début des années 90 et plus récemment Fitzcarraldo en Angleterre. Bien que désormais distribués par Penguin, les titres de Seven Stories sont à peine diffusés en Inde, où sont distribués principalement des livres à grande diffusion.
Cette anecdote est révélatrice des inégalités de circulation et de la polarité du marché mondial du livre entre, d’un côté, un circuit de grande distribution contrôlé par ces groupes, et de l’autre côté, ce que Pierre Bourdieu appelle le « pôle de production restreinte » de l’édition, où les livres circulent par des réseaux plus informels, via des relations d’interconnaissance, et où la diversité linguistique et culturelle est plus grande comme je le montre dans mes travaux.
C’est un indice de la double périphéralité de l’Inde : sur le marché mondial du livre et dans l’aire linguistique anglophone, qui a ses centres à Londres et à New York.
Évidemment, le caractère illibéral du régime renforce cette tendance. J’ai eu l’occasion de discuter avec plusieurs éditeurs et journalistes pendant mon séjour et le contrôle de la parole est étroit. Face à cela, les grands groupes britanniques — seulement intéressés par les bénéfices —, vont dans le sens de la censure. Au contraire, certains petits éditeurs indiens prennent beaucoup de risques pour publier et diffuser une parole plus critique du régime.
Quelle place l’Inde occupe-t-elle dans l’écosystème de la littérature mondiale ?
En Inde, les inégalités ne sont pas présentes qu’entre éditeurs, mais aussi entre langues. L’anglais occupe une place centrale, mais on parle en Inde 234 langues dont 22 sont officielles. Or la littérature indienne qui circule est presque exclusivement en anglais, et toutes les autres langues sont de fait exclues du marché de la traduction et donc du champ littéraire transculturel — même si elles peuvent être parlées par 40 millions de personnes.
Il n’y a qu’un écrivain indien qui ait eu le prix Nobel : c’était Rabindranath Tagore— poète écrivant en bengali et qui s’était auto-traduit en anglais. Il avait été promu auprès de l’Académie suédoise par la Society of Authors britannique.
Le pouvoir éditorial se trouve aujourd’hui à Londres, New York, Paris, ou à Francfort, Munich, Hambourg – l’Allemagne est plus décentralisée — et désormais Berlin, qui est redevenue un centre après la réunification.
Gisèle Sapiro
Le tournant de la globalisation a cependant favorisé l’émergence des littératures des périphéries. Le couronnement de Les Enfants de Minuit de Salman Rushdie en 1981 par le Booker Prize, a été un moment décisif. Plus tard, en 1997, Arundhati Roy a également été récompensée par le Booker.
Ce phénomène ne concerne pas que l’Inde : en 1984, Wole Soyinka est le premier écrivain d’origine africaine, vivant en Afrique (au Nigeria) à recevoir le prix Nobel.
Il ne faut toutefois pas oublier que les auteurs issus des périphéries et qui accèdent à la reconnaissance transnationale sont publiés par des éditeurs britanniques. Derrière l’apparente diversification géographique et ethnique de la littérature mondiale, il n’y a ni diversification linguistique ni diversification éditoriale. Au contraire, pendant cette période de globalisation, on assiste à une concentration autour des grands groupes éditoriaux, comme Penguin et Bertelsmann (qui ont d’ailleurs fusionné en 2013). Ainsi, le pouvoir éditorial se trouve aujourd’hui à Londres, New York, Paris, ou à Francfort, Munich, Hambourg – l’Allemagne est plus décentralisée — et désormais Berlin, qui est redevenue un centre après la réunification.
La situation évolue cependant.
Pour la première fois, une écrivaine traduite du hindi — la langue officielle de New Delhi — a obtenu le Booker Prize en 2022 : Gitanjali Shree. Cette année, c’est une écrivaine traduite du Kannada — une des langues du Karnataka — Banu Mushtaq, qui l’a remporté. On assiste à un accroissement de l’intérêt pour ces langues qui, un temps, étaient hors du marché de la traduction.
C’est toujours le cas pour les langues africaines. Connaissez-vous un seul auteur qui écrive en wolof ? Certains tentent de contrer cette tendance lourde : Felwine Sarr et Boubacar Boris Diop ont créé récemment une maison d’édition, Jimsaan, basée à Dakar, pour traduire des littératures africaines vers le français et notamment du wolof. Jimsaan est d’ailleurs co-éditeur, avec Philippe Rey, de La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr. Ce sont de telles coéditions qui permettront aux auteurs de langues périphériques et à leurs intermédiaires locaux d’émerger sur la scène internationale.
Est-ce que dans le cas de l’Inde, la montée en puissance géopolitique s’accompagne d’une croissante diffusion de textes dans le monde ?
Il y a une corrélation, mais elle n’est pas systématique.
Pensez au cas des États-Unis qui étaient une colonie britannique et ont mis 200 ans après l’indépendance à s’imposer sur le marché mondial du livre. On oublie souvent à quel point cela a été tardif. Il a d’abord fallu attendre un siècle pour que l’édition américaine s’autonomise et qu’une littérature américaine distincte s’affirme. Puis, entre 1955 et 1978, alors que le nombre de livres publiés aux États-Unis est multiplié par six — soit deux fois plus qu’en France et en Allemagne —, on observe un véritable renversement des rapports de force éditoriaux entre les États-Unis et l’Europe.
Cette présence internationale était aussi liée aux enjeux de la guerre froide : l’art moderne abstrait a été instrumentalisé comme outil du soft power américain dans la guerre contre l’URSS qui promouvait le réalisme socialiste. Il y avait déjà aux États-Unis, avant la Seconde Guerre mondiale, des collectionneurs et des musées d’art moderne comme le MoMa, mais cela restait le fruit d’initiatives privées, l’État fédéral n’a mis en place cette politique qu’après la guerre.
Certains prennent des risques, notamment hors Inde. Invitée par le festival de Berlin en 2009, Arundhati Roy avait prononcé un discours très politique sur le recul démocratique.
Gisèle Sapiro
Aujourd’hui, on voit la Chine se renforcer sur les plans géopolitique et économique, mais le rapport de force n’est pas encore engagé sur le plan linguistique : l’anglais reste dominant. Artistiquement, on voit toutefois des grands collectionneurs chinois qui font monter la valeur de certains artistes chinois chez Christie’s ou Sotheby’s, mais cela reste assez limité au pôle commercial du marché de l’art. Malgré une grande tradition littéraire et une production importante de livres, la Chine demeure marginale sur le marché de la traduction.
L’illibéralisme du régime a-t-il un impact sur les intellectuels en Inde ?
Dans les régimes illibéraux, les libertés fondamentales sont en apparence respectées. En Turquie, par exemple, il y a encore une certaine liberté d’expression et le marché du livre n’est pas complètement censuré, les livres de la sociologue et écrivaine Pinar Selek, exilée en France et poursuivie par le régime, continuent d’y paraître, mais le contrôle sur les universités s’est fortement resserré. En Inde, les universitaires ressentent aussi les pressions du pouvoir, bien qu’elles ne soient pas explicites ; elles se manifestent par des intimidations diffuses qui ne se disent pas comme telles.
Certains prennent des risques, notamment hors Inde. Arundhati Roy profite de son capital symbolique et du soutien de grands éditeurs pour exprimer une parole très critique à l’égard du gouvernement indien. Invitée par le festival de Berlin en 2009, elle avait prononcé un discours très politique sur le recul démocratique.
Est-ce que l’émergence des grands festivals et des grandes foires littéraires, hors monde occidental, sont un facteur d’émergence de nouveaux centres de diffusion et de circulation littéraire ?
Ces foires, qui se sont multipliées depuis les années 1980 — Guadalajara, New Delhi, Ouagadougou par exemple — permettent sans doute de donner une visibilité à des littératures périphériques, d’inscrire leurs auteurs dans des réseaux transnationaux et de les faire exister. Évidemment, les écrivains et écrivaines les plus en vue peuvent choisir les foires auxquelles ils et elles participent : émerge donc une hiérarchie symbolique entre les foires comme entre les festivals.
Je montre dans mon dernier livre, Qu’est-ce qu’un auteur mondial ?, que les grands festivals anglophones, qui occupent une position dominante, ne sont pas les plus divers du point de vue des langues et des origines géographiques des auteurs invités. Ce sont plutôt les festivals de taille intermédiaire, localisés en Europe, qui le sont, et notamment le festival de Berlin, qui a un agenda à contre-courant des tendances du marché du livre.
Le rôle des individus — plus que des éditeurs — reste prépondérant pour faire émerger de nouveaux auteurs dans les périphéries.
Gisèle Sapiro
Il faut tout de même mentionner les foires d’Amérique latine qui sont très impressionnantes. Ce sont des foires qui durent, pour certaines, trois semaines ! En arrivant à la Filbo à Bogota, je me rappelle avoir vu le stand dédié à Gabriel García Márquez, le grand écrivain colombien, prix Nobel de littérature (1982). Il y avait une immense colonne de livres de Márquez. Et j’aperçois soudain un panneau « Random House » au-dessus de la colonne : Márquez est édité dans sa langue et dans son pays par la maison anglophone Random House, filiale du groupe allemand Bertelsmann !
De même, Márquez avait initialement dû être édité en Espagne pour accéder à la notoriété internationale, suivant le principe selon lequel les écrivains provenant des périphéries d’une aire linguistique doivent passer par le centre pour s’inscrire dans le champ littéraire transculturel.
C’est encore, pour les écrivains latino-américains comme pour les indiens, la condition d’accès à la notoriété internationale, malgré un marché de l’édition extrêmement dynamique en Amérique latine, surtout depuis l’arrivée d’intellectuels et d’éditeurs exilés de l’Espagne franquiste. Dans cette semi-périphérie, émergent tout de même des centres : le Mexique en est un, l’Argentine un autre.
Dans ces circonstances, et compte tenu du rapport de force permanent entre centre et périphérie — un schème conceptuel d’ailleurs forgé en Amérique latine dans le cadre des théories de la dépendance —, le rôle des individus reste prépondérant pour faire émerger de nouveaux auteurs. Le « boom » latino-américain des années 1960-1970 tient en bonne partie au travail et à l’énergie de l’agente espagnole Carmen Balcells. En Inde, un petit éditeur comme Seagull Books tente de rivaliser avec les grands groupes britanniques sur leur propre terrain, en traduisant des œuvres de langues européennes — par exemple, d’Hélène Cixous, de Pascal Quignard, ou encore de l’écrivain togolais Kossi Efoui, du français –, mais aussi de l’arabe.
Vous avez tenu à évoquer les difficultés de l’Inde à devenir un centre de diffusion littéraire à partir d’une anecdote qui ouvre cet entretien. Une autre ville a longtemps été une périphérie du monde de la littérature mondiale avant d’en devenir un centre. Une ville avec laquelle vous avez une relation privilégiée — Berlin, l’aboutissement de ce grand détour commencé à Delhi. Comment arrive-t-on à Berlin ?
Ma relation avec les villes allemandes a commencé à Fribourg-en-Brisgau.
Après la parution de mon premier livre, La guerre des écrivains, en 1999, qui portait sur le champ littéraire français sous l’occupation allemande, j’y ai donné pendant une dizaine d’années un séminaire couplé avec Joseph Jurt sur « littérature et société » au Frankreich Zentrum, inauguré en 1989 par la fameuse conférence de Pierre Bourdieu sur les conditions sociales de la circulation internationale des idées.
À l’ère de la mondialisation, le multiculturalisme est entré plus tôt en Allemagne qu’en France et la programmation culturelle dont on profite lors des séjours berlinois est le reflet d’une plus grande ouverture.
Gisèle Sapiro
J’ai ensuite été invitée à de nombreux colloques et conférences à Berlin, à Cologne, à Bielefeld, à Oldenburg, à Munich, à Constance, à Bonn, à Sarrebruck… Ma relation avec Berlin a changé lors d’un long séjour que j’y ai fait en 2018-2019, en tant que résidente au Wissenschaftskolleg, ou « Wiko », qui est un paradis pour les chercheurs.
Quelle place ont eu ces séjours dans vos recherches ? Ont-ils eu une influence sur votre regard sur la circulation internationale des idées et la littérature mondiale ?
Du point de vue de mes recherches, l’année passée au Wissenschaftskolleg m’a permis de réaliser plusieurs entretiens avec des agents littéraires et des écrivains, et avec le directeur du festival international de littérature Berlin.
Il y a un contraste entre, d’un côté, les concentrations dans l’édition qui ont entraîné une réduction drastique des traductions en allemand et, de l’autre, une ouverture au multiculturalisme. L’édition littéraire suit les tendances de l’édition anglophone : la féminisation est assez récente — seules quatre femmes avaient été couronnées par le prestigieux prix Buchner jusqu’en 1990 — et la diversification ethnique s’observe dans l’intérêt pour les minorités ethniques et les migrants. Ainsi, en 2022, prix Buchner a été décerné à l’écrivaine turque-allemande Emine Sevgi Özdamar.
De l’ouverture au multiculturalisme témoigne le festival de Berlin, plus divers en termes des auteurs invités que les gros festivals anglophones, et qui promeut un agenda politique, offrant une scène publique alternative à des écrivains comme intellectuels engagés, souvent des femmes d’ailleurs : par exemple, Arundhati Roy, lauréate du Booker Prize en 1997 pour son premier roman Le Dieu des Petits Riens, qui utilise son capital symbolique pour critiquer le régime, a été invitée à donner la conférence inaugurale en 2009, comme je l’ai mentionné.
Ce festival maintient donc la tradition allemande d’intérêt pour le multilinguisme et la traduction, tradition née en réaction à l’hégémonie culturelle française. Il s’oppose également à la conception raciste de la culture qu’avaient les nazis, et dont le versant littéraire s’est incarné dans le premier congrès des écrivains à Weimar lancé par Goebbels en 1941.
À l’ère de la mondialisation, le multiculturalisme est entré plus tôt en Allemagne qu’en France et la programmation culturelle dont on profite lors des séjours berlinois est le reflet d’une plus grande ouverture.
Pour les écrivains d’Europe de l’Est, les éditeurs allemands demeurent le tremplin vers l’international. Cela passe aujourd’hui aussi par les prix européens.
Gisèle Sapiro
Bien que vous évoquiez Berlin comme introduction au multiculturalisme, vous écrivez dans Qu’est-ce qu’un auteur mondial ? que cette ville n’est devenue un centre éditorial qu’après la réunification. Les éditeurs qui ont publié le plus de prix Nobel sont Fischer et Hanser, dont les sièges sont respectivement à Francfort et à Munich. Avez-vous pu observer cette évolution ? Quelle place attribueriez-vous à Berlin dans la circulation européenne et internationale de la littérature d’Europe de l’Est ?
Berlin n’a, en effet, reconquis sa place dans l’édition qu’après la réunification. Des éditeurs comme Suhrkamp s’y sont installés. Et, en effet, la ville a joué un rôle dans l’introduction de la littérature d’Europe de l’Est sur la scène internationale, avec un programme spécifique d’aide à la traduction dans le cadre du « Literarisches Colloquium Berlin ». Pour les écrivains d’Europe de l’Est, les éditeurs allemands demeurent le tremplin vers l’international. Cela passe aujourd’hui aussi par les prix européens.
J’ai été pour la première fois à Berlin en 2000 et je me rappelle d’une effervescence incroyable après la réunification. C’était alors une ville d’un dynamisme entraînant, avec une offre culturelle très riche, des espaces de convivialité, des bars attractifs pour la jeunesse, de grands espaces verts, un esprit d’ouverture et d’hospitalité.
Un des paris de la ville après la chute du mur a été de miser sur l’art contemporain, et cela a marché ! Aujourd’hui, Berlin est la capitale de l’art contemporain. La Hamburger Bahnhof, musée construit dans une ancienne gare, ouvert en 1996, en est un des hauts lieux. Il faut citer aussi la Berlinische Galerie, le KW Institute for Contemporary Art, et, mon favori, le Gropius Bau, ancien musée des arts décoratifs.
Et puis, il y a la musique. Le Staatsoper en particulier est un lieu de rêve. La beauté de l’édifice construit au XVIIIe siècle sur l’avenue Unter den Linden, en plein cœur du Berlin historique, s’allie à une programmation de grande qualité. C’est extrêmement novateur, et d’une grande rigueur et exigence. J’ai assisté par exemple à la représentation de L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi dans la somptueuse mise en scène d’Eva-Maria Höckmayr. On voit rarement de telles mises en scène au MET à New York, où le goût est plus conservateur et les productions plus alignées sur les choix du public des abonnés. Je n’ai jamais été autant à l’opéra que l’année que j’ai passé à Berlin. Il y a aussi la Philharmonie, où j’ai pu entendre Written on skin, l’opéra du grand compositeur contemporain britannique George Benjamin, qui était alors en résidence à Berlin. Cette offre culturelle est probablement aujourd’hui plus accessible qu’à Paris.
Entre 2015 et 2016, l’Allemagne a accueilli un million de migrants, ce qui a encore enrichi le multiculturalisme. Par exemple, des restaurants syriens se sont ouverts à Berlin, où nous allions dîner.
Cette ouverture au monde et cette tendance à innover continuent et s’approfondissent, malgré une certaine remise en question, politiquement et dans le débat public.
Quand j’y étais en 2018, et que je fréquentais la Haus der Kulturen der Welt, on débattait beaucoup de la restitution des œuvres culturelles pillées. L’Allemagne venait de restituer neuf objets funéraires à l’Alaska. La reconstruction de l’ancien château de Berlin — qui avait été démoli pour construire le Palais du Peuple au moment de la RDA — en vue d’y accueillir les collections ethnologiques avait participé à la polémique. Les experts étaient — et sont toujours — divisés entre une culture plus conservatrice, assez esthète, qui se réclame d’un universalisme abstrait tout en voulant garder la mainmise sur les œuvres, et celles et ceux qui défendent leur restitution.
En même temps, un travail de décentrement géoculturel a été effectué : on pouvait voir par exemple, sur l’île aux musées, une exposition mettant en dialogue des œuvres européennes classiques et des œuvres non-européennes de la même période. C’était très dépaysant et enrichissant.
Entre 2015 et 2016, l’Allemagne a accueilli un million de migrants, ce qui a encore enrichi le multiculturalisme.
Gisèle Sapiro
Y a-t-il d’autres lieux à Berlin qui puissent incarner cette ouverture au monde ?
Deux espaces sont particulièrement importants à mes yeux. La Haus der Kulturen der Welt (« maison des cultures du monde »), où sont organisées des conférences, des débats, des expositions, des concerts. Grâce à une programmation fantastique, qui invite des artistes du monde entier, en particulier du sud, ce lieu permet une désacralisation de la haute culture en la rendant accessible et diversifiée.
J’apprécie également la programmation de la Berlinale, le festival du film de Berlin, où l’on peut voir des films de réalisateurs africains entre autres. L’an dernier, la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop a reçu l’Ours d’or pour Dahomey, son beau film sur la restitution, sujet qui me préoccupe tout particulièrement.
Qu’est-ce qui fait du Wissenschaftskolleg un lieu rêvé ? Qu’est-ce qui le rend si agréable ? Quelles relations intellectuelles et artistiques y avez-vous nouées ?
Le Wissenschaftskolleg est localisé dans une très belle villa près de la forêt de Grunewald, à l’ouest de la ville. Il est bordé par un petit lac, Halensee, où on allait se baigner à la belle saison. C’est l’un des instituts d’études avancées les plus réputés, et, à la différence de celui de Princeton, qui est plus grand, il parvient à créer une ambiance quasi familiale.
Les conditions de travail y sont extraordinaires. Il y a un séminaire, une fois par semaine, où chacun, à tour de rôle présente le projet de recherche pour lequel il ou elle a été accueilli en résidence.
On vous y offre des cours d’allemand et un déjeuner tous les jours, un dîner le jeudi. Être présent pour déjeuner avec ses collègues est obligatoire afin de favoriser les échanges et l’émulation réciproque. Je vous admets avoir un peu redouté cette obligation, parce que j’aime préserver mes journées pour le travail. Finalement, les déjeuners au Wiko sont devenus un moment que j’attendais avec une impatience difficile à contenir.
Il faut dire que le lieu est plaisant : un espace convivial et une terrasse où l’on peut prendre les repas en regardant le lac. La cuisine, supervisée par une intendante libanaise, est saine et assez raffinée, les vins bien choisis. Le dispositif des tables a été modifié. Historiquement, tout le monde s’asseyait à la même table, le directeur présidait avec les hommes à ses côtés et les épouses au bout de la table. Aujourd’hui, tout est organisé autour de petites tables de six personnes, de toutes les disciplines et du monde entier. On y croise souvent d’anciens résidents en visite, ou des participants aux colloques qui y sont organisés.
Les résidents se composent pour les deux tiers de chercheurs en sciences humaines et sociales, et pour un tiers de biologistes. S’y ajoutent quelques artistes et écrivains : il y avait cette année-là l’auteure kényane Yvonne Adhiambo Owuor, l’écrivain hongrois György Dragomán, l’essayiste syrien Yassin al-Haj Saleh, et le compositeur Beat Furrer, d’origine suisse allemande. Cette structure favorise les échanges entre les différentes disciplines.
Le Wissenschaftskolleg est localisé dans une très belle villa près de la forêt de Grunewald, à l’ouest de la ville.
Gisèle Sapiro
Il y avait, par exemple, un séminaire facultatif, une fois par mois, où l’on tentait de faire dialoguer les sciences humaines et sociales avec les sciences de la nature. La première rencontre a porté sur Darwin. J’ai alors suggéré que pour la deuxième, chacun d’entre nous dise comment la notion d’évolution est utilisée — ou pas — dans sa discipline. On m’en a confié l’organisation. J’ai pour ma part expliqué les réserves de ma discipline — la sociologie — à l’égard d’une notion ayant une connotation trop linéaire, voire téléologique, si l’on pense aux conceptions évolutionnistes du XIXe siècle. Les sociologues parlent plutôt de « changement » ou de « transformations » pour les plus structuralistes d’entre nous, ou utilisent « évolutions » au pluriel. Les discussions que nous avons eues étaient absolument passionnantes.
Nous avions aussi créé des groupes de travail sur les arts et la littérature. Nous y lisions ensemble des textes et en parlions ensuite au dîner.
La langue de travail est l’anglais, mais il y a beaucoup de germanophones. Mercredi, il y avait une table allemande (Deutsch Tisch) où l’on pouvait choisir de s’asseoir ; par le passé, il y avait aussi une table française qui avait un peu disparu. Nous l’avons recréée pendant mon séjour, même si nous n’étions pas beaucoup de francophones, mais d’autres résidents allemands et autrichiens parlaient fort bien le français.
Parmi les rencontres essentielles que j’y ai faites, il y a celle avec Beat Furrer, l’un des plus grands compositeurs contemporains. J’ai eu la chance d’assister aux répétitions de son opéra Violetter Schnee au Staatsoper, à la première de la création mondiale, ainsi qu’à la dernière représentation, que Beat a dirigée personnellement. C’était une expérience merveilleuse. J’ai également pu assister aux répétitions de Beat avec le quatuor Diotima qui était venu au Wiko pour préparer un concert.
La relation d’amitié avec Beat s’est d’ailleurs poursuivie. En 2021, il est venu à Paris en tant que compositeur invité du festival Ensemble, et il venait composer la journée chez moi, parce qu’il n’avait pas assez de place dans sa chambre d’hôtel. Il a même donné un entretien à France Musique depuis mon salon, auquel j’ai été invitée à participer de façon inattendue ! J’ai également été invitée à dialoguer avec lui pour la clôture du concert-anniversaire en l’honneur de ses 70 ans dans la ville de Graz en Autriche. Je vais publier un livre de lui aux éditions Le Nid de Pie, chez qui je dirige une collection intitulée « Laboratoire de la création » et où j’invite des artistes à parler de leur travail.
Quel est votre rapport à l’histoire de la ville ?
Berlin est évidemment une ville chargée d’histoire : ce n’était pas évident pour moi d’y vivre un an.
Le Wissenschaftskolleg est à Grunewald. De la station de S-Bahn sont partis des convois vers les camps de concentration dès octobre 1941. On voit le nombre de déportés à chaque date sur le site du mémorial que la Deutsche Bahn, la compagnie des chemins de fer allemands, y a fait construire, tout en refusant de payer des indemnisations. Dans le quartier, de nombreuses demeures avaient été habitées par des intellectuels, éditeurs et journalistes juifs qui ont été déportés. Wannsee, où s’est déroulée en janvier 1942 la tristement célèbre conférence où a été décidée la mise en place de la solution finale, est aussi assez proche.
La mémoire de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah est omniprésente.
Quand j’y étais, par exemple, on avait découvert qu’Emil Nolde — emblème de l’art « dégénéré », dont Angela Merkel avait un tableau dans son bureau — avait adhéré au parti nazi et essayé de se faire reconnaître par Hitler et par le gouvernement. Il avait alors changé son style, et avait remplacé les motifs chrétiens par des motifs vikings et nordiques pour plaire au régime nazi – en vain.
Je me suis d’ailleurs servi de cet exemple dans mon livre Peut-on dissocier l’œuvre de l’artiste ? pour remettre en cause l’idée d’unité d’une œuvre et du style d’un auteur.
Cette découverte avait fait scandale, à tel point qu’Angela Merkel avait décroché ce tableau de son bureau. L’idée d’en faire une exposition témoigne d’une démarche pédagogique et réflexive qu’il faut saluer. Car comme je le suggère dans ce livre, mieux vaut faire un travail d’explicitation historique qu’effacer.
Berlin est évidemment une ville chargée d’histoire : ce n’était pas évident pour moi d’y vivre un an.
Gisèle Sapiro
Est-ce que le souvenir de la division de la ville a encore un impact important sur la division de l’espace territorial berlinois ?
Oui, tout à fait : on sait quand on passe la frontière.
Si le travail mémoriel fait sur l’histoire nazie est remarquable, il l’est beaucoup moins pour la période de la division et réunification de l’Allemagne. Je trouve par exemple que la présentation faite par le Musée du cinéma de l’industrie cinématographique est-allemande est un peu caricaturale, voire condescendante. Même sous le plus strict contrôle de la Stasi, il y avait quand même à Berlin-Est des traditions artistiques variées. Il y a encore du travail à faire sur ce plan. Il en est un peu de même, sur le plan historique, au musée du Mur Checkpoint Charlie.
Ce n’est pas un hasard si c’est en Allemagne de l’Est que monte le plus l’extrême droite. Je pense que cela est lié en bonne partie à la manière dont la réunification s’est faite au détriment de l’Allemagne de l’Est et aux promesses non tenues de prospérité et d’émancipation par le marché — au lieu de quoi ils ont eu l’austérité, le néolibéralisme et le chômage. Dans le monde intellectuel et culturel, les places ont été conquises par des Allemands de l’Ouest — notamment à l’université, où les professeurs ont été révoqués.
Comment définiriez-vous l’archétype de l’intellectuel allemand, par rapport au français ? Est-ce que les universitaires allemands ont davantage tendance à participer au débat public ?
Tout dépend de la forme d’intervention. En Allemagne, il n’y avait pas de tradition de l’intellectuel critique comparable à celle de la France. Les universitaires étaient des notables intellectuels et les écrivains faisaient de l’art pour l’art — sauf bien sûr Bertolt Brecht, qui a renouvelé l’art théâtral, et d’autres. Il y avait une plus forte différenciation entre champ littéraire et champ universitaire qu’en France. En France, au moment de l’affaire Dreyfus, la mobilisation politique d’écrivains, d’universitaires et de juristes ensemble pour défendre son innocence peut être analysée comme une réaction à la professionnalisation du champ politique sous la République parlementaire, dont ils se voient exclus — alors qu’en Italie à la même époque, on pouvait être écrivain, professeur et homme politique.
Après la Seconde Guerre mondiale, on observe le transfert du modèle sartrien en Allemagne avec le Groupe 47 qui réfléchit à la fois au désastre que l’Allemagne a causé — la guerre, l’extermination de masse — et qui essaie de développer des pratiques littéraires plus engagées. On compte parmi eux Heinrich Böll, qui recevra le prix Nobel en 1972, et Günter Grass, qui le recevra en 1999.
Cette année-là, Grass et Bourdieu ont accepté de dialoguer à la télévision, et ce dialogue montrait la façon dont chaque tradition avait été marquée par l’autre : Grass incarnait la figure de l’écrivain engagé héritée de Sartre, et Bourdieu celle du grand professeur doté d’un fort capital symbolique, lui-même largement nourri de la pensée allemande (Kant, Husserl, Heidegger, Weber…).
Il y a aussi des figures plus contestées, comme Peter Handke. Il n’est pas allemand, mais autrichien, et s’ancre donc dans une tradition différente — beaucoup plus politisée — mais qui agit sur la scène allemande — il est édité par le grand éditeur allemand Suhrkamp. J’ai consacré un chapitre de Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ? à la polémique suscitée par son prix Nobel et due à ses engagements pro-serbes — en réalité en faveur de la Yougoslavie, et qui sont plus complexes que ce qui en a été dit. Handke se réclamait plutôt d’une tradition opposée à la littérature engagée, proche du nouveau roman et de l’art pour l’art. Son intervention se voulait littéraire, mais il a échoué par le recours à la littérature pour évoquer son « voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina », selon le titre de son essai, et pour parler, ou plutôt ne pas parler, du massacre de Srebrenica et des événements de la guerre.
Après la Seconde Guerre mondiale, on observe le transfert du modèle sartrien en Allemagne avec le Groupe 47.
Gisèle Sapiro
Dans vos différents écrits et dans le compte-rendu que vous faites de votre séjour au Wissenschaftskolleg, vous évoquez souvent la question de la langue allemande. Vous dites l’avoir apprise au lycée, puis à l’université, à Tel Aviv et enfin pendant votre séjour à Berlin où vous dites avoir relu la troisième critique de Kant — qui n’est pas la lecture plus aisée. Quel rapport entretenez-vous avec l’allemand ?
Le choix de l’allemand a sans doute à voir avec la hiérarchie symbolique des langues. J’en avais parlé un jour avec Abram de Swaan et lui disais qu’il ne s’agissait pas seulement de la centralité des langues parlées comme langues secondes mais aussi de leur capital symbolique. Quand, au lycée Carnot, j’ai dû choisir une deuxième langue étrangère, j’ai choisi l’allemand sans hésitation. Cela me semblait évident malgré ce que cela aurait pu impliquer pour une famille juive comme la mienne. Pour mes parents non plus, ce choix ne posait pas question. C’était, à leurs yeux, la deuxième langue de culture, après le français, même s’ils ne la maîtrisaient pas.
Quand nous avons émigré en Israël, j’ai dû interrompre l’apprentissage de l’allemand. Là-bas, devant apprendre, à treize ans, une nouvelle langue, l’hébreu, j’ai pris le français comme deuxième langue après l’anglais, au lieu de choisir l’allemand ou l’arabe. Je le regrette aujourd’hui pour ces deux langues.
Plus tard, quand j’ai commencé mes études de littérature comparée à l’université de Tel Aviv, il fallait choisir une deuxième langue étrangère après l’anglais. J’ai naturellement repris l’allemand. Je désirais tellement le réapprendre que j’ai même pris des cours particuliers, avec une amie, pour pouvoir lire Kafka — qui était un de mes auteurs cultes de jeunesse — Brecht et Hofmannsthal dans le texte.
Avec le retour en France, la thèse, la sociologie, j’ai fini par abandonner, même si je me disais parfois, en allant à Fribourg, qu’il faudrait que je suive un cours intensif. Et j’ai beaucoup perdu. Quand j’ai proposé mon projet au Wissenschaftskolleg, qui portait en partie sur l’Allemagne et la circulation historique du concept de désintéressement, je ne pensais pas vraiment reprendre l’allemand. Je me disais que les traductions suffiraient, dans la mesure où je ne travaillais pas directement sur des textes littéraires allemands.
Or le Wiko offrait la possibilité d’arriver un mois plus tôt, en août, pour suivre des cours intensifs. Je me suis dit que c’était peut-être ma dernière chance de réapprendre l’allemand. Je l’ai saisie. Cela fut difficile, et je ne maîtrise toujours pas la langue. Et, au départ, je ne savais même pas très bien pourquoi je voulais le réapprendre. Quand le professeur nous a demandé nos motivations, j’ai répondu presque au hasard que cela me permettrait peut-être de lire Kant dans le texte. Le lendemain, il est arrivé avec Was ist Aufklärung ? (« Qu’est-ce que les Lumières ? »), et nous avons commencé à le lire ensemble.
Ce fut une expérience incroyable. Je sais que c’est une banalité de le dire, mais on ne lit pas le même texte dans la traduction et dans l’original. Ce texte de Kant est en plus un moment de bascule dans l’histoire de la philosophie : c’est le moment où la pensée philosophique commence à s’écrire en allemand. Jusque-là, elle s’écrivait principalement en latin, et un peu en français depuis Descartes. On connaît du reste le problème des « intraduisibles » en philosophie.
En parallèle, j’ai lu — avec plus de difficulté encore — la fameuse conférence de Max Weber, Politik als Beruf. Plus difficile que Kant, étonnamment. Mais lire Weber – un de mes sociologues favoris — en allemand a été une expérience non moins marquante.
Le choix de l’allemand a sans doute à voir avec la hiérarchie symbolique des langues.
Gisèle Sapiro
Quel roman sur Berlin conseilleriez-vous ?
Berlin-Alexanderplatz d’Alfred Döblin.
C’est l’histoire d’un prisonnier libéré qui essaie en vain de se réinsérer.
Le roman nous fait sillonner le Berlin des années 1920, par le métro, le bus, les randonnées, et nous fait pénétrer les bas-fonds et les milieux interlopes, sur fond de montée du parti national-socialiste.
Döblin était un médecin et écrivain juif qui documentait la vie quotidienne berlinoise pour la presse. Après l’arrivée de Hitler au pouvoir, il s’est réfugié en France et a obtenu la nationalité française. Son roman avait été traduit chez Gallimard dès 1933, mais le style joycien avait été édulcoré.
Il fait partie des rares romans retraduits : la nouvelle traduction d’Olivier Le Lay rend son style très novateur pour l’époque. Il y a eu aussi plusieurs adaptations cinématographiques de ce roman culte, dont la célèbre série télévisée de Fassbinder, et plus récemment par le réalisateur afghan Burhan Qurbani, qui a choisi pour protagoniste un immigré africain, offrant ainsi une lecture très actuelle du roman.