Pourquoi la Russie de Poutine érige-t-elle de plus en plus de monuments à la gloire de Staline ?

Entre la chute de l’Union soviétique en 1991 et les années 2000, Staline était surtout associé à une période sombre de l’histoire de l’URSS et était avant tout remémoré pour le régime répressif, l’envoi de millions de personnes dans des Goulags, la collectivisation, les famines ou encore les grandes Purges de 1937-1938.

Cette perception a sensiblement évolué depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, et notamment suite à l’annexion illégale de la Crimée en 2014.

• Poutine n’a pas toujours parlé de Staline en des termes élogieux. En 2009, alors qu’il était Premier ministre sous Medvedev, l’actuel président russe critiquait le « culte de la personnalité » ainsi que « les crimes de masse » commis contre le peuple ¹.
• Après l’annexion de la Crimée, la rhétorique de lutte de la Russie contre « l’Occident collectif » et la promotion par Poutine de l’image d’une Russie comme citadelle assiégée ont contribué à la réhabilitation de la figure de Staline.
• La place de plus en plus centrale qu’occupe sa figure s’explique également par une disparition du débat public des voix qui mettaient en avant les crimes commis par le dictateur — au profit d’une mythification, qui passe notamment par la mise sous silence des crimes staliniens dans les manuels scolaires ².

Sur la centaine de monuments recensés en Russie par le média Можем объяснить (« Nous pouvons expliquer »), plus de 90 % ont été érigés depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000 ³. Depuis le début de l’année, leur rythme de construction semble avoir accéléré par rapport aux dernières années, passant de 7 par an en moyenne entre 2014 et 2023 à 9 au cours de la période janvier-mai 2025 seulement ⁴.

• Environ la moitié de ces bustes, statues et bas-reliefs sont érigés à l’initiative de particuliers, la plupart du temps regroupés en associations. C’est notamment le cas d’un buste doré de Staline installé en mai dans le village de Kaduy, dans l’oblast de Vologda, par le Comité régional du Parti communiste ⁵.
• Les autorités russes ont quant à elles installé ces derniers mois plusieurs monuments à la gloire de Staline sur des places publiques, à proximité de maisons où le dictateur a vécu ou bien dans le métro, comme à la station moscovite de Taganskaïa le mois dernier.

• Ici, le bas-relief représentant Staline au milieu d’enfants lui tendant des bouquets de fleurs consiste en une reproduction bas de gamme d’un monument construit en 1945 puis détruit en 1965 à la fin de la campagne de déstalinisation engagée sous Khrouchtchev ⁶.

La « re-stalinisation » à l’œuvre au cours de la dernière décennie dépasse les frontières de la Russie. En mai, un buste de Staline a été inauguré à Melitopol, ville ukrainienne de l’oblast de Zaporijia occupée depuis mars 2022 par l’armée russe. En 1932, le dictateur avait volontairement aggravé la famine qui sévissait en Ukraine afin d’éradiquer le « nationalisme » ukrainien, « perçu comme la plus grave menace à la construction de l’URSS » selon Nicolas Werth. Près de 4 millions d’Ukrainiens sont morts de faim entre 1931 et 1933.