Points clefs
- Depuis le 13 juin, les opérateurs humains de terrain, les petits drones FPV, les plus gros drones de surveillance ou les missiles Spike contrôlés par Internet en plein Iran se sont ajoutés aux F-15 et F-16 de plus de quarante ans qui jouent les « camions à bombes » dans un ciel iranien dégagé de toute menace.
- Cette maîtrise est servie par un processus de ciblage combinant lui aussi les capteurs les plus modernes et les plus rustiques, depuis le satellite jusqu’à la webcam piratée, avec une excellente fusion de données et une boucle de décision particulièrement réactive, à plus de 2000 kilomètres des bases métropolitaines.
- L’opération Am Kalavi pourrait porter une leçon difficile pour l’Europe : la dissuasion seule ne suffit plus. En combinant attaques sur les nœuds cruciaux des réseaux, frappes par drones sur les bases critiques et élimination ciblée des dirigeants, il serait possible de paralyser un pays comme la France.
- Si dans les années à venir un conflit survenait aux frontières orientales de l’Europe ou autour de Taïwan, la Russie ou la Chine, cherchant une forme de « fait accompli », pourrait espérer neutraliser la capacité de réaction des deux puissances nucléaires européennes le temps qu’elle sanctuarise son agression, rendant par la suite la réplique bien plus lente, coûteuse, difficile à assumer politiquement — et donc aléatoire.
L’attaque israélienne initiée contre l’Iran le 13 juin 2025 marque déjà une nouvelle étape de la transformation durable de la situation stratégique mondiale. Loin d’être une nouvelle « crise » au sens d’une déviation passagère et localisée d’une situation nominale stable et prévisible, elle est un avatar représentatif de notre époque, qui conjugue guerre et diplomatie, violence et coopération, commerce et hostilité, organisation technologique du monde et désorganisation des institutions.
Bien qu’il soit encore difficile d’analyser et de mettre en perspective l’ensemble de la séquence, on peut articuler quelques remarques à partir d’une observation des actions et des déclarations des différents protagonistes pour tenter d’en dégager sinon une rationalité — démarche bien européenne — du moins quelques pistes de réflexion sur ce que cet affrontement montre d’une nouvelle manière de faire la guerre dans la région.
1 — Le grand contexte d’une attaque et les raisons d’une occasion
À la question « Quels sont alors les buts d’Israël et pourquoi maintenant ? » il est tentant de répondre par une formule : « le chemin est sans doute plus important que la destination ».
Il n’est pas certain que Benjamin Netanyahou soit à la recherche d’un « état final » défini, pas plus « Iran dénucléarisé » que « changement de régime ». En choisissant de prendre l’initiative, il fixe le tempo et devient de fait le maître des horloges. L’usage de la force doit par ailleurs lui permettre d’altérer durablement en faveur d’Israël le rapport de force avec Téhéran. Détruire — sans trop de conséquences pour Israël — le système de défense aérienne et de frappe balistique de l’Iran ne peut être que profitable, tout comme le retardement du programme nucléaire.
Les motivations de Benjamin Netanyahou quant au moment s’expliquent en partie par la situation intérieure d’Israël.
Venant d’échapper de justesse à un vote de défi à la Knesset, confronté au fiasco de sa stratégie à Gaza et responsable d’un désastre humanitaire sans précédent dans l’exclave palestinienne 1, le premier ministre israélien doit sans cesse « agir » pour continuer de garder la main en Israël et imposer son tempo aux différences forces politiques.
Alors que l’armée israélienne n’a plus, au sol, de marge de manœuvre et engage la totalité de ses effectifs possibles à Gaza, que l’économie du pays souffre et que l’opinion s’impatiente pour le destin des otages, il fallait à la fois « faire quelque chose » et construire un récit qui puisse justifier, le cas échéant, un retrait ou une nouvelle transformation de la stratégie au sol à Gaza.
Il n’est pas certain qu’un « état final recherché » ait été défini par Benjamin Netanyahou.
Stéphane Audrand
2 — Désinhibition : la disparition des « tabous régionaux » dans le Moyen-Orient post-7 Octobre
Cette attaque ne doit pas être analysée au seul prisme de l’histoire du programme nucléaire iranien.
Pour Benjamin Netanyahou, il s’agit d’exploiter la nouvelle situation géopolitique créée le 7 octobre 2023.
L’attaque du Hamas a donné au gouvernement israélien l’opportunité de rompre radicalement moins avec un « ordre international » qu’avec des « rites régionaux » de la violence, solidement installés depuis la fin des années 1990. Profitant de la dégradation de la situation internationale et se sachant relativement libre de toute coercition de la part de son protecteur américain ou de ses voisins arabes, le premier ministre israélien a désormais engagé une redéfinition massive du rapport de force avec les Palestiniens et l’Iran.
Des ambitions maximalistes — voire messianiques — sont à l’œuvre, et il n’est même pas certain qu’un « état final recherché » ait été défini par Benjamin Netanyahou.
L’emploi de la force semble se suffire à lui-même, pour imposer son tempo à la région, avec la conviction sans doute que des opportunités naîtront des victoires militaires. Encore faut-il le faire sinon légitimement, au moins « au bon moment ». À ce titre, les réactions européennes sont toujours — parce qu’elles sont issues d’appareils politiques d’une autre époque — focalisées sur une analyse de légitimité.
« Israël a-t-il le droit de frapper l’Iran ? » — sans être dénuée en soi de pertinence, cette question n’est sans doute plus dans l’esprit d’aucun dirigeant régional.
Seule compte pour l’heure la compréhension de l’action : à ce titre, il faut admettre la grande maîtrise israélienne.
3 — Maîtriser le temps long, saisir l’occasion : la campagne d’Iran et la guerre de vingt ans de Netanyahou
L’opposition entre l’Iran et Israël est le « conflit d’une génération ».
Alors que les deux États avaient longtemps été sinon alliés au moins raisonnablement proches face à des adversaires arabes régionaux, une hostilité mutuelle croissante a émergé au début des années 2000. L’ascension des Gardiens de la Révolution, la volonté de la droite israélienne de rompre avec l’ère des compromis des années 1990, le dévoilement public du programme nucléaire militaire iranien en 2002, l’invasion américaine de l’Irak en 2003 ou la guerre de 2006 contre le Hezbollah furent autant d’étapes vers une « ère de conflit » entre les deux pays, que cela soit pour la domination régionale ou la survie politique de leurs dirigeants respectifs.
L’opération Rising Lion est donc le fruit de longues années de préparation de la part d’Israël.
L’idée de frapper le programme nucléaire iranien est débattue depuis le milieu des années 2000 et depuis vingt ans, malgré les appels de certains « faucons » qui en relativisaient les risques, le point de vue politique dominant dans la sphère occidentale était que le risque de déstabilisation régionale induit par une attaque militaire était trop grand au regard des possibilités offertes par la combinaison de la pression des sanctions et des négociations.
Pendant ces vingt années, Israël a « construit » patiemment un scénario de frappe, avec une approche systémique rigoureuse. La combinaison de moyens humains et technologiques est frappante dans l’attaque du 13 juin 2025. Elle a donné à Israël sur le temps long une connaissance extrêmement pointue du régime iranien, de ses décideurs, de ses installations, de ses moyens, de ses processus, de ses forces et de ses vulnérabilités.
Cette acquisition d’une connaissance intime de l’adversaire, traduite en un ciblage très précis, s’est accompagnée, là encore sur le temps long, d’une construction d’un système de forces d’une remarquable cohérence par rapport aux besoins nationaux d’Israël. Le pays a consenti à un effort de défense très important et a bénéficié des largesses américaines. Il dispose à la fois d’une capacité de frappe puissante, réactive et efficace, dans tous les milieux, d’une capacité d’action clandestine combinant sabotages, drones, cyberattaques et psy ops, mais aussi d’une capacité défensive d’une grande robustesse, dans tout le spectre.
Si cette défense a pu être contournée « par le bas » le 7 octobre 2023, elle s’avère très robuste « par le haut », de la destruction des drones et roquettes aux interceptions exo atmosphériques de missiles balistiques. La défense aérienne du territoire israélien — facilitée il est vrai par sa petite taille — démontre qu’une puissance se construit sur le temps long, avec persévérance et sacrifices.
Pendant vingt ans, Israël a « construit » patiemment un scénario de frappe, avec une approche systémique rigoureuse.
Stéphane Audrand
Cette maîtrise du temps long a permis de créer une planification poussée de la frappe, adaptée à l’évolution de l’adversaire et de ses propres capacités.
Mais elle n’aurait servi à rien sans une maîtrise de moment propice, une capacité à savoir saisir l’instant de l’action ou à le créer.
En détruisant le potentiel du Hezbollah et du Hamas, Israël a, depuis octobre 2023, considérablement affaibli la stratégie régionale de dissuasion de l’Iran. En subissant deux salves iraniennes et en menant les premières frappes sur l’Iran en 2024, les Israéliens ont affiné leur connaissance du dispositif adverse.
La frappe du 13 juin est intervenue au « meilleur moment » pour Israël : après le délai de 60 jours donné par Donald Trump à l’Iran pour parvenir à un accord, juste après le vote de survie du gouvernement Netanyahou et alors que se profilait une conférence internationale favorable à la solution à deux États, finalement reportée.
On peut penser aussi que la frappe israélienne est intervenue au « meilleur moment » en termes d’alignement des cibles, et notamment de vulnérabilité des différents décideurs et scientifiques devant être éliminés.
4 — Cibler, dominer, détruire : le retour en grâce de la puissance aérienne
On l’a beaucoup écrit à propos du conflit en Ukraine : la puissance aérienne semblait avoir atteint ses limites face au déni d’accès et il y avait un risque que les forces aériennes — ce coûteux instrument par lequel les Occidentaux établissaient une bonne part de leur domination militaire depuis les années 1990 — se retrouvent déclassées ou réduites à l’incapacité d’agir en phase initiale des conflits, incapables d’établir une domination aérienne. Après tout, les compétiteurs investissaient depuis le début de la guerre froide dans la défense et il était à craindre que la puissance aérienne ne se soit essoufflée face aux progrès du déni d’accès.
Il n’en a rien été en ce qui concerne Israël.
L’armée israélienne a démontré à la fois une maîtrise peu commune des opérations aériennes combinées (COMOPS) et affiché une disponibilité remarquable de ses appareils, malgré plus de vingt mois d’opérations intenses et variées.
En quelques jours, l’armée de l’air israélienne est parvenue à monter une opération qui a écrasé la défense aérienne iranienne, déstructurant son organisation et détruisant une bonne partie de ses lanceurs tout en décapitant son appareil de décision.
Il faut noter d’ailleurs que les éliminations « ciblées » de chefs militaires ont un effet sans doute plus important qu’on ne le pense sur le temps long : d’une part, bien que l’Iran dispose d’un réservoir humain d’officiers compétents, toute élimination induit une désorganisation plus ou moins durable de la chaîne de commandement tout en exacerbant les rivalités individuelles et de coteries pour le remplacement des postes de pouvoir. En outre, sur le temps long, le pyramidage des carrières est perturbé et une angoisse du quotidien s’instille dans le commandement, ce qui est délétère pour la prise de décision sereine.
Au-delà de la « simple frappe » de quelques installations du programme nucléaire, c’est bien l’anéantissement d’une défense aérienne iranienne fonctionnelle qui est la grande réussite de cette première phase, associée à une destruction non moins cruciale des capacités balistiques, par le ciblage des sites de production et surtout des lanceurs.
Ce point est d’autant plus remarquable que la chasse aux transports de missiles avait laissé, après 1991, l’impression d’une grande difficulté et que le développement des capacités balistiques sol-sol des compétiteurs stratégiques de l’Occident (Russie, Chine, Iran, Corée du Nord) reposait beaucoup sur ces moyens décentralisés et, en apparence, insaisissables.
5 — High-low mix et art du commandement : la mobilisation d’une synergie technologique et humaine
Si Israël maîtrise l’emploi des technologies les plus modernes — chasseurs furtifs, intercepteurs exo-atmosphériques et missiles aérobalistiques — le succès de ses frappes ne se réduit pas à une simple domination technique.
Cet ascendant est avant tout de nature organisationnelle.
Le système de forces a ainsi mis en œuvre un remarquable « high-low mix », combinant des technologies de pointe et d’autres beaucoup plus anciennes ou rustiques. Les opérateurs humains de terrain, les petits drones FPV, les plus gros drones de surveillance ou les missiles Spike contrôlés par Internet en plein Iran se sont ainsi ajoutés aux F-15 et F-16 de plus de quarante ans qui jouent les « camions à bombes » une fois le ciel dégagé des menaces, le tout servi par un processus de ciblage combinant lui aussi les capteurs les plus modernes et les plus rustiques, depuis le satellite jusqu’à la webcam piratée, avec une excellente fusion de données et une boucle de décision particulièrement réactive — à plus de 2000 kilomètres des bases métropolitaines.
Si d’autres pays, dont la France, pourraient sans doute, en pareille situation, développer des frappes remarquablement efficaces, il n’est pas certain qu’ils seraient possible d’atteindre un aussi haut niveau de coordination des capteurs et des effecteurs, avec une telle synergie technologique.
L’efficacité israélienne prouve que tant qu’un matériel peut être maintenu en condition opérationnelle pour produire un effet utile, il n’est pas obsolète
Stéphane Audrand
Ce point incite à reconsidérer la notion d’obsolescence : l’efficacité israélienne prouve que tant qu’un matériel peut être maintenu en condition opérationnelle pour produire un effet utile, il n’est pas obsolète. La furtivité n’est pas l’alpha et l’oméga de la puissance aérienne : la chaîne de commandement importe tout autant.
6 — Faire confiance au chaos et augmenter l’entropie
S’il n’est pas sûr que Benjamin Netanyahou ait défini un but précis, il serait trompeur de croire que les frappes ne « changeront rien » en ne faisant que « retarder l’échéance ».
Là encore, ce serait raisonner en fonction d’un état stable de la situation stratégique à laquelle on ne reviendra pas.
En se donnant quelques années supplémentaires avant que l’Iran ne soit vraiment en capacité de disposer d’un arsenal nucléaire crédible, Israël se donne du temps, à la fois pour renforcer ses défenses aériennes et pour pousser le régime iranien aux limites de sa capacité à se maintenir au pouvoir.
Une lecture pragmatique de la séquence pourrait porter à croire que Benjamin Netanyahou cherche moins un « changement de régime » qu’un « accroissement de l’entropie » en Iran ; et qu’une « dénucléarisation », sans doute une situation où Israël serait à l’abri de toute frappe iranienne crédible, quitte à « tondre la pelouse » régulièrement, maintenant que le ciel iranien est ouvert aux appareils israéliens et que le tabou de l’emploi de la force est brisé.
Dans un monde médiatique où chaque évènement est déclaré « sans précédent », on s’habitue très vite à tout — même à des drones israéliens au-dessus de Téhéran.
Pour l’heure, le seul tabou qui tient encore est celui de l’emploi en premier de l’arme nucléaire.
7 — La persistance du fait nucléaire entre l’Iran et Israël
Comme toujours entre grandes puissances, l’arme nucléaire est au cœur du conflit, en surplomb — agissant comme une ombre portée sur son développement.
La bombe structure tous les grands affrontements en cours : entre la Russie et l’Ukraine, entre l’Inde et le Pakistan, entre Israël et l’Iran — et même entre la Chine et Taiwan.
Il n’est pas une puissance militaire qui émerge et qui, lorsque se pose la question de sa survie par les armes, ne se pose pas la question nucléaire, soit par l’acquisition de la bombe, soit par l’atteinte d’une forme de seuil y menant, soit par l’obtention de garanties de sécurité émanant d’une puissance nucléaire.
Ces dernières années, on a pu entendre des déclarations turques ou polonaises en ce sens, des interrogations en Corée du Sud ou en Ukraine. Au-delà de l’inexorable persistance du « fait » nucléaire, il faut pourtant se méfier de son avenir conceptuel. Il n’y a pas de rapport de cause à effet entre l’existence d’une arme nucléaire et l’établissement d’une dissuasion et il ne faut pas croire que seul un corpus idéologique de l’équilibre de la terreur peut être édifié, sur la base d’une grammaire largement façonnée par des penseurs occidentaux pendant la Guerre froide. On sait par exemple que l’adhésion de la Chine aux concepts de dissuasion a été longue et incertaine et toutes les puissances nucléaires n’ont pas, même en Occident, la même notion du mot « dissuader ».
Une lecture pragmatique de la séquence pourrait porter à croire que Benjamin Netanyahou cherche moins un « changement de régime » qu’un « accroissement de l’entropie » en Iran.
Stéphane Audrand
Dans la mesure où l’on sait relativement peu de choses de la « doctrine » israélienne et de ses limites, il faut se garder de projeter nos propres concepts avec trop de certitude.
Le conflit en cours entre l’Iran et Israël questionne indéniablement le fait nucléaire.
D’une part, il montre — comme les frappes ukrainiennes sur les bases stratégiques russes — que frapper une puissance nucléaire sur son territoire national au moyen de drones ou même de missiles balistiques, n’est pas un acte « suffisant » dans l’absolu pour franchir le seuil nucléaire. Dans un sens, le tabou d’emploi de l’arme sort renforcé de la séquence et on sent bien, notamment en Europe, qu’il serait difficile de « répondre à un drone avec un M51 ». Plus largement, la transition d’une relative « stabilité stratégique » vers une ère du « chaos permanent » aura forcément des impacts sur les doctrines et les capacités des puissances nucléaires, tant par le maintien d’une forme de « posture de vigilance » renforcée que par l’apparition de nouvelles formes de « frappes de décapitation ».
Il faut noter aussi que si le seuil d’emploi de l’arme se relève pour les puissances nucléaires, il se relève aussi mécaniquement encore d’avantage pour l’emploi au profit de la sauvegarde d’un allié, si ce concept a encore un sens…
8 — À l’heure des prédateurs, « être allié » pourrait être un concept seulement occidental
Comme le précédent syrien, le cas iranien montre que les accords de coopérations et d’associations ne sont absolument pas pensés par leurs signataires comme des formes d’alliance militaire.
Nombreux sont les analystes qui croient voir depuis des années l’émergence d’un « bloc » appelé à devenir coalition militaire contre l’Occident, tantôt nommé « Sud Global », tantôt incarné par les BRICS ou l’organisation de Shanghaï. Pourtant, à chaque nouveau conflit, on voit à quel point l’idée même d’une intervention au profit d’un autre État est absente de l’esprit des dirigeants des États qui participent à ces formats multilatéraux. La Russie n’est pas intervenue pour sauver la Syrie lors de la séquence récente qui a abouti à la chute du régime. L’Inde et la Chine, pourtant membres des BRICS, ne bougent pas vis-à-vis de l’Ukraine — se contentant d’une lucrative coopération commerciale avec la Russie. La Chine aide le Pakistan mais pas au point d’une solidarité face à l’Inde.
Ce qui ressort des derniers conflits, du Haut Karabagh à l’Iran, c’est que l’émergence des nouvelles puissances crée beaucoup de loups solitaires : ils hurlent en meute mais combattent seuls. L’idée de s’unir lorsque le péril survient reste un réflexe très occidental, et finalement très européen. C’est même la marque de fabrique de l’Europe que de suivre une forme de « réflexe de solidarité » lorsque les crises surviennent, là où le repli sur soi est le réflexe ailleurs.
La solidité de la solidarité de l’espace européen — membres et non membres de l’Union — face à la Russie depuis février 2022 en est la démonstration.
9 — À Washington, l’entrée en guerre d’une Cour féodale divisée
Cette attitude européenne de fidélité aux alliances contraste singulièrement avec le débat stratégique actuel à Washington.
Entre pression et intervention, Donald Trump a tranché dimanche 22 juin : aux alentours de 2h du matin, heure de Paris, six bombardiers américains ont largué douze bombes GBU-57 MOP sur les trois sites nucléaires iraniens de Fordo, Natanz et Ispahan avec pour objectif de détruire le programme nucléaire iranien.
Cette séquence marque le retour d’entre les morts politiques de la tendance néo-conservatrice.
Mais les débats avec les isolationnistes « restrainers » ou les « selective restrainers » partisans d’une intervention « juste pour Israël » ne portent pas que sur des questions rationnelles. Ils se disputent tous le titre de « true MAGA » et en ordonnant des frappes contre trois sites nucléaires iraniens, Trump a fait un pari risqué.
En assumant attaques sur les nœuds cruciaux des réseaux, frappes par drones sur les bases critiques et élimination ciblée des dirigeants, il serait possible de paralyser un pays comme la France.
Stéphane Audrand
Le conflit entre l’Iran et Israël est donc une nouvelle démonstration de la vulnérabilité politique européenne — en l’occurrence soumise à l’imprévisibilité de la Maison-Blanche.
10 — La puissance des actions « sous le seuil » et la nouvelle vulnérabilité européenne
Mais cette vulnérabilité est aussi militaire tant il est vrai que l’affrontement actuel met en lumière notre impréparation face aux modes d’action qu’Israël met en œuvre contre l’Iran ou que l’Ukraine met en œuvre contre la Russie.
Non pas que l’Iran risque de nous attaquer — il n’aurait pas grand-chose à y gagner — mais parce qu’en démontrant la pertinence de certains modes d’action face à des pays insuffisamment défendus, on expose, dans un cas comme dans l’autre, à la fois 1°) la facilité qu’il y a à paralyser un grand pays et 2°) l’insuffisance de la seule dissuasion nucléaire pour neutraliser de tels modes d’action.
Longtemps, les actions « sous le seuil » ont ainsi semblé incapables d’infliger des dommages sérieux.
Ce n’est plus le cas.
En combinant attaques sur les nœuds cruciaux des réseaux, frappes par drones sur les bases critiques et élimination ciblée des dirigeants, il serait possible de paralyser un pays comme la France.
Si dans les années à venir un conflit survenait aux frontières orientales de l’Europe ou autour de Taïwan, la Russie ou la Chine, cherchant une forme de « fait accompli », pourrait espérer neutraliser la capacité de réaction des deux puissances nucléaires européennes le temps qu’elle sanctuarise son agression, rendant par la suite la réplique bien plus lente, coûteuse, difficile à assumer politiquement et donc aléatoire.
Ce mode d’action est aussi à la portée d’autres compétiteurs qui pourraient vouloir nous paralyser, pour attaquer nos alliés ou nos outremers. Le nombre de candidats ne manque hélas pas. Le renforcement de nos propres capacités de déni d’accès et un changement de mentalité sur la perception des menaces sur nos territoires est donc, dans tout l’espace européen, particulièrement urgent.
Sources
- Il n’est jamais inutile de rappeler que la bande de Gaza n’est pas une « enclave » qui serait complètement entourée par Israël, mais bien une « exclave », comme l’oblast de Kaliningrad c’est-à-dire un territoire séparé des autres territoires auquel il est politiquement rattaché (la Cisjordanie) par plusieurs pays — en l’occurrence Israël et l’Égypte.