Une libération partielle du cadre du frein à l’endettement

« Au vu des menaces envers notre liberté et envers la paix sur notre continent, il faut pour notre défense appliquer désormais le principe du ‘Whatever it takes’ »  a affirmé Friedrich Merz lors d’une conférence de presse commune avec les principaux négociateurs des partis, à Berlin, mardi 4 mars au soir.

  • Sur la défense, il ne sera pas question d’un nouveau « fonds spécial » (Sondervermögen) sur le modèle de celui adopté en 2022, mais d’un assouplissement durable du frein à l’endettement (Schuldenbremse), inscrit dans la loi fondamentale allemande en 2009. 
  • Ainsi, après la réforme annoncée ce soir, toutes les dépenses de défense au-delà de 1 % du PIB seront exclues du calcul du frein à l’endettement. Cela évite notamment de fixer une limite supérieure à la dépense qui obligerait ensuite à des modifications répétées de la Loi fondamentale, tout en maintenant le principe du frein à l’endettement auquel sont attachés les conservateurs de la CDU/CSU. 

Le 25 février dernier, Friedrich Merz excluait encore la possibilité d’une remise en cause du frein à la dette : «  Il est exclu que nous réformions le frein à l’endettement à court terme, si toutefois cette réforme a lieu, cela demande un travail important et difficile. Je lis aussi qu’il y a déjà des spéculations sur la création d’un nouveau fonds spécial. Nous en discutons, mais il est bien trop tôt pour en parler. Je considère cela comme difficile à l’heure actuelle  ». 

  • En outre, un fonds spécial de 500 milliards sera levé pour financer une remise à niveau des infrastructures du pays. Sur l’ensemble de ce fonds spécial, 100 milliards devraient être affectés aux seize Länder constitutifs de la République fédérale d’Allemagne.

Selon une enquête publiée par le Grand Continent, 55 % des Allemands sont favorables à une relaxation ou à une suppression du frein à l’endettement, le nom donné aux règles budgétaires inscrites en 2009 dans les articles 109 et 115 de la Loi fondamentale du pays. 

Des précédents efforts budgétaires parfois mal reçus en Europe

En 2020 durant la pandémie du COVID 19, l’Allemagne, alors gouvernée par une grande coalition entre l’Union et le SPD, avait lancé un grand plan de relance baptisé familièrement « Wumms », orchestré, déjà à l’époque, par une alliance entre le ministre de l’économie Peter Altmeier (CDU) et le ministre des finances Olaf Scholz (SPD). 

  • Dans la coalition suivante en « feu tricolore »  (SPD, Verts, FDP), Olaf Scholz avait surenchéri sur sa proposition par un « Doppelwumms ». Ce plan ambitieux à 200 milliards, pour aider les ménages et les entreprises à faire face aux distorsions économiques causées par l’inflation des prix de l’énergie avait cependant causé un certain malaise en Europe. 
  • En effet l’initiative avait été présentée sans tenir compte des conséquences pour les partenaires européens, notamment la France. 
  • En 2022, suite à l’invasion de l’Ukraine et au discours du chancelier Olaf Scholz annonçant un changement d’époque, la coalition en feu tricolore avait annoncé une réforme constitutionnelle donnant naissance au premier fonds spécial (Sondervermögen Bundeswehr) dédié exclusivement à la remise à niveau des forces armées allemandes et doté de 100 milliards d’euros. La réforme avait reçu le soutien du groupe d’opposition CDU/CSU dirigé alors par Friedrich Merz. 
  • Aujourd’hui, le nouveau projet, qui combine l’approche déjà éprouvée du fonds spécial et celle, nouvelle, de l’assouplissement durable du frein à la dette, est sciemment adoptée avec l’Europe en ligne de mire. Comme l’a souligné mardi soir le chef de la CSU bavaroise, Markus Söder « Nous envoyons un signal à nos amis et à nos adversaires. L’Allemagne est là. L’Allemagne ne se met pas en retrait ».

Une réforme constitutionnelle attendue

La Zeitenwende de Merz repose cependant sur un « tour de passe-passe » parlementaire. 

  • Des motions seront soumises dès la semaine prochaine pour une modification de la Loi fondamentale allemande, qui demande une majorité des deux tiers. Celle-ci existe seulement dans l’ancien Bundestag, mais elle ne sera plus possible après le 25 mars prochain et l’entrée en vigueur du nouveau parlement, Die Linke et Alternative für Deutschland (AfD), hostiles à un assouplissement du frein à l’endettement pour financer des dépenses de défense et/ou le soutien à l’Ukraine disposeront d’une minorité de blocage d’un tiers des sièges.

Par ailleurs, le vote du texte avec les voix des députés Verts va placer le parti dans une situation d’influence indirecte et de « soutien sans participation » au gouvernement, situation relativement inédite dans le paysage politique allemand, où la participation gouvernementale est intimement liée à la conclusion solennelle d’un accord de coalition.