Géopolitique de Donald Trump

« Nous défendrons le Canada » : la réponse de Trudeau aux tarifs de Trump

Dans un discours adressé à la fois à ses concitoyens et aux habitants des États-Unis, Justin Trudeau a annoncé que le Canada répondrait à l’attaque commerciale de Trump en imposant des droits de douane de 25 % sur des produits américains d'une valeur de 155 milliards de dollars en encourageant les Canadiens à consommer localement. Alors que Trump et Trudeau doivent échanger dans la journée, nous traduisons ce discours clef qui pourrait avoir des conséquences majeures pour les deux pays.

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Le Grand Continent
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© Justin Tang/The Canadian Press via AP

Depuis son investiture le 20 janvier, le président américain avait joué à plein de la menace d’imposition de droits de douane — sans distinction partenaires et adversaires des États-Unis parmi les pays visés et sans adopter une approche systématique et universelle, comme il l’avait promis au cours de la campagne.

Le samedi 1er février, Donald Trump a annoncé l’entrée en vigueur de tarifs douaniers de 25 % sur les biens en provenance du Mexique et du Canada — sauf sur le pétrole canadien, où ils seraient limités à 10 % — et de 10 % sur la Chine. 

Cet acte inaugure une ère de guerre commerciale. Contrairement à ce que plusieurs personnalités de haut niveau avaient affirmé  depuis le début de son mandat, Trump a déclaré explicitement qu’il ne s’agissait pas d’une stratégie de négociation : « Ce n’est pas un outil de négociation mais une question purement économique. Comme vous le savez, nous avons d’importants déficits commerciaux avec ces trois pays ».

Dans la même journée, Justin Trudeau a prononcé un important discours, par lequel il annonce mettre en œuvre à partir du mardi 4 février des mesures de représailles à la hauteur de l’attaque commerciale américaine, tout en rappelant les liens historiques forts entre les deux voisins nord-américains.

Au-delà de la fermeté de la réponse — qui contraste pour l’instant avec l’attitude de l’Union européenne, contre laquelle Trump a également annoncé que des tarifs douaniers seraient mis en place — le Premier ministre canadien a encouragé les Canadiens à privilégier une consommation d’origine nationale, tout en les appelant à l’unité avant les temps « sombres » qui s’ouvrent pour eux.

Comme l’a annoncé dimanche le président américain, Donald Trump et Justin Trudeau doivent échanger dans la journée.

Aujourd’hui, les États-Unis nous ont informés qu’ils allaient imposer des droits de douane de 25 % sur les exportations canadiennes vers les États-Unis et de 10 % sur l’énergie canadienne. Une décision qui, si les États-Unis décident d’y donner suite, devrait entrer en vigueur le mardi 4 février. Cette décision met en péril la relation entre les deux pays et à travers elle une source de prospérité, de richesse et d’opportunités des deux côtés de la frontière.

Ce soir, je souhaite d’abord m’adresser directement aux Américains, nos amis et voisins les plus proches. C’est un choix qui va nuire aux Canadiens, mais au-delà de cela, il aura des conséquences réelles pour vous, le peuple américain. Comme je l’ai toujours dit, les droits de douane imposés au Canada mettront vos emplois en péril, ce qui pourrait entraîner la fermeture d’usines d’assemblage d’automobiles et d’autres installations industrielles américaines. Ils augmenteront les prix chez vous, y compris ceux de la nourriture dans les supermarchés et de l’essence à la pompe. Ils rendront plus coûteux l’approvisionnement en produits vitaux pour la sécurité des États-Unis, tels que le nickel, la potasse, l’uranium, l’acier et l’aluminium. Ils violeront l’accord de libre-échange que le président et moi-même, ainsi que notre partenaire mexicain, avons négocié et signé il y a quelques années.

Par la voix de sa ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, qui s’était rendue à Washington mercredi 29 janvier pour rencontrer son homologue Marco Rubio — la première visite depuis l’entrée en fonction du secrétaire d’État — le gouvernement canadien avait déjà fait savoir qu’il répondrait à une attaque commerciale de Washington. Mélanie Joly avait ainsi déclaré : « J’ai dit clairement que si des droits de douane étaient imposés, nous prendrions des mesures de rétorsion et que tout serait sur la table ». Dans son discours Justin Trudeau met en pratique cette réponse en annonçant une série de mesures quelques heures seulement après les annonces de Donald Trump.

Mais il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. Comme l’a dit le président John F. Kennedy il y a de nombreuses années, la géographie a fait de nous des voisins, l’histoire, des amis, l’économie, des partenaires, et la nécessité, des alliés. Cela a été vrai pendant de nombreuses décennies avant le mandat du président Kennedy et au cours des décennies qui ont suivi. Des plages de Normandie aux montagnes de la péninsule coréenne, des champs de Flandre aux rues de Kandahar, nous avons combattu et sommes morts à vos côtés. Durant vos heures les plus sombres, pendant la crise iranienne des otages, ces 444 jours, nous avons travaillé 24 heures sur 24 depuis notre ambassade pour que vos compatriotes innocents puissent rentrer chez eux. Durant l’été 2005, lorsque l’ouragan Katrina a ravagé votre grande ville de la Nouvelle-Orléans ou bien, il y a quelques semaines à peine, lorsque nous avons envoyé des canadairs pour lutter contre les incendies de forêt en Californie. Le jour où le monde s’est arrêté, le 11 septembre 2001, lorsque nous avons offert un refuge aux passagers et aux avions bloqués, nous étions toujours là, à vos côtés, en deuil avec vous. Ensemble, nous avons construit le partenariat économique, militaire et sécuritaire le plus fructueux que le monde ait jamais connu. Une relation que le monde entier envie.

Nous avons eu des différends dans le passé, mais nous avons toujours trouvé un moyen de les surmonter. Comme je l’ai déjà dit, si le président Trump veut inaugurer un nouvel âge d’or pour les États-Unis, la meilleure voie est de s’associer au Canada, et non de nous punir. Le Canada possède des minéraux essentiels, une énergie sur laquelle on peut compter et abordable, des institutions démocratiques stables, des valeurs communes et les ressources naturelles dont vous avez besoin. Le Canada possède les ingrédients nécessaires à la mise en place d’un partenariat prospère et sûr pour l’économie nord-américaine et nous sommes prêts à travailler ensemble.

Prenons un moment pour parler de notre frontière commune. Elle est déjà sûre et sécurisée mais il reste toujours du travail. Moins de 1 % du fentanyl et moins de 1 % des entrées illégales aux États-Unis proviennent du Canada. Mais en entendant les préoccupations des Canadiens et des Américains, y compris du président américain lui-même, nous agissons. Nous avons lancé un plan frontalier de 1,3 milliard de dollars qui porte déjà ses fruits, car nous sommes nous aussi dévastés par le fléau du fentanyl, une drogue qui a déchiré des communautés et causé tant de douleur et de tourments à d’innombrables familles à travers le Canada, tout comme aux États-Unis. Une drogue que nous voulons voir disparaître de la surface de la terre. Une drogue dont les trafiquants doivent être punis. En tant que voisins, nous devons travailler en collaboration pour résoudre ce problème.

Malheureusement, les mesures prises aujourd’hui par la Maison Blanche nous divisent au lieu de nous rassembler. 

Ce soir, j’annonce que le Canada répondra à l’action commerciale des États-Unis en imposant des droits de douane de 25 % sur des produits américains d’une valeur de 155 milliards de dollars. Cette mesure comprendra des droits de douane immédiats sur 30 milliards de dollars de marchandises dès mardi, suivis de droits de douane supplémentaires sur 125 milliards de dollars de produits américains dans 21 jours, afin de permettre aux entreprises et aux chaînes d’approvisionnement canadiennes de trouver des solutions de remplacement.

Notre réponse sera de grande envergure et portera sur des produits de consommation courante tels que la bière, le vin et le bourbon américains, les fruits et les jus de fruits, y compris le jus d’orange, ainsi que les légumes, les parfums, les vêtements et les chaussures. Elle portera également sur des produits de consommation courante tels que les appareils électroménagers, les meubles et les équipements sportifs, ainsi que sur des matériaux tels que le bois de construction et les matières plastiques, et bien d’autres choses encore. Dans le cadre de notre réponse, nous envisageons avec les provinces et les territoires plusieurs mesures non tarifaires, dont certaines concernent les minéraux essentiels, les achats d’énergie et d’autres partenariats. Nous défendrons le Canada. Nous ferons tout notre possible pour que nos pays continuent à être les meilleurs voisins du monde.

Cela étant dit, je tiens également à m’adresser directement aux Canadiens en ce moment. Je suis sûr que beaucoup d’entre vous sont anxieux, mais je veux que vous sachiez que nous sommes tous dans le même bateau. Le gouvernement canadien, les entreprises canadiennes, les syndicats canadiens, la société civile canadienne, les premiers ministres de région du Canada et des dizaines de millions de Canadiens d’un océan à l’autre sont alignés et unis. C’est la team Canada, à son meilleur.

Plus tôt dans la journée, je me suis entretenu avec les premiers ministres de toutes les provinces et de tous les territoires. Nous sommes unis. Ils ont tous soutenu notre approche. Nous sommes également déterminés à réduire les obstacles au commerce intérieur et à faire en sorte qu’il soit plus facile pour les consommateurs de choisir le Canada et les produits canadiens. Il y a quelques instants, je me suis entretenu avec Claudia Sheinbaum, la présidente du Mexique, notre autre partenaire nord-américain. Ce pays a également fait l’objet de droits de douane de 25 %. Aujourd’hui, nous travaillons ensemble pour faire face à ces tarifs. Cette menace vise l’ensemble du pays, et je me réjouis de voir tous nos dirigeants répondre à l’appel et s’engager à faire en sorte qu’aucun Canadien ne soit laissé pour compte. Notre gouvernement sera là pour les Canadiens. Nous serons là pour vous.

Mais j’ai aussi quelque chose à vous demander. Je vous demande de rester unis. Beaucoup d’entre nous seront profondément affectés. Beaucoup de gens vont traverser des périodes sombres. Je vous demande de vous soutenir les uns les autres, d’être là pour vos amis, vos voisins et vos concitoyens. D’un océan à l’autre, les Canadiens sont différents. Nous parlons des langues différentes. Nous avons des croyances et des opinions différentes. Nous avons des idées différentes. Mais lorsque nous restons unis, nous sommes plus forts.

C’est aussi le moment de choisir le Canada. Il existe de nombreuses façons de contribuer à l’effort : vérifier les étiquettes au supermarché et choisir des produits fabriqués au Canada ; opter pour du whisky canadien plutôt que pour du bourbon du Kentucky ou renoncer au jus d’orange de Floride. Cela peut vouloir dire changer vos projets de vacances d’été pour rester ici, au Canada, et explorer les nombreux parcs nationaux et régionaux, les sites historiques et les destinations touristiques que notre grand pays a à offrir. Il est temps de choisir des produits canadiens et de soutenir les entreprises canadiennes. Il faut soutenir nos agriculteurs, nos producteurs, nos travailleurs, nos chefs d’entreprise, nos artistes.

Lundi matin, plusieurs journaux se faisaient l’écho de ce que l’appel à « Buy Canadian » pourrait avoir comme effet dans la société et les habitudes de consommation. 

Le Toronto Star a ainsi publié une liste de marques conseillées pour les substituer aux produits d’origine étatsunienne. Dans les rayonnages de plusieurs supermarchés, des signes marqués de la feuille d’érable rouge ont été placés à l’endroit des marques américaines avec le mot d’ordre « Buy Canadian Instead ».

Le gouvernement canadien a mis en place une campagne d’étiquetage des produits canadiens pour inciter les consommateurs à porter leur choix sur une production d’origine locale — un message réitéré par le Premier ministre Justin Trudeau sur les réseaux sociaux dans la foulée de son discours : « partout où nous le pouvons, choisissons le Canada ».

Nous devons nous unir parce que nous aimons ce pays. Nous sommes fiers de braver le froid pendant les longs mois d’hiver. Nous n’aimons pas nous vanter, mais nous sommes toujours là à brandir la feuille d’érable avec force et fierté pour célébrer une médaille d’or olympique. Nous avons une identité distincte. Nous avons notre propre histoire et nos valeurs. Les Canadiens sont accueillants, ouverts, innovants et ambitieux. Nous préférons résoudre nos différends par la diplomatie — mais nous sommes prêts à nous battre si cela s’avère nécessaire.

Le Canada dispose de ressources abondantes, d’une beauté à couper le souffle et d’un peuple fier, venu des quatre coins du monde pour forger une nation dotée d’une identité unique qui mérite d’être embrassée et célébrée. Nous ne prétendons pas être parfaits, mais le Canada est le meilleur pays du monde. Il n’y a aucun autre endroit où moi et notre famille de 41 millions de personnes préférerions être. Et nous surmonterons ce défi comme nous l’avons fait d’innombrables fois auparavant. Ensemble. Je vous remercie. Vive le Canada.

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