Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, le géant gazier russe détenu par l’État, Gazprom, a perdu presque toutes ses parts de marché en Europe. Le seul gazoduc acheminant encore du gaz vers l’Europe, TurkStream, n’assure l’approvisionnement que de la Hongrie et de la Serbie. Si le secteur gazier contribue dans une moindre mesure au budget de l’État par rapport aux exportations de pétrole 1, les transformations en cours pourraient avoir un impact à long terme sur le secteur énergétique russe.

  • La suppression de 1 500 postes par Gazprom traduit les difficultés économiques auxquelles le pays fait face, et ce malgré une croissance alimentée par les dépenses de défense.
  • Si les revenus du pétrole sont en hausse, notamment grâce à une réorientation peu coûteuse des flux vers l’Asie — la Chine étant devenue le principal importateur de pétrole russe —, les revenus tirés du gaz n’ont pas suivi la même tendance, notamment en raison de la difficulté d’adapter les infrastructures.
  • Les exportations de gaz naturel de la Russie par gazoduc ont en effet diminué d’environ 42 % depuis 2021.
  • En 2023, Gazprom avait enregistré sa première perte depuis 1999, d’un montant total de 6,4 milliards d’euros. Depuis le début de la guerre, l’entreprise doit également faire face à des taxes plus élevées 2. L’année 2024 n’avait pas mieux commencé : les emprunts à court terme avaient doublé au cours des trois premiers mois de l’année par rapport au trimestre précédent, une tendance de fond qui touche toute l’économie russe.

Dans ce contexte, les options pour Gazprom sont limitées.

  • Depuis 2022, les exportations ont été soutenues par une augmentation contractuelle des approvisionnements du gazoduc Power of Siberia 1 vers la Chine, qui sont passés de 15,1 milliards de mètres cubes en 2022 à 22,7 en 2023. Les livraisons devraient atteindre leur capacité maximale de 38 milliards de m³ cette année. 
  • Mais les négociations avec Pékin sur le gazoduc Power of Siberia 2, d’une capacité de 50 milliards de m³ par an — dont la construction devrait d’ailleurs être financée par Gazprom — et qui permettrait à Moscou de rediriger une bonne partie de ses flux vers la Chine et à Gazprom de maintenir son statut en Russie, sont toujours au point mort faute d’accord sur le prix.
  • Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, Gazprom n’a signé qu’un seul nouveau contrat, en 2023, avec l’Ouzbékistan, pour un volume total de 2,8 milliards de m³ de gaz par an.
  • Si les revenus de la Russie issus des exportations de gaz par gazoduc ont augmenté de 19 % en décembre 2024 3, cette hausse pourrait être une exception plutôt qu’une tendance. En effet, il s’agit du dernier mois au cours duquel le gaz russe a pu transiter par le territoire ukrainien.
  • La cessation du transit au 1ᵉʳ janvier 2025 par ces gazoducs représente une perte annuelle estimée à environ 5,8 milliards de dollars pour Gazprom.

Malgré sa stratégie visant à investir plus dans le GNL 4 et exporter davantage vers la Chine, la Turquie et les anciennes républiques soviétiques, il est peu probable que les revenus russes issus des exportations de gaz retrouvent à court terme leurs niveaux records d’avant l’invasion de 2022.

  • Les prix auxquels Moscou peut vendre son gaz exporté par gazoduc sont nettement inférieurs à ceux payés par les pays européens.
  • D’ailleurs, si les volumes de GNL n’ont pas été particulièrement affectés par l’invasion de l’Ukraine, la Russie doit aussi faire face à une concurrence plus intense sur le marché mondial qui ne va que s’accentuer, notamment grâce à de nouvelles capacités d’exportation aux États-Unis et au Qatar.
  • Plusieurs pays dont l’Ukraine 5, le Japon mais aussi certains membres de l’Union 6, ont signalé leur volonté d’acheter davantage de GNL américain afin de tisser des liens plus stables avec la nouvelle administration Trump.

Au-delà des dynamiques globales, les difficultés rencontrées par Gazprom et la fin des importations européennes de gaz russe par gazoduc pourraient également avoir un impact important sur le paysage énergétique russe. L’entreprise Novatek se retrouve ainsi en position de force sur le marché du GNL, tandis que Rosneft pourrait chercher à tirer profit de la faiblesse de Gazprom.

  • À court terme, le durcissement des sanctions visant le secteur énergétique russe pourrait exercer une pression supplémentaire sur les compagnies pétrolières et gazières. Toutefois, en raison de leur poids différent dans le budget fédéral, les nouvelles sanctions auront un impact sur les revenus de l’État uniquement si elles ciblent efficacement les exportations de pétrole.
  • Dans les sanctions annoncées le 10 janvier, les États-Unis ont pour la première fois visé des installations de GNL en service, en plus des sanctions touchant les méthaniers. 
  • Afin d’amener Poutine à la table des négociations, l’administration Trump serait en train de travailler à un paquet de sanctions qui iraient plus loin que les mesures prises par l’administration démocrate, y compris en matière de sanctions secondaires sur le commerce du pétrole, qui toucheraient également la Chine — mais aussi les entreprises européennes 7.
Sources
  1. Vitaly Yermakov, Follow the Money : Understanding Russia’s oil and gas revenues, The Oxford Institute for Energy, mars 2024.
  2. Vladimir Afanasiev, Russia orders Gazprom cash cow to pay more tax next year, Upstream, 8 novembre 2023.
  3. Vaibhav Raghunandan, Petras Katinas, December 2024 — Monthly analysis of Russian fossil fuel exports and sanctions, CREA, 10 janvier 2025.
  4. Filip Rudnik, Russia : liberalisation of LNG exports, OSW, 07 décembre 2023.
  5. Anthony Wright, « Ukraine takes in first US LNG cargo as Russia ends EU gas supply », Gasworld, 2 janvier 2025.
  6. Barbara Moens, Gabriel Gavin et Clea Caulcutt, « EU’s opening bid to avoid Trump’s tariffs : We could buy more American gas », Politico, 8 novembre 2024.
  7. Ben Bartenstein, Nick Wadhams et Daniel Flatley, « Trump Team Readies Oil Sanctions Plan for Russia Deal, Iran Squeeze », Bloomberg, 16 janvier 2025.